Qui ?
Khoi Truong, ex chief customer data and digital operation de L'Oréal, et co-fondateur de Manoeuvre.
Quoi ?
Une interview (qui devrait faire tousser certains) de l'un des auteurs de Mange ta soupe sur le pilotage automatique des campagnes, sur sa nouvelle société qui aide les grandes marques à piloter leur data au plan mondial, pas à pas. (Khoi va faire l'intro de jardins ouverts jardins clos le 28 septembre. Demandez vos places !)
Comment ?
Qu'est-ce que Manoeuvre ?
C'est l'ambition de rendre le Consulting opérationnel. Les big five proposent des grands projets stratégiques qui sont rarement déployés à pleine capacité en entreprise, tandis que les agences n'ont souvent la responsabilité qu’à la dernière étape de la chaine de montage. Entre la stratégie et la dernière étape de la chaine de montage, il y a un gros gap. De là, notre positionnement. Nous ne vendons pas de technologie ni n'offrons le service d’activation marketing. Nous avons un positionnement neutre, pour accompagner nos clients dans l’opérationnalisation de leur stratégie.
Les grandes entreprises, qui ont plusieurs marques dans plusieurs pays, ont besoin d'une nomenclature standardisée, partout dans le monde, pour leur reporting sur l'efficacité de leurs actions. Mais c'est un travail ardu, pour lequel les professionnels doivent être disciplinés; et cette ambition provient en général d’un besoin du global et pas des équipes opérationnelles locales. Que le travail soit effectué ou non, cela a peu d’impact pour les équipes locales. Du coup, nous proposons aux grandes entreprises d'entreprendre ce chantier de fourmi pour elles. Un chantier qui prend des mois et demande à la fois la connaissance des outils et des organisations.Les clients viennent nous voir pour savoir où ils se situent sur le spectre de l’excellence en digital. Car s'ils demandent à leurs agences, et à leurs équipes internes, la réponse est évidemment 'oui, nous sommes excellents'. Pour avoir la réponse, il faut un diagnostic 360, aller dans les plateformes telles que Google et Facebook pour y auditer les différentes configurations, réviser des processus et des modèles opératoires... Pour arriver à une excellence d’exécution, il faut une image fidèle de la situation actuelle et identifier les opportunités. Mais dans les grandes sociétés, ce type de missions laborieuses ne sont pas les plus valorisées. Ainsi, la définition et le déploiement d’une nomenclature de campagnes.
Avez-vous des concurrents ?
Il y a certainement des firmes conseils boutiques mais nous ne les connaissons pas. Dans les grands noms, Accenture a un rôle de conseil dans ce domaine -mais aussi d’agence puisqu’ils ont fait plusieurs achats dans les dernières années.
Pourquoi les agences média n'apportent-elles pas de réponse à cette question de mesure de l'efficacité ?
La mesure standard de l’efficacité d’une campagne est restreinte à quelques éléments : le coût relatif à une certaine action dans un espace temps donnés. Répondre pleinement à la question d’efficacité demande une profondeur d’analyse impliquant plusieurs variable auxquelles les agences n’ont pas accès ou pour lesquelles elles n’ont pas encore développé de méthodologie. Le Customer Lifetime value est une de ces variables. Un consommateur vaut-il 1 000 € ou 3 000 € ? La question semble anodine, mais la réponse s'avère compliquée. Les données permettent d’approfondir les analyses et de répondre aux bonnes questions business. Combien la marque est-elle prête à payer pour un nouveau consommateur ? et pour qu'il réachète ? Faut-il dépenser beaucoup pour un consommateur qui achète tout en promotion ? Aujourd'hui, on met tout dans un même panier, pour des raisons de simplicité d’analyses mais aussi de simplicité d’opération.Et puis, le digital est un process de connaissance en continu, et pour cela, il faut faire des tests. Réfléchir aux questions qui sont relativement faciles à répondre, et à celles qui apportent le plus de valeur. Et ne pas oublier de se poser la question « Est-ce que l’efficience potentielle vaut l’effort opérationnel ?».
Qui devrait être en charge de faire les tests ?
C’est une étroite collaboration entre les agences et la marque, qui doit sélectionner des questions et assurer le suivi avec l’agence. Nous croyons que les actions simples sont celles qui amènent plus de valeur. La discipline suit un process méthodique. Malheureusement, le milieu du marketing digital ne récompense pas assez l’excellence en exécution. Pour les équipes, c'est plus drôle de créer un skin dans un monde virtuel, payé par 10 personnes, que de gérer la gouvernance des influenceurs pour éviter du contenu non-brand safe ou de faire une feuille de route de KPI...
Vous avez écrit le chapitre dédié au pilotage automatique des campagnes par les plateformes. N'est-ce pas la démission suprême ?
Les Gafa disent aux marques 'laissez nous tout faire, avec nos algorithmes, car si vous essayez de piloter vous-mêmes, les résultats seront moins bons.' Et c'est vrai...A moins d'avoir une super équipe qui coûte très cher (et donc de très très gros budgets marketing).
Mais il faut se poser des questions. Ne pas accepter tout cru ce que les GAFA disent, les tester. Aujourd’hui, les GAFA misent sur la facilité, car les petite et moyenne entreprise représentent la très grande majorité de leurs clients.
Votre métier, centré sur la data globale, ne consiste-t il pas à renforcer toujours le pouvoir des plateformes ?
Effectivement, nos clients, pris dans l'opérationnel du quotidien ne pensent pas trop aux impératifs de souveraineté et à leur dépendance aux plateformes. Mais la pratique des tests permet aussi de réouvrir les options : on peut tout à fait intégrer des acteurs comme Teads ou Outbrain dans les tests pour comparer leur coût et performances ...De plus, Google et Facebook ont tissé tout un réseau d'experts certifiés- au bout d'une journée... Leurs compétiteurs doivent adopter la même démarche pour percer. Sur le marché il est beaucoup plus facile de trouver un expert de DV360 que de Trade Desk par example.
Comment les marques peuvent-elles gagner en autonomie et redevenir clientes des plateformes, sans subir leur loi ?
Etre autonome et sans subir la loi des plateforme peut être difficile puisque l’univers digital est basé sur des algorithmes. Les utilisateurs et clients des platformes sont donc un peu à leur merci.Déjà, pour les annonceurs, pour gagner de l’autonomie, il faut pouvoir comprendre le rôle et l’impact des différents acteurs dans leur ecosystème. Pour ce faire, ils doivent se doter d’experts de leur côté et ne pas laisser la direction et le contrôle entièrement à leur partenaire. L’autonomie commence par s'assurer que l’annonceur soit bien le propriétaire des comptes, de la data, pour être en mesure de guider ses partenaires sur le fonctionnement. Cela s’avère très important, par exemple dans la standardisation de la data. Avoir des experts à ses côtés permettra aussi de comprendre le fonctionnement des algorithmes pour établir des plans de tests et de l’analyse statistique. Je crois que les annonceurs doivent mieux comprendre comment les algorithmes fonctionnent, travailler avec leur partenaire pour en tirer le maximum et mettre en place le monitoring, dans le temps.
Comment analysez-vous la hausse des tarifs des plateformes ?
C'est évidemment une question d'offre et de demande, mais aussi un effet de la domination des plateformes. Aujourd’hui une bonne partie des achats média se font par le mode d’enchère avec quelques variables de qualité. Si l'on regarde dans la vie réelle, les enchères ne partent pas de 0.01€ mais bien d’un prix plancher défini. Donc si j’étais dans la position des plateformes où l’un de mes buts premiers est de générer du revenu, j'augmenterais le plancher pour augmenter toujours mes revenus. Ainsi, par définition, l’augmentation du prix plancher combiné avec l’offre et la demande augmente nécessairement le coût du média. Ce n’est qu'une hypothèse, je ne sais si les plateformes le font. Par contre, j’ai pu lire par plusieurs experts qu’il est quasi-impossible de gagner l’enchère à 0.01€ même s’il n'y a aucune compétition. L’ambition serait de pouvoir travailler avec plusieurs clients, anonymiser leur data, et y faire des analyses sur plusieurs années. J’ai entendu plusieurs personnes parler d’inflation du coût du média mais nous aimerions bien pouvoir y faire l’analyse et ainsi offrir l’inisghts à nos clients.
Manoeuvre intervient aussi dans le champ des RH...
Oui, nous faisons des audits pour que les marques puissent piloter leurs datas et activités marketing au plan mondial. Il y a plusieurs facteurs à prendre en considération dans nos interventions : l’état actuel du département, identifier les éléments manquants pour atteindre ses ambitions (ressources, process) et nous accompagnons le clients à bien définir une feuille de route pour leur future équipe. L'objectif est de rendre opérationnels les chantiers rapidement. Dans le cadre d’équipe globale, la gouvernance envers les équipes locales est un sujet qui demande une bonne communication et aussi de gagner en crédibilité auprès des marchés.
Un de nos mandats préférés, c'est quand on internalise un champs d’expertise auparavant géré par une agence. Cela une demande une bonne compréhension du métier, revoir les processus, les plans de communications, formation et les différentes tâches opérationnelles autrefois chez l’agence qu’on transpose aux clients. Quoique complexe, ce type de projet redonne une grande autonomie aux marques.
Nous accompagnons les entreprises dans leur organisation et leur learning agenda, et nous les aidons à adopter les bons KPI (key performance indicator). Souvent, les organisateurs ont de grande ambitions sur leur data tel que d’avoir une vu 360 sur son consommateur. Mais pour faire quoi ? Une question banale mais difficile . Nos interlocuteurs du département data nous pointent alors le service marketing. Mais ceux-ci ont des grandes idées, une vision, mais pas d’utilisation concrète de la data. Un projet sans définition de cas d’usage clair sera mené en pure perte. Nous organisons donc plusieurs workshop et interview pour forcer les gens à se parler, extraire les détails qu’ils ont derrière leur vision. Nous croyons vraiment à la démarche de petit pas, faire des choses simples à valeur ajouté maximum pour ensuite aller dans la complexité.
Quels sont les champs à travailler pour avoir une feuille de route ?
Pour établir une feuille de route, il faut déjà avoir une bonne vue sur la situation actuelle. Mais déjà, il y a étape simple qui est être propriétaire de ses comptes et donc de la data. Aujourd'hui, les comptes des plateformes sont chez les agences, et, si l'annonceur change d'agence, la data suit l’agence et non la marque, l'annonceur perd tout ! La transparence à ses propres activités est la clé et devrait être la premiere étape. J’aime bien prendre cette analogie, vous êtes propriétaire de la voiture, vous connaissez bien comment elle fonctionne , vous avez les chef ingénieurs dans vos équipes. Avec vos experts, vous avez planifié une votre « road-trip » . Maintenant, certains aiment mieux laisser le volant à leur partenaire, quand d’autres désirent y avoir la main.