Qui ?
Mathieu Roche, Managing Director, France & UK de Weborama.
Quoi ?
Une interview sur les enjeux data du moment, pour les marques, les agences et les consommateurs.
Comment ?
- Que vous inspirent les mouvements récents, que ce soit chez Facebook, Google ou Microsoft, vers une suppression des cookies ? (Lire cet article, par exemple).
Ce serait une décision fondamentalement anticoncurrentielle, un vrai problème pour toute l'industrie. Il est illégal de profiter d'une position dominante dans la recherche ou des outils de communication pour bloquer l'accès à un marché à d'autres acteurs. Ceci dit, la question des cookies est un problème technique, on peut travailler sans. Mais il est dommage que tout le travail d'éducation effectué ces dernières années autour des cookies auprès du grand public soit ainsi battu en brèche.
- Travailler sans les cookies, c'est-à-dire ? L'industrie n'est-elle pas encore trop dépendante de cette technologie ?
Le propre des sociétés technologiques est de trouver de nouvelles solutions plus vite qu'elles ne disparaissent. Nous avons tout intérêt à nous positionner sur des outils plus pérennes. Par exemple, nous n'utilisons plus d'infos stockées au sein des cookies - à la différence de beaucoup de nos concurrents : pour nous, un cookie est seulement un identifiant qui fait appel à des données hébergées chez nous, dans nos infrastructures. Si on perd le cookie, on perd juste un identifiant. Il n'y a déjà pas de cookies sur le mobile, mais on trouve d'autres solutions. Il en existe beaucoup et notamment le finger printing, qui permet de créer un identifiant unique pour chaque terminal. Notre force, c'est aussi notre reach au niveau européen : un internaute "perdu" peut se retrouver facilement.
- Quelles garanties apportez-vous aux internautes sur le respect de la vie privée ?
C'est une question très importante pour nous, sur trois aspects : l'anonymat, la temporalité et le contrôle de l'identifiant, qui peut être effacé à tout moment. Mais le marché est encore trop ancré dans la dichotomie opt-in/opt-out : le risque, c'est de laisser la porte grande ouverte à un Google, qui a accès aux données du search, du mail et à beaucoup d'informations personnelles, et peut en faire ce qu'il veut, quand ses utilisateurs ont validé ses conditions générales. C'est un vrai danger pour la vie privée.
- Weborama se réorganise autour de la data, pourquoi ?
Historiquement, Weborama a trois activités : média, techno et data. Aujourd'hui, nous intégrons ces trois dimensions dans une plateforme commune, dans laquelle la data est devenue centrale. Un adserver comme le notre est devenu un formidable outil de création de data en temps réel. Il est désormais possible de piloter toute sa stratégie média par la data. Nous avons structuré notre offre pour qu'elle s'adresse à la fois aux annonceurs et aux agences : les annonceurs peuvent y piloter leur marketing et leur média, mais tout est accessible et gérable par leurs agences. Les agences ont un vrai rôle de coordination et de traduction, entre ce que nous faisons nous et les besoins du client.
- "Piloter son média par la data", ça veut dire quoi, concrètement ?
Un annonceur peut par exemple associer ses données CRM à nos 200 critères de qualification par internautes. Pour un annonceur de l'entertainment, nous travaillons actuellement sur un projet visant à dupliquer leur structure de profiling CRM à partir du site, pour créer des profils en temps réel et les recibler sur d'autres sites. Les données CRM des annonceurs sont encore assez peu utilisées. Pourtant les résultats sont là : nous avons récemment permis à Bouygues Telecom d'être deux fois plus performant sur ses campagnes en adressant la bonne offre au bon profil d'intenaute, sur six produits.
- Le monde de la data reste encore nébulleux : comment rassurer les annonceurs qui se posent la question de la propriété des données ?
Notre politique est très claire : nous n'utilisons que de la donnée first party et third party, on ne fait pas de second party ou de trucs bizarres avec la data. La "first party", ce sont les données de l'annonceur, qui sont hébergées sur nos serveurs mais absolument pas partagées. En parallèle, nous avons une base de données "third party", que l'on met à disposition de tous nos clients. Cette donnée vient alimenter la donnée first party, mais ce n'est pas possible dans l'autre sens. On ne fait pas de "second party", comme recibler des clients d'un annonceurs pour un autre.
- Quels sont les secteurs les plus avancés sur ces sujets ?
Dans les agences média, il n'y a plus un seul pitch sans un volet data : c'est devenu le sujet central pour les annonceurs. Les télécoms, le retail, l'automobile sont plutôt avancés. Pour notre part nous avons de nombreux projets de DMP (Data Management Platforms), qui visent à centraliser le CRM et le média au sein d'un même ensemble, pour mener des stratégies de ciblage, reciblage et engagement alimentées par la data. Les annonceurs comprennent très bien cette problématiques, parfois mieux que leurs agences : leurs budgets CRM et Média sont souvent distincts, ce sont les seuls à avoir cette vision globale.
Propos recueillis par Benoit Zante