Qui ?
Béatrice Lhopitallier, directrice marketing et data d’Orange et Estelle Duval, directrice de la stratégie de Médiamétrie (en photo)Laurent Bliaut, directeur général adjoint de TF1 Publicité, Anne Thétier, directrice générale trading media d’OMG, Maxime André, directeur marketing, innovation et communication de M6 Publicité, Rami Saad, responsable media partnership de Snap,Renan Abgrall, président de l'AF2M.
Quoi ?
La perméabilité entre les univers de la télévision et du numériques s'accroit. Les nouvelles frontières du média télé passent définitivement par le digital, lors de la matinée Jardins ouverts Jardins clos du 28 septembre 2022 (voir les autres articles ici et là, et le replay ici)
Comment ?
Une télévision segmentée opérationnelle, des campagnes télé ciblées par zone géographique ou caractéristiques des foyers, une mesure d’audience hybride qui mélange CPM et GRP, une extension d’audience via les médias sociaux : où commence le monde de la vidéo numérique et où finit celui de la télévision ? Les frontières bougent au fur et à mesure que le digital s’invite dans les technologies de diffusion, de visionnage et de publicité. « Nous sommes en mode full vidéo. Bien sûr, le broadcast existe, mais il y a de plus en plus de diffusion en live, en replay et sur d’autres extensions que nous sommes en train de lancer en mode digital, donc avec de la data et une possibilité d’adressabilité » explique Laurent Bliaut, Dga de TF1 Publicité. Un nouveau terrain de jeu pour les contenus premiums des diffuseurs qui ajoute à la puissance et au reach de la télé cette possibilité d’adressage en mode numérique. Deuxième élément : tout converge. Si les contenus des chaînes sont poussés tout le temps, partout et sur tous les devices, ceux des plateformes arrivent de plus en plus sur l’écran télé. « La durée d’écoute linéaire s’érode et les usages digitaux progressent » . Comment faire pour que ce nouveau terrain de jeu devienne exploitable pour les annonceurs et les agences media ? « Il le sera quand nous aurons de la mesure » répond Anne Thétier, directrice générale trading media d’OMG. Cette mesure cross media devrait arriver à la fin du premier semestre 2024. « C’est le gros défi du marché, pour que toutes les mesures soient comparables les unes par rapport aux autres, en améliorant la mesure digitale plutôt qu’en dégradant la mesure télé » . Des normes internationales existent, définies par le MRC (Media Rating Council) pour mesurer les clics, les impressions vidéo et la visibilité des vidéos. Le débat en France tourne autour de la durée d’exposition de la publicité. Une vue en vidéo est comptabilisée à partir de deux secondes d’exposition quelle que soit la durée du spot, alors que ce même spot n’est pas compté en télé. « Cette question des modèles de déduplication est centrale. Aujourd’hui, nous sommes à peine capables de dire ce qu’apporte le replay par rapport à la télé linéaire » reconnait le directeur général adjoint de TF1 Publicité. La question majeure étant : CPM (coût pour mille) contre coût GRP (gross rating point ou point de couverture brute), qui va gagner ?
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Un vote fondateur a eu lieu fin juin 2022 chez Médiamétrie, pour que la mesure télé concerne en 2024 tous les foyers, y compris ceux qui ne possèdent pas de poste de télévision. Et les contenus des diffuseurs seront mesurés sur les autres écrans du domicile. Soit une mesure « tous lieux, tous devices et France entière ». Les agences réalisent déjà des plans médias avec de la télévision broadcast, du replay et d’autres modes de diffusion mais sans pouvoir réconcilier les KPI de chaque vecteur. « Chaque agence a son outil donc chaque client a des résultats différents » confirme Anne Thétier. « Rassembler tous les KPI sur un même tableau de bord, ça a l’air évident, mais nous avons dix-huit mois de travail intensif devant nous. On pourra conserver une négociation basée sur des CPM pour les grosses campagnes avec des cibles sociodémographiques et conserver les GRP pour le médiaplanning avec ses indicateurs de couverture, de répétition et de distribution de contacts » conclut Laurent Bliaut. Une réunion avec le SNPTV est prévue la semaine prochaine pour que ce standard soit ouvert aux autres acteurs, c’est-à-dire les plateformes de streaming.
Un aperçu de l’intervention de Renan ABGRALL, président de l’af2m, lors de la dernière édition de Jardins / Jardins Clos "Les nouvelles frontières" organisée par @petit_web pour présenter les dernières avancées de la #TVsegmentée et le rôle majeur de la data pour le media #TV. https://t.co/gJjPnbl1KI
— af2m (@MyAF2M) September 29, 2022
Les opérateurs télécom sont eux aussi des acteurs importants de ce paysage audiovisuel en pleine reconfiguration. En effet, la France est un marché singulier puisqu’une majorité des foyers regardent la télévision linéaire via la box de leur opérateur (63 % fin 2021 selon l’Arcom). Le ciblage personnalisé via la télé segmentée est une autre frontière en train de tomber grâce à cette singularité française comme l’explique Renan Abgrall, président de l’af2m, qui rassemble les opérateurs télécoms et diverses associations comme l’Acsel, le Geste, l’Alliance Digitale, etc : « le projet de télé segmentée lancé en 2019 se fondait sur un fait : les abonnés français étaient massivement abonnés en offres 3P (ou triple play : téléphone, box internet et décodeur télé) ». Ça permet aux chaînes de conserver leurs inventaires publicitaires, aux opérateurs de mettre à leur disposition la richesse de leurs données en créant des segments de ciblage, puis de réserver l’emplacement publicitaire pour les diffuseurs. « Ça paraît anodin aujourd’hui mais aux Etats-Unis, où j’étais il y a deux semaines, cette innovation est majeure et ils sont très impressionnés » remarque Renan Abgrall. Les décodeurs des opérateurs ressemblent aux smartphones, certains fonctionnant même sous Android. Le consentement pour l’obtention des données clients est centralisé : les opérateurs le demandent à leurs clients. « Il est unique, centralisé, l’abonné peut changer son choix à tout moment et les telcos peuvent le redemander régulièrement. Le taux se maintient, soit 2 sur 3 qui donnent leur accord » précise le président de l’af2m. Ces datas sont techniques, CRM (nom, prénom, adresse, numéro de téléphone) et des données de l’usage cross media (linéaire, replay, SVOD). En termes de volume, de couverture et de nature (probabiliste ou déterministe), ces données sont qualitatives selon Renan Abgrall. Elles servent à créer des segments (sociodémographiques, géographiques, moments de vie). Mais aussi à créer un segment particulier ou faire des études d’efficacité. La période de test du MVP (produit minimum viable) va s’achever cette année. En 2023, on pourra remplacer plusieurs spots durant un break de publicité y compris en prime time, ce qui n’est pas encore autorisé. Des tests d’efficacité auront lieu fin 22 entre les opérateurs et les régies avec les annonceurs qui le souhaitent : apport de couverture, drive to web, drive to store, etc. « Enfin, il faut construire un cadre juridique commun pour faire de l’onboarding (intégration des clients des différents opérateurs). La data est une matière vivante, il y aura forcément des nouveaux segments à construire, il faudra introduire le retargeting, ce qui est complexe techniquement, et étendre cette data aux nouveaux entrants ». Et l’identifiant opérateur qui pourrait remplacer le cookie dont on parle depuis deux ans ? « Ce serait envisageable, des opérateurs le testent en Allemagne et le marché serait intéressé par un tel identifiant. Mais nous avons des responsabilités par rapport aux clients : à quelle problématique répondrait cet ID universel opérateur ? C’est seulement si on peut répondre à cette question que nous proposerons cet identifiant » répond le président de l’af2m . Cette donnée opérateur peut aussi servir à effectuer une mesure hybride des deux univers de la télévision et du digital.
Lors de l’édition 2021 de Jardins Ouverts Jardins clos, Orange et Médiamétrie avaient évoqué un projet de mesure hybride . « Nous avons annoncé un partenariat pour croiser de la donnée Médiamat (panel constitué d'environ 5 000 foyers, soit plus de 12 400 individus âgés de 4 ans et plus) avec la voie de retour opérateur, c l’ensemble des signaux que les opérateurs récupèrent sur la consommation et les usages de leurs clients. Des datas clés pour repousser les frontières de la mesure car elles sont volumiques et granulaires » décrit Béatrice Lhopitallier, directrice marketing et data d’Orange. Des datas qui concernent le linéaire, le replay, la VOD et les moments où les clients Orange entrent ou sortent des plateformes ASVOD du type Netflix ou Disney+. Cette évolution nécessite des investissements financiers, d’où la prise de participation d’Orange dans le capital de Médiamétrie de 2,44 % en juillet 2021. « Cette combinaison du panel Médiamat et du retour opérateur permet la connexion dans l’écosystème télé des inventaires linéaires, délinéarisés et de télé segmentée. Il s’agit d’individualiser cette donnée opérateur pour unifier la mesure autour d’un contact publicitaire individuel » ajoute Estelle Duval, directrice de la stratégie de Médiamétrie. Enfin, cette nouvelle mesure permet d’améliorer le continuum entre audience et efficacité. Médiamétrie a recruté un « super échantillon » de 10 000 abonnés Orange, qui pourra être augmenté à l’avenir, et mis en place une réception des logs en quotidien qui ont été traités (nettoyage, écrétage des durées, individualisation et fusion entre datas Médiamat et données opérateur). Des tests menés cet été ont permis de valider le fonctionnement de cette mesure hybride. « Il y aura de nouveaux services de mesures de performance, comme des bilans de campagnes télé en replay ou de télé segmentée. On peut imaginer un nouveau médiaplanning « data driven », avec de nouvelles cibles basées sur les datas des annonceurs, en croisant la donnée des clients de ces annonceurs avec leur consommation de télévision sur le parc Orange » détaille Béatrice Lhopitallier. Médiamétrie travaille aussi avec Bouygues Télécom, SFR et Canal+ pour proposer des services multi opérateurs, comme mesurer des formats courts de moins de 15 secondes ou effectuer des bilans de campagne à un niveau individuel. Les broadcasters télévisuels doivent aussi accompagner le développement rapide des médias sociaux sur des audiences plus jeunes. Ces médias sociaux ont pris en dix ans une place considérable dans l’univers digital. Au point de devenir un relais incontournable pour la diffusion des contenus des médias traditionnels comme la presse, la radio ou la télévision.
The new generation is « visual » no more writing or texting … brands have to take that in consideration @RamiSaad #jardinsouvertsjardinsclos @petit_web pic.twitter.com/RhZPq18pCp
— Géraldine Grümmer #⃣ (@DgeGrum) September 28, 2022
M6 a conclu un partenariat avec Snapchat, l’appli préférée des 15/49 ans selon Médiamétrie, pour pratiquer l’extension d’audience de ses émissions sur ce support générationnel. « Le groupe M6 a été pionnier sur le replay dès 2008, s’est lancé sur Facebook en 2010, la communauté sur Instagram a été inaugurée en 2012 et sur TikTok en 2020, où nous sommes d’ailleurs la première télé à avoir atteint 1 million d’abonnés » énumère Maxime André, directeur marketing , innovation et communication de M6 Publicité. En 2021, la chaîne arrive sur Snap avec un double objectif :
-une promotion de ses contenus vers une audience puissante (18 millions d’utilisateurs quotidiens en janvier source Médiamétrie) qu’elle ne touche pas forcément, puisque ces jeunes se connectent exclusivement sur leur smartphone.
-un modèle publicitaire exclusif via la régie M6 publicité : « si vous achetez le parrainage de Top Chef, vous l’aurez sur votre télévision, sur 6Play et en exclusivité sur Snap. Il s’agit d’une extension d’audience complémentaire pour les annonceurs sur un format différent » . Les programmes qui marchent sur l’appli ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui cartonnent en télé et inversement. Exemple : L’amour est dans le pré, qui a attiré lundi dernier 3,7 millions de téléspectateurs, n’est pas le programme préféré des addicts de Snap. « En revanche, la téléréalité mais aussi les magazines d’info fonctionnent très bien, avec des stories d’1 million de vues et un record à 4,4 millions ». La France constitue selon Rami Saad, responsable media partnership de Snap, un des principaux marchés de l’appli hors Etats-Unis (Evan Spiegel, son cofondateur, a été naturalisé Français en 2018) : « c’est le premier anniversaire de ce partenariat dont je suis très fier et j’ai hâte de voir ce que nous allons faire ensemble dans le futur ».