Qui ?
Frédéric Bardeau, co-fondateur de Simplon.co et auteur de "Lire, écrire, compter, coder".
Quoi ?
Une interview, pour comprendre le modèle et les ambitions de cette "fabrique sociale de codeurs" installée à Montreuil depuis 2013.
Comment ?
- Simplon.co a ouvert ses portes à Montreuil en 2013 : comment avez-vous élaboré le projet ?
A l’époque j’étais professeur au CELSA et j’avais deux étudiants autodidactes qui s'étaient mis au développement tous seuls, via Le Site du Zéro/Open Classrooms. En février 2013, ceux-ci sont venus me voir parce qu'ils savaient que j'étais déjà entrepreneur social, que j'étais passionné par le numérique, et que je travaillais dans différentes ONG. Ils m’ont proposé l’idée de monter un projet inspiré des Boot Camps, ces camps de formation accélérée au code qui ont commencé à San Francisco vers 2005. J'étais un peu sceptique au départ, je ne voyais pas le modèle économique. Le lendemain, je leur ai envoyé un e-mail avec 25 questions, à la moitié desquelles ils n'avaient pas de réponse mais, au moins des pistes. Pour les autres, c'était plutôt évident dans leur tête. A ce moment-là, j’ai eu un déclic, j'ai arrêté tout ce que je faisais, et nous avons lancé Simplon.co à Montreuil. Depuis, ça a été un enchaînement assez phénoménal, qui ne s'est pas encore arrêté !
- Quel est le modèle économique de Simplon.co ?
L’agrément "entreprise sociale et solidaire" est donné par l'Etat, sur la base de critères d'engagements politiques, financiers, stratégiques. Le premier critère est de recruter des gens en insertion ; le deuxième, d'encadrer l'échelle de salaires entre un et six fois le SMIC ; le troisième, de ne jamais être côté en bourse et de reverser l'intégralité de nos revenus non pas à des actionnaires mais en réinjection dans le fonctionnement de l’entreprise ; et le quatrième, c'est d'avoir une gouvernance de type démocratique. Nous avons mis tout cela dans nos statuts. Notre modèle économique est donc typique d'une entreprise sociale et solidaire : un tiers de nos revenus provient de nos partenaires, comme Orange, Microsoft et d’autres, qui participent en mécénat-sponsoring, un tiers vient de l'autofinancement, avec la vente de prestations, aux particuliers et aux entreprises. Quant au dernier tiers, il provient de subventions liées à la région, ou à Pôle Emploi, notamment.
- Quelles sont les autres activités de Simplon ?
Nous faisons aussi des cours pour enfants. Au départ, l’idée était de servir un objectif de transmission propre à notre pédagogie, pour faire en sorte que les étudiants donnent des cours de code à des enfants et valident ainsi l'acquisition de leurs compétences. C'est rapidement devenu une activité à part entière.
- Cette formation au code ne devrait-elle pas plutôt être prise en charge par l’école ?
J’ai publié un livre sur le sujet qui s'appelle "Lire, écrire, compter, coder", pour faire le point sur toutes les initiatives mises en places en Europe. En Angleterre, en Estonie ou en Finlande, cela va bientôt faire dix ans que des cours de code ont été intégrés en primaire. En France, en ter 1984 et 1985, des cours de code avaient été imaginés dans le cadre du plan informatique pour tous, mais cela n'a duré qu'un an. Il va falloir qu’on s'y remette. En Finlande par exemple, l'écriture scripturale va être abandonnée, pour mettre tout le monde au numérique. Notre conviction, c'est qu'il faut que ces formations passent par le périscolaire. Il faut aussi faire de la formation de formateurs, sinon cela ne peut simplement pas fonctionner : auprès des associations, chez les professeurs, partout. Un dernier point : avoir cet aperçu sur l'informatique, ce n’est pas simplement pour devenir les meilleurs sur le marché et pour battre les américains, mais c'est aussi parce qu'il y a une question de citoyenneté, d'illettrisme numérique. Il s’agit d’être capable de reprendre la main sur ses données. Apprendre à coder, c'est aussi une manière d'apprendre à lire, à écrire et à compter, tout en apprenant le travail collaboratif ou à accepter l’erreur.
- Quel est le profil de vos étudiants ?
Nous avons 50% de filles et 50% de garçons : c’est un grand cheval de bataille chez nous, avec celui de la diversité sociale. Nous mêlons des diplômés et des non diplômés, des jeunes et des vieux - la fourchette d'âge va de 18 à 54 ans – et nous mélangeons aussi les origines géographiques. Cette diversité est très importante pour nous. Il nous est arrivé d'avoir les candidatures de 15 personnes de la même tour, dans la même cité. C’est bien, parce que ce sont tous des « décrocheurs », mais c'est finalement moins riche et moins intéressant pour l'enseignement que de brasser des gens.
- Quel bilan tirez-vous des deux premières promotions ?
Nous avons de bons chiffres en termes d’insertion - en moyenne, 60% des gens en sortie d'étude trouvent un boulot, nous en sommes plutôt à 75%. Un tiers des gens sont recrutés en CDI, un tiers choisissent l’auto-entrepreneuriat et un tiers qui sont soit en incubation ou en lancement de projet, soit en poursuite de formation. Il y en a aussi qui enchaînent sur d’autres formations, comme celle de l’école 42.
- Est-ce qu’il y a d’autres Simplon ?
Oui ! Nous en avons lancé un à Villeneuve la Garenne en janvier 2014, il y a déjà une promotion de 6 mois. Une ancienne simplonienne en a aussi ouvert un à Cluj, en Transylvanie, en Roumanie, et puis un autre a été ouvert en milieu rural, à La Loupe dans le Perche. Nous avons aussi une dizaine d'essaimages prévus pour 2015, en Afrique du Sud, en Guadeloupe, en Ardèche, en Guyane, à Marseille, Lille, Nantes, etc. Ce ne sont pas des filiales, pas des copier-coller, ce sont des projets adaptés au territoire, soutenus par des porteurs de projets locaux, ce n'est pas nous qui détachons quelqu'un. Il peut s’agir d'anciens simploniens, des entrepreneurs au courant de l'initiative ou des gens issus de l'écosystème local. Nous avons aussi des agglomérations ou des Conseils Généraux qui viennent nous dire "j'ai un espace de coworking mais il me manque des codeurs, est-ce qu'on pourrait faire quelque chose ensemble ?" Bien entendu, le modèle a une composante payante qui nous permet de financer nos activités.
- Avez-vous d’autres projets, en plus des prochains Simplon ?
Le reste de la feuille de route de Simplon, en dehors de l'essaimage géographique, c'est l'ouverture de nouvelles filières. Le métier de développeur est en tension : il n'y a pas que lui, il y a aussi l'administrateur système, le chargé de sécurité cloud, les métiers de la data, etc. Le but est aussi d'élargir les publics que nous touchons. Nous avons aussi envie d'aller chercher des réfugiés ou des gens dans les prisons, pour leur apprendre à coder.
Propos recueillis par Mathilde Saliou