Qui ?
Jérôme Doncieux, Président du SAPIG, Max Armanet, secrétaire général FFAP, Julia Cagé, économiste des médias, David Assouline, vice président du Sénat, Fabrice Fries, Pdg de l'AFP, Pierre Louette, Pdg des Echos le Parisisien et de l'APIG, Arnaud Montebourg, Michel Barnier ...
Quoi ?
"Hey les GAFAM? main basse sur l'info, l'économie et les présidentielles ?" Organisée par le Syndicat des Agences de Presse d'Information Générale. Petitweb y était.
Comment ?
Jeudi dernier, une semaine après le lancement de l'Observatoire de la souveraineté numérique de Netexplo (voir nos indiscrets de la semaine dernière), c'est au tour des agences de presse de lancer un second pavé dans la mare, avec une matinée de conférence intitulée Hey les GAFAM? main basse sur l'info, l'économie et les présidentielles ? Pourquoi cette matinée maintenant ? Parce que les présidentielles se profilent. Et selon Patrice Fries, le Pdg de l'AFP "Oui, nous pouvons être inquiet pour la campagne présidentielle. On ne peut que l’être avec une hystérisation de la vie politique, une mondialisation des discours de haine sur lesquels joue une communauté très militante".
Parce que des projets de taxation mondiale des gafam se profilent, discutés cette semaine par le G7 (et dores et déjà, Amazon y échappe). Parce que, depuis l'élection de Joe Biden, l'on parle de plus en plus de démantèlement des plateformes, qui ont atteint la taille d'Etats. Mais aussi parce que les médias vont mal, très mal. Et qu'ils sont les poumons de la démocratie. Google a passé accord sur les droits voisins avec la presse d'information , mais pas avec les éditeurs de magazine, les agences de presse et la presse professionnelle.Un recours a été déposé devant l'Autorité de la concurrence sur le sujet et on devrait en savoir davantage début juillet. Mais une autre amende salée se prépare semble-t-il. Sur le même sujet, les médias canadiens ont d'ailleurs écrit une lettre ouverte au PM Trudeau pour l'engager à légiférer sans tarder (NDLR).
Google et Facebook étaient invités à cette matinée, mais ont "décliné poliment" annonce Max Armanet, de la FFAP, qui a soutenu cette matinée. Le cahier des doléances s'est donc déroulé sans eux.
L'application des droits voisins, approuvés par le Parlement européen en 2019, est au coeur de cette matinée. La France a été le premier pays à transposer ces droits dans sa loi. Après d'intenses négociations, Google a finalement signé en début d'année des accords individuels avec une partie de la presse, notamment les grands quotidiens nationaux.
Mais les discussions avec les autres éditeurs et les agences de presse patinent. «Google explique que les agences de presse ne sont pas concernées par les droits voisins, alors que c'est le titre de ma loi ! L'entreprise essaye de diviser les éditeurs de presse», Jérôme Doncieux: insiste «Nous demandons simplement l'application du droit et une juste rémunération pour les agences de presse». David Assouline (PS), le vice président du Sénat est l'auteur de la loi sur les droits voisins pour les agences et les organes de presse votée en 2019. Il se souvient : «Le patron de Google News est venu de Washington pour me dire : ‘on rend des services à la presse en la référençant. C’est eux qui devraient nous payer, c’est pas nous… Google a finalement reconnu les droits voisins, même s'ils n'ont donné que ce qu'ils avaient prévu de donner. » De fait,en février dernier, Google a accepté de payer 63 M€ à la presse, française, Le Monde en tête, sans dévoiler la clé de répartition.Pour le vice-président du Sénat," il faut commencer à penser au démantèlement. La démocratie n'existe pas sans presse multiple, diverse, petite ou grande qui vive correctement. C'est aussi une question de souveraineté !"
Jérome Doncieux., président du Syndicat des Agences de presse d'information générale, en appelle à l'union : « .Notre logique, c’est l’union sacrée. L’Union sacrée des agences, des médias et de la classe politique. Depuis 1835, les agences de presse sont une source d’union sacrée ».
Deux candidats en devenir des futures présidentielles ont fait le déplacement, et ils n'ont pas du tout la même approche.
Le fight Barnier Montebourg
-Michel Barnier, ancien Ministre, ancien commissaire européen et négociateur du Brexit plaide pour une solution européenne : « C’est une question grave, qui va être au cœur du débat présidentiel. Notre principal force dans ce marché mondial, c’est le marché unique européen. C’est un bien inestimable. La défense d’une souveraineté nationale passe par une coopération avec les pays européens. Il faut être capable d’imposer aux Gafam de respecter nos règles : les droits d’auteurs et les droits dérivés. Il faut du courage, de la volonté politique et du suivi avec des parlementaires compétents. Ça ne tombe pas du ciel. Le libéralisme doit s’accompagner d’éthique et de morale. Ce n’est pas ce qu’on voit avec Google et les autres, qui abusent de leur position dominante. Il faut une résistance de la République Française en s’appuyant sur l’Union européenne pour se faire respecter. Contre certaines pratiques des Gafam, la France doit veiller à ce que les citoyens soient correctement informés de manière équilibrée et juste. Et il faut que ces Gafam payent des impôts là où ils font du profit. La liberté des Européens est en jeu. » Suite à son intervention, avec beaucoup de il faut, donc, nous l'avons interrogé sur la faillite du RGPD, qui n'a fait que renforcer les plateformes (voir notre article). Mais l'ancien commissaire, trop absorbé par le Brexit, n'a pu se pencher sur le sujet.
Vers un démantèlement ?
Alors que l'administration Biden a donné des signes de vouloir démanteler ces nouveaux empires, avec notamment la nomination de Tim Wu et Lina Khan à des postes clés, l'idée fait également son chemin en Europe et en France.
-Arnaud Montebourg parle comme un boxeur converti à la politique, qui va se présenter aux présidentielles-s'il a le financement. « Ce sujet des Gafam fait partie des 5 points les plus importants à traiter politiquement en tant que problème de souveraineté ! Il faut mener une stratégie quasi militaire de rétablissement de notre souveraineté pour se défaire d’un système colonial. Si on regarde ce que sont les Gafam par rapport aux Etats, il y a de l’inquiétude à exprimer. La taille, la puissance, l’accumulation capitalistique… Nous avons là une puissance que nul ne maîtrise. Nous sommes arrivés à un excès jamais rencontré. La Commission Européenne est en retard d'une guerre. Il faut aller beaucoup plus loin. Je suis favorable au démantèlement, c'est à dire l'application des lois antitrust européennes ! »Pour lui, l'Europe a montré ses limites, "Alstom est condamné pour abus d position dominante, mais Google, personne ne dit rien! Et ce sont plutôt des accords bilatéraux entre états européens qui permettront de lutter efficacement, et de démanteler ces nouveaux empires." Il nous confie : "Le RGPD a favorisé les plateformes ? Il faut durcir et démanteler. C'est possible dans le cadre des Etats. Il va falloir poser la question de la légitimité du contrôle de l’algorithme. Aujourd’hui, c’est une boite noire, un secret de fabrication. C’est un peu comme un anti-médicament qui porte atteinte à la santé d’une société entière. Si nous ne faisons rien, nous allons laisser notre jeunesse entrer dans une guerre civile invisible qui peut détruire le lien de notre société. »
Même son de cloche chez Yannick Jadot, le chef des écologistes, qui parlait depuis le Parlement Européen, : "Ces GAFAM percutent notre société, notre mode de vie, nos démocraties. Leur capitalisation boursière est supérieure à chacun des pays européens, même l'Allemagne. Dans cette course de vitesse imposée par les GAFAM, la politique a pour le moment perdu. La démocratie est un processus forcément lent. Mais un processus aujourd’hui trop lent face à cette fuite en avant du savoir, de la culture. La question du démantèlement des GAFAM ne doit pas être un tabou en Europe. Nous n'avons pas à être en permanence à la remorque des Etats-Unis, surtout quand il s'agit d'indépendance de l'information". Le patron d'Europe Ecologie les verts cite Paul Romer , Prix Nobel de l'économie qui enseigne à NY et promeut taxe progressive revenu pub en ligne. Et parle aussi de neutralité du net : avec le câble optique sous marin Ellalink reliant l'Europe à l'Amérique du Sud, "on pourrait comme sur le périphérique, imposer une voie pour transport collectif de données sensibles.
Pour finir avec les politiques, le secrétaire d'Etat au numérique Cedric O avait préenregistré un message qui ne mange pas de pain (et ressemblait beaucoup.à celui enregistré pour Netexplo la semaine d'avant) : "Nous devons d'abord nous attaquer à la question économique pour commencer à régler l'ensemble des problèmes que pose l'hégémonie des acteurs. C'est en tout cas un problème central pour la puissance publique." Mais en même temps, le secrétaire d'Etat a choisi Microsoft pour héberger les données de santé des Français. Alors que c'était là une occasion de créer une filière big data avec des acteurs comme Dassault ou OVH (NDLR)...
Le fight AFP - Les Echos
Fabrice Fries, Président-directeur général de l’AFP a depuis 2019 un accord de fact checking avec Facebook dans de nombreux pays.« Ces plateformes faisant partie du paysage, il faut considérer qu’elles font partie de la solution contre les fakenews. Les plateformes sont sorti du déni et reconnaissent faire partie du problème. »Le patron de l'AFP salue l'oversight comité de Facebook. "Après le bannissement de Trump de Facebook, son Oversight comitee a demandé à la plateforme de définir ses critères. Facebook est revenu avec un cadre d’action : Telle mesure suspension 2 mois, 2 ans avec définition de critère précis et revue de cette position. C’est un progrès significatif" . A ces mots, Pierre Louette bondit. Pour l'ancien patron de l'AFP et patron d'un groupe de presse souligne qu'il n'a pas le même modèle que l'AFP :"Les journaux ont perdu 50 % de leurs recettes en dix ans. Nous entrons dans une nouvelle phase, notamment du côté américain. Mais les instances de contrôle ne peuvent pas être soumises aux plateformes. Il faut encore élever notre niveau de jeu ! Ces plateformes ont un pouvoir tellement important dans nos vies, il faut un droit accès à leurs données, soulever le capot pour mesurer la monétisation des news. Youtube ne fait rien, ne finance rien, alors que c'est un acteur majeur de la désinformation» Et le patron des Echos de citer la toute nouvelle réglementation australienne. Enfin,il souligne le deux poids deux mesures de l'Europe, investiguant 9 mois pour ue acquisition d'Orange ) hauteur de 3 Mds, et mettant 3 semaines pour avaliser le rachat de WhatsApp par Facebook, pour 16 Mds $..
Pour finir, un peu dé'conomie. L'économiste Julia Cagé donne les chiffres de la prédation de Google : "quand ils prennent 20 M en pub, ils reversent 1 M via le fonds d'aide à la presse." Et de manière opaque : en Allemagne, l'autorité de la concurrence se penche actuellement pour savoir si Google News Showcase ne fait pas preuve de discrimination entre éditeurs (voir cet article) Pour la professeure d'économie à Sciences Po, Les Gafam ont affaibli la production d’informations en affaiblissant le modèle économique des médias. Ils se sont appropriés les recettes publicitaires, en utilisant du contenu qu’ils n’avaient pas payé. Les médias ont dévalorisé leur contenu en ligne dans la relation de confiance avec les lecteurs. Cela fait entre 5 et 10 ans que les médias tentent de remettre de la valeur à l’information afin d’encourager les gens à payer. C’est très difficile pour des jeunes qui n’ont jamais payé une information. Si on fragilise les médias, on observe une baisse du nombre des journalistes. Et donc, des médias affaiblis. Or les Gafam n’investissent pas dans la production d’information. Ils la présentent différemment. » Elle nous confie : "Facebook tue le rapport de confiance entre les citoyens et les médias. Le public n'est plus capable de dire d'où vient l'information qui le nourrit. Au delà ds Fake news, les plateformes ont endommagé une notion fondamentale, qui est celle de la vérité"