Qui ?
La rédaction de Petitweb, équipée de gilet pare-balle.
Quoi ?
Un point d'étape sur la guerre entre Facebook et Apple, en arpentant les couloirs des palais de justice et des réseaux sociaux.
Comment ?
Depuis le 16 décembre dernier, Facebook mène un lobbying intense contre Apple, qu'il accuse de distordre la concurrence avec ses nouvelles règles de protection de la vie privée, qui rentreront en vigueur très prochainement.
Le 16 décembre, le groupe se présente, dans un communiqué publié sur son site, comme l'ami et le porte voix des petits commerces, mis à mal par la Covid, et contre la nouvelle politique d'apple à l'occasion de la version 14 de son système d'exploitation, iOS. Le lendemain, il publie des annonces dans les principaux quotidiens américains, avec l'intention d'influencer ceux qui font la politique du pays (voir ci-dessous).
En effet, au printemps, les propiétaires d’iPhone (20 % du parc mondial de smartphone, environ 35 % en France, mais surtout, une cible de choix pour les marques, puisque la possession de Devices apple indique un certain pouvoir d'achat) devront décider s’ils veulent que leur consommation de leurs apps soient tracées.
Deux jours plus tard, Tim Cook répond en un twit (ci dessous) : Facebook pourra continuer de tracer l'utilisateur entre ses apps et ses sites Web, il lui faudra "juste"expliquer pourquoi les utilisateurs doivent autoriser le tracking. Et il présente l'écran que verront les utilisateurs au printemps.
We believe users should have the choice over the data that is being collected about them and how it’s used. Facebook can continue to track users across apps and websites as before, App Tracking Transparency in iOS 14 will just require that they ask for your permission first. pic.twitter.com/UnnAONZ61I
— Tim Cook (@tim_cook) December 17, 2020
Le 24 décembre, The Intercept met Facebook dans une position délicate. Le groupe, ami des petits, ne veut pas priver les commerçants de son ciblage ? Est-ce vraiment dommage ? L'article exhume un jugement (publié ici) , qui établit que le ciblage Facebook est fiable à 60 %.
L'action avait été menée en 2018 par un petit annonceur, justement, éditeur d'une lettre, "The Investor Village", qui souhaitait cibler des investisseurs. Facebook a tout fait pour que les documents révélés lors du procès lui soient rendus, en arguant qu'ils étaient confidentiels. En vain. De fait, ces docs internes sont très embarrassants pour le groupe. Surtout dans la période actuelle de lobbying. The Investir Village voulait cibler des investisseurs ? Dans sa campagne, 40 % de la cible n'avait pas fait d'études supérieures.
Dans son ciblage, Facebook combine centres d'intérêt et comportement. Les intérêts, ce sont les choses que vous aimez, des aliments bio aux films d’action .Et le comportement, les achats précédents et les devices utiisées (marque de mobile etc).
Un mémo interne de 2016, révélé par le jugement, confie que l"interest precision est de 41 % aux USA et c’est pire à l’international". Un autre document célèbre qu'en 2018, le "detailed targetting représente 18 % des revenus publicitaires". Un ingénieur remarque "si l’option la plus populaire est de combiner intérêt et comportement, et que nous savons que le comportement est foireux, est ce que nous trompons les annonceurs ?" D'autres documents produits au procès montrent que les équipes considèrent la pertinence comme "de qualité abyssale". La défense du groupe de Zuck ? Les docs internes sont sortis de leur contexte et le groupe n'a jamais garanti la pertinence complète du ciblage :"La publicité qu’a vue le client ne pouvait apparaitre comme garantissant un taux de pertinence du ciblage." Steve Molo, l’avocat d'Investor Village , enfonce le clou: "Facebook n’est pas l'ami des petits business. Comme notre class action le détaille, Facebook a mal communiqué sur sa capacité à cibler correctement ses publicités, à la grande stupeur de ses propres employés".Dipayan Ghosn, co-directeur de la Digital Platforms & Democracy Project est enseignant à la Harvard Kennedy School. Il était aussi le conseiller digital du President Barack Obama, et travaillait jusque récemment sur la politique publique chez Facebook. il commente le lobbying actuel : "Facebook n'est l'ami de personne, sauf de Facebook."
Tout le monde savait ?
La mauvaise qualité du ciblage de Facebook n'est pas nouvelle pour nos lecteurs : nous avions déjà signalé dans nos indiscrets la faiblesse des centres d'intérêt de Facebook, en examinant notre propre profil. Et Jeremy Bendayan, qui dirige Splashr, une agence de création de vidéos sociales, avait dit adieu au ciblage systématique sur Facebook (voir ici). Aujourd'hui, il se préparer à ce remettre à ces fonctions de ciblage et nous commente la situation actuelle : "Ca change le business model, Facebook va se baser sur de l'estimatif. Comme la population qui utilise iOs est environ la moitié des cibles recherchées par le marché, il y aura beaucoup plus de suppositions et plus de dérives. Il est de plus en plus dur d'optimiser sa campagne, à l'ère de la fin des cookies tiers. Et aujourd'hui, c'est encore pire. L'algo de Facebook va être moins intelligent pour cibler. Il faudra à nouveau utiliser le ciblage de Facebook, aussi défaillant qu'il soit! "
Apple, un chevalier blanc non sans arrières pensées
Reste que les motivations d'Apple ne sont pas claires comme le cristal. Nicolas Rieul, le patron de Criteo en France réplique au Twit de Tim Cook : "Mais pourquoi Apple n'applique-t-il pas ce consentement à son propre ciblage ? ". Et n'a pas obtenu de réponse.
We believe users should have the choice over the data that is being collected about them and how it’s used. Facebook can continue to track users across apps and websites as before, App Tracking Transparency in iOS 14 will just require that they ask for your permission first. pic.twitter.com/UnnAONZ61I
— Tim Cook (@tim_cook) December 17, 2020
Dans ce thread, l'analyste Eric Seufert établit qu'Apple favorise son propre réseau pour la publicité mobile. Ce qui rendrait légitime le projet de recours de Facebook auprès des autorités de concurrence, révélé par The information, le 28 janvier dernier. Ce recours de Facebook n'est pas certain, car il apparait compliqué de poursuivre la guerre dans les prétoires. Mais les modalités de circulation de l'information sur le ciblage entre le jardin clos Apple et le reste du monde ne sont pas encore précisées. Le même jour, Apple fait savoir ici qu'il facilitera le ciblage, via SKadnetwork :"Nous allons actualiser SKAdNetwork et ajouter Private Click Measurement support for apps, pour permettre aux réseaux publicitaires de mieux calculer l'attribution des publicités placées dans les apps . Private Click Measurement permet la mesure des campagnes qui conduisent l'utilisateurs sur les sites Web en préservant leur vie privée."
Le 29 janvier, Tim Cook se confiait en vidéo à la conférence sur la data privacy, (vue 190 000 fois) . Il reprend les arguments du fameux documentairequi a fait 38 millions de ces sur Netflix. "The social dilemma" , ne peut pas devenir une catastrophe sociale. Les réseau sociaux pourrissent la démocratie avec les théories de la conspiration, alimentée par les algorithmes. Tous les engagements ne sont pas bons."
TIM COOK: "Rampant disinformation & conspiracy theories juiced by algorithms-we can no longer turn a blind eye to a theory of technology that says all engagement is good engagement.”@carolecadwalla has said for yrs, FB is “handmaiden for authoritarianism”pic.twitter.com/4QCZUpIyEG
— Rula Jebreal (@rulajebreal) January 29, 2021
Le torchon brûle entre Facebook et Apple. Et ce n'est pas fini. Rien ne dit que Facebook poursuive Apple en justice, mais la guerre de lobbying va encore s'intensifier, ainsi que la concurrence entre deux groupes ouvertement ennemis, dont l'un, Apple a un lien très puissant avec Google. Zuck l'a annoncé : Facebook va concurrencer Apple sur l'immersive computing et le messaging.
Préparez vos popcorn.