Qui ?
Thomas Jamet, Ceo de Mediabrands (en photo, crédit : William Parra) et Lionel Dos Santos De Sousa, co-auteurs de Data démocratie avec Florian Freyssenet, dirigeant de Tokenlands, cabinet de conseil spécialisé dans le financement de l'immobilier (pas dispo pour cette interview).
Quoi ?
Une interview des auteurs de ce livre passionnant (on a vraiment envie de l'offrir à chacun de nos lecteurs, mais bon...) sur la manière dont les Etats peuvent sauvegarder la démocratie avec les datas.
Comment ?
Quel a été le rôle de chacun pour ce livre ?
Thomas Jamet : Comme beaucoup d'autres, ce livre est né du Covid et de ce temps qu'il nous a tous donné pour nous interroger sur le monde d'aujourd'hui. Venant d'agence média, j'ai apporté mon prisme, data consommateur, Lionel a donné un éclairage financier et politique et Florian, rencontré sur la page Facebook du Celsa, où j'enseigne, orienté ses analyses sur le web 3. Nous avons travaillé trois ans et demi, mais il aurait aussi pu nous prendre dix ans ! Nous nous sommes envoyés en permanence des articles, à intégrer dans telle ou telle partie.
Quel en a été le point de départ ?
Lionel Dos Santos De Sousa : Cela a été les nouvelles relations entre états, entreprises de la tech et les citoyens. Les entreprises technologiques sont devenues plus puissantes que les Etats et c'est un problème. On en voit encore l'illustration cette semaine avec Musk , Trump et Twitter. Les modèles étatiques traditionnels montrent leurs limites. Les Etats doivent porter leur vision, et la différence de l'Europe, ce sont ses valeurs. C'est pour cela que le livre fait des propositions comme la création d'une Haute autorité de la donnée, qui ne serait pas un "machin" supplémentaire, mais une instance indépendante du pouvoir en place qui place ces sujets sur un temps long, comme l'AMF, l'autorité de sûreté nucléaire ou l'ARCOM.
Faut-il espérer de la politique : Le health data hub était l'occasion pour l'Etat de construire une filière big data française...?
L.D.S.D.S : C'est effectivement une occasion loupée. Et cela nous montre bien la problématique de la sensibilité des données en France. Il faut sortir ce sujet de l'Etat pour construire la confiance du public. Personne n'accuse l'AMF d'être de connivence avec le gouvernement. Reprenant les missions de l'Arcom, d'Etalab, de l'Arcep, de la CNIL, nous avons besoin d'un acteur central qui centraliserait les sujets de la donnée, et transcenderait les partis politiques dans une recherche du bien commun. C'est le moment : l'entrée en vigueur des textes européens (DMA, DSA) rend d'autant plus nécessaire une instance qui travaille avec l'Europe, les entreprises, les plateformes, les ONG sur ces sujets. C'est aussi l'occasion de constituer nos propres champions du numérique, en les protégeant par la loi et en leur donnant des avantages concurrentiels. Il s'agit de protéger les Français dans leur vie numérique mais aussi de protéger l'économie française et européenne et de construire de nouveaux champions.
T.J : La France a toujours été à la pointe de la technologie. Mais elle a perdu cette avance. Il s'agit de la retrouver, en poussant l'Etat à s'inspirer des plateformes dans la façon dont il traite la donnée et d'y infuser nos valeurs. Le livre rappelle par exemple que l'open data n'a pas essaimé dans les régions, faute de pédagogie. Il ne suffit pas de voter des textes, il s'agit de les accompagner sur le terrain. D'y mettre les moyens.
L.D.S.D.S : Il faut aussi renforcer la relation entre l'Etat et les citoyens et renouveler la démocratie. La Suisse a introduit la blockchain dans son process électoral, l'Estonie est aussi un exemple illustre. Pour avoir les moyens de cette politique, on imagine par exemple privatiser l'exploitation de la SNCF pour conduire ces grands chantiers. Nous avons envoyé ce livre à Thierry Breton, qui a compris qu'il fallait agir et vite. Car nous avons besoin de cette organisation de la donnée pour affronter les événements à venir, qui promettent d'être encore plus déstabilisants que ceux que nous avons affrontés ces dernières années. Avoir une politique ambitieuse dans le domaine pourrait nous redonner de l'espoir et des perspectives .
Pouvez vous donner quelques exemples de la rétocratie que vous voulez construire ?
L.D.S.D.S : Le digital peut répondre au réchauffement climatique, en aidant la sobriété industrielle, le smart farming, en luttant contre les feux de forêt. L'observatoire des réseaux nous aidera à préserver notre démocratie. Le RGPD, le DMA, le DSA ont trait au droit commercial et au droit fondamental. Si l'on n'est pas vigilant , la première volonté des gouvernements est d'utiliser la technologie pour contrôler le territoire et les gens. Mais la technologie peut aussi réguler le trafic routier !
T.J : Nos élites se méfient de la donnée, assimilée à la société de surveillance, à la reconnaissance faciale. Mes étudiants de Sciences Po assimilent le travail de la donnée à ces sujets. Et cela nous freine beaucoup pour avancer dans le bon sens. Car l'entité dédiée à la donnée travaillera main dans la main avec le défenseur des droits. Il s'agit de traduire nos valeurs dans la façon dont nous travaillons la donnée, pas de s'en écarter.