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Procès antitrust : comment Google ajuste les taux de commission des annonceurs

Qui ?
Fayrouze Masmi Dazi, fondatrice du cabinet d'avocat Dazi.

Quoi ?
Une interview en forme d'avant-goût de son intervention à Jardins ouverts Jardins clos, le 15 novembre prochain, où elle résumera le procès antitrust de google, qui viendra de s'achever (vous êtes intéressés, écrivez nous). Voir aussi la 1° semaine ici, et la 3° semaine .

Comment ?
Que s’est-il passé cette semaine dans le procès Google ?

La deuxième semaine de ce procès historique a été consacrée à décortiquer le business publicitaire Search de Google qui représente depuis 2020 plus de 100 milliards de dollars de recettes annuelles. Premier enseignement majeur : Jerry Dischler, le VP Ads de Google a confirmé que pour atteindre leurs objectifs, Google « ajustait automatiquement » les taux de commission vis-à-vis des annonceurs. De 5 à 10% , en général, car à partir de 15%, les annonceurs changeraient de plateforme. Preuve éclatante du pouvoir de marché considérable de Google sur la publicité en ligne liée aux recherches. Google prétend que Google Search Ads ne serait pas incontournable pour les annonceurs, compte tenu de l’évolution des usages et de l’importance grandissante d’Amazon ou de TikTok sur le marché publicitaire. Des opérateurs tels que DuckDuckgo ou encore Verizon ont pu témoigner de l’impossibilité matérielle de concurrencer Google. En effet, Alphabet s’octroie un avantage non réplicable en étant le moteur de recherche par défaut et se place constamment au centre de la recherche généraliste. Google s’évertue à prétendre - en contradiction avec des emails de son propre management sur l’importance des clics - que la position de Google a été gagnée par le mérite. Et que c’est son effort inégalé d’innovation qui fait le choix du consommateur. Pour le département de la Justice américain, la « magie de Google » tient à l’utilisation de la donnée des utilisateurs, à d’habiles contrats de partage de revenus et de paramétrage par défaut, outre des pratiques visant à préserver son positionnement.

Apple est sorti du secret ?
Effectivement, le contrat à 18 milliards de dollars annuels entre Apple et Google dure depuis 18 ans. L'audition de John Giannandrea, Apple Ai Chief, qui a dirigé le business search de Google jusqu’en 2018 a commencé en fin de semaine dernière. Il sera suivi par Eduardo Cue, le head of services qui viendra témoigner sur le contrat à 18 milliards avec Apple pour que Google soit le moteur de recherche par défaut sur ses appareils. Il s'agit de savoir si cet accord est un acte de monopolisation au sens du droit américain : Google et Apple se répartissent le marché des smartphones aux US (Apple 52% Google 48%). Cet accord permet d’assurer que le moteur de recherche de Google soit pré-installé par défaut sur tous les appareils. Giannandrea sera également interrogé sur une nouvelle fonctionnalité de ios 17 qui permet de choisir différents moteurs par défaut en fonction du niveau de protection de la vie privée assuré. Le juge Mehta dispose du pouvoir de faire modifier l’accord, s’il estime que certaines de ses clauses sont anti-concurrentielles.

Il y a aussi le débat récurrent sur le secret des affaires vs le droit à l'information...
Le procès a en effet connu un incident lié à la publication par le département de la justice américain de plusieurs documents évoqués au cours de l’audience. Ce procès phare est maintenu dans une forme de huis-clos auquel la justice américaine est peu habituée, contrairement à notre système romano-germanique où de telles précautions/limitations sont la norme. L’accès aux audiences ne peut se faire que sur place et si de nombreux journalistes ou curieux y sont présents, le grand public mondial  n’accède pas aux débats bruts. L’initiative du DOJ a été divulguée par Google au Juge Mehta qui s’est ému de la méthode, car en principe, ce type de démarche est dévoilé au juge avant d’être mis en œuvre. Des journalistes se sont manifestés pour solliciter l’accès aux documents évoqués lors de l’audience au nom du droit à l’information.

En quoi tout cela nous concerne-t-il  ?
Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis pour Google, mais également pour Apple en Californie, est structurant pour tout le marché mondial. D’un côté, l’analyse pointilleuse du business de Google est une immense opportunité pour le monde entier de mieux comprendre ce qui se passe derrière les services. Face à leur propre juge, les opérateurs se cachent moins facilement derrière de faux semblants que lors d'autres procès. D’un autre, c’est le droit américain qui leur sera appliqué, par un juge américain indépendant. Indépendant du pouvoir politique et de ses orientations plus ou moins libérales vis-à-vis d’une des entreprises les plus puissantes du monde, y compris en terme électoral et de défense. Les récentes affaires portées par la FTC et le DOJ montrent combien les juges peuvent se montrer hermétiques aux théories renouvelées de la concurrence portées par l’administration Biden. Ce qui laisse le champ assez libre à la possibilité que pour beaucoup, les pratiques de Google ne soient peu ou pas remises en cause. Mais ce procès porte un autre enjeu au moins aussi important, celui de la prise en compte de son impact mondial - une particularité du juge américain dont aucun autre juge au monde ne peut autant se prévaloir. Ce procès impactera la manière dont Google fera son business à l’avenir, les actions en dommages et intérêts qui s’en suivront aux USA. Mais aussi ailleurs : le business est mondial et les opérateurs français ou européens ne sont pas moins touchés par des pratiques mises à jour par ce procès que les Américains eux-mêmes. Il est important de le suivre comme l’un des utilisateurs de ces services, professionnel ou consommateur, mais également pour ce qu’il dit de la manière dont l’internet mondial s’est consolidé au cours des dix dernières années. C’est ce contexte qu’il faut comprendre pour mieux appréhender l’avenir, en particulier les bouleversements que provoque déjà l’IA et les enjeux de la course folle qui s’est ouverte devant nos yeux afin de ne pas l’observer les bras ballants, mais d’en être acteur.

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