Qui ?
Roger McNamee, cofondateur de Silver Lake partners, mais aussi du Center for Human Technology, conseillé de Zuck devenu activiste avec "Facebook, la catastrophe annoncée"
Quoi ?
Alors que tous les médias annoncent une interview exclu avec Roger, nous avons passé deux heures intenses (ici et là) avec ce mythe vivant, en compagnie d'une vingtaine d'entrepreneurs rassemblés par CREOPoint.
Comment ?
Roger McNamee a eu la chance de vivre au Bethléem de la tech, la Silicon Valley et dès 1972 avant l’arrivée du PC. Jeudi 19 Septembre, CREOpoint et Petitweb ont organisé une rencontre avec des entrepreneurs, retransmise en direct sur notre compte Twitter. D'abord, l'idylle : En 2006, chez Elevation Partners créé avec Bono, de U2, lorsqu’il reçoit un email d’un gars de Facebook : "Mon boss a un problème, êtes-vous ok pour l’aider ?". Zuck a alors 22 ans, Facebook est un réseau social de 9 millions de personnes. Son design est pauvre. Roger se souvient : "Je ne pouvais pas en être membre, j’avais 50 ans et pas d’adresse email d’université, requise pour s'inscrire. Mais j’ai compris tout de suite que ça allait être gros".
Zuckerberg arrive dans son bureau, "habillé en Zuckerberg". Roger lui explique que son réseau social va devenir gros, très gros, et qu’arrivera un jour où Microsoft et les autres géants de la tech viendront lui en demander beaucoup d’argent. Et ce jour, tous ces amis lui diront "prends l’argent !". Mais "on n'a qu’une seule grande idée dans sa vie, si c’est votre grande l’idée… faites-la seul !". Mark Zuckerberg reste muet, pendant plus de 5 minutes, "un temps très très long, essayez un peu". Pour livrer : "Ce que vous dites vient juste d’arriver, et mon souci, c’est que je ne peux pas gouverner cette société seul". La suite, vous la connaissez, Zuckerberg refuse le deal… et nomme McNamee comme advisor. Autre moment déterminant dans leur relation, la présentation de Sheryl à Mark, via Roger.
Dix ans plus tard, 2016, fin de l’idylle. C’est le Brexit. Roger comprend que les outils de publicité de Facebook peuvent être utilisés pour trafiquer une élection. Il cherche de l’aide, mais la Silicon Valley reste muette. On découvre ensuite que les Russes seraient intervenus dans les élections. "Les Rosenberg ont été fusillés pour moins que cela". Il écrit alors un mémo à Sheryl Sandberg et Zuck, alerte : "Vous devez défendre vos utilisateurs !". En vain. La réponse, nous la connaissons : "Nous sommes une plateforme, pas un média, nous ne sommes pas responsables". Roger insiste, s'inquiète pour la démocratie. Les élections américaines arrivent, avec les mêmes manipulations, Cambridge Analytica… Pendant trois mois, Roger fait le siège de Mark et Sheryl : "Vous devez défendre les gens qui utilisent vos produits". En vain.
Faute d'avoir convaincu de l'intérieur, Roger se transforme en activiste, "full time". Il élargit le spectre de ses critiques à Google, Facebook et Amazon, et intervient sur NPR-National Public Radio, USA Today, The Guardian, CNBC, NYtimes… allant jusqu’à intégrer la plateforme Time Well Spent de Tristan Harris ex Design Ethicist chez Google. Car pour lui, l'heure est grave, très grave. L'école de Chicago a imposé le primat de l'économie partout. "Mais l'économie n'est
Les GAFA et l'industrie chimique, même combat !
La séquence suivante pique un peu : pour Roger McNamee les GAFA sont les mêmes que les chemicals , grands pollueurs des années 50/60. Qui ont dû payer le dommage qu'ils avaient causé à la société. "Nous devons les faire payer aujourd’hui pour tous les dommages que les GAFA causent à la planète, à nos enfants". Ça y est, Roger, grand guitariste habitué à la scène, est lancé. "Ces sociétés continuent à se consolider en smartcities pour Google, pour Amazon, en intégration verticale, pour Apple ou Microsoft sur la privacy… Demain, ils seront partout !". Tellement partout, que personne n’imaginerait les arrêter. Aux Etats-Unis, les venture capitalist ne financent plus aucun projet qui puissent s’attaquer aux GAFA. "Si on démantelait ces monopoles, nous dit-il, s’inscrivant dans la vaine de Élisabeth Warren, on pourrait développer une innovation fascinante. Un tiers des gens qui travaillent dans l’intelligence artificielle passeraient leur temps à manipuler votre cerveau. Discours haineux, anti-vaccins, désinformation, conspirations, voici leur fonds de commerce. Plissant ses yeux de vieux sage, il continue “because as human we can’t avoid reacting, that is what keeps us engaged!”". Les plateformes donnent un pouvoir politique fantastique à un petit groupe de gens très énervés. 25 % des contenus anti-vaccins sont l’œuvre de moins de 10 personnes…
Après la critique, les propositions
Pour Roger, c'est simple, "Vos données personnelles devraient être considérées comme une part de votre corps". Une personne dans la salle réagit et propose des solutions techniques pour contraindre ces pieuvres. Mais Roger, bien rodé, sourit et répond que le problème ne peut pas se résoudre grâce à la modération ou l’Intelligence Artificielle. Pour lui, Il faut interdire le ciblage comportemental, le transfert des données, et leur détention. Tout bêtement.
"Microsoft qui rachète Minecraft ? C’est bien évidement pour targeter les enfants de moins de 12 ans. Il faut attaquer la publicité, c’est par là que l’argent rentre, il faut stopper net le targeting comportemental notamment. L’audience lui est acquise, la France a une culture de rébellion, Roger enfonce le clou : "Il faut rendre ces sociétés responsables pour le tort qu’elles occasionnent. Et les faire payer. Si nous les forçons a payer, Facebook ne sera plus profitable. Facebook gagne 20 milliards en profit. Les dommages coûtent 3 trillions de dollars ou plus. Ce qui nous manque c’est deux choses : la volonté politique. Et le soutien des gens qui utilisent ces produits, les utilisateurs".
En effet, Facebook analyse au quotidien près de 3 milliards de personnes. "Ils savent ainsi qu’une femme va tomber enceinte avant même qu’elle ne le sache elle-même". Le problème n’est pas la technologie, mais plutôt un modèle économique absurde d’un point de vue démocratique. La viralité crée du trafic, qui permet la collecte de grandes masses de données. Or, la viralité se nourrit de ce qu’il y a de plus vil dans l'homme. CQFD.
Les outils technologiques devraient être en capacité de prouver leur innocuité, leur responsabilité civique, le fait qu’ils ne souffrent pas de biais, avant même d’être commercialisés. Aux États Unis, la police utilise une IA qui a des biais racistes. Dans les prêts bancaires, il existe des biais religieux et racistes. On doit pouvoir auditer ces systèmes d’Intelligence Artificielle, or aujourd’hui c’est impossible car personne ne sait comment ils fonctionnent. "Je n’ai aucune raison de croire les outils des GAFA, vous savez… ils savent même que vous êtes avec moi dans cette pièce !"
Ouvrir le back-end des GAFA, partager les données sur les individus à tout le marché
Comment réguler ? Les amendes "ne seront jamais assez élevées", et sont saluées par des montées de cours boursier. Pour lui, les GAFA doivent ouvrir leur back-end et nous donner toutes les données qu’ils stockent sur les individus. Il faut faire de leurs infrastructures un bien public, et leurs propriétés intellectuelles, i.e. leurs brevets, un bien universel. "Rendez-vous compte, ajoute-t-il, aux États Unis, les citoyens sont plus encadrés par les algorithmes des GAFA que par les lois américaines. Si on attaque la partie publicitaire on les bloque définitivement, car la publicité c’est de la donnée, et elle est utilisée de façon frauduleuse. Google et Facebook Live sont des outils de surveillance massive".
Face à ces monopoles tentaculaires, Roger a bien raison de rappeler que tout est asymétrique aujourd’hui : "la force gagne toutes les batailles. Il n’y a plus de place pour, justement, la petite start-up dans son garage. Le capitalisme incarné par Wall Street adorent le business qui se nourrit de la surveillance de masse".
Il regarde son audience fascinée par tant de verve et de force, et encourage les petits entrepreneurs présents dans la salle : "Vous avez le pouvoir de contrer ces gens-là, il est encore temps."