Qui ?
Aurélien Magnan, co-fondateur d’Elevate, Véronique Pican, DG de Smart France, Luc Vignon, DGA de 366, Mykim Chikli, CEO EMEA de Weborama, Baptiste Drouilhet, Project Manager Data Activation de la SNCF, Benjamin de la Bretesche, directeur des Ventes Europe du Sud de Treasure Data, Emery Jacquillat PDG de Camif (en photo).
Quoi ?
Fin des cookies, Google analytics, souveraineté, éthique, les responsables data ont beaucoup beaucoup de pain sur la planche. La matinée "Permis de conduire ma data" leur apporte certaines réponses (voir aussi cet article sur la donnée et le retail , et cet autre, sur les 3 guerres de l'Internet).
Comment ?
Google Analytics pèse 80 % de parts de marché en France. Comment se passer d’un outil aussi utilisé ? En février, la CNIL a envoyé des mises en demeure à plusieurs gestionnaires de sites pour qu’ils cessent de se servir de ce logiciel, car elle estime que les transferts des données personnelles vers les Etats-Unis sont illégaux. Quelles sont les alternatives ? Et quelles méthodes permettraient de le conserver de manière conforme au RGPD ? C'était le thème de l'intervention d'Aurélien Magnan, co-fondateur d’Elevate [vidéo ici], « Le premier frein est l’absence de recul car cette décision est récente,. Et le deuxième, c’est le nombre limité de sites mis en demeure. La troisième limite, c’est l’évolution des technologies » . L'agence data et tech du groupe Team Inside travaille avec les services juridiques de ses clients sur ces problématiques. Le 13 janvier 2022, la DPA (l’autorité autrichienne de protection des données) a considéré que Google Analytics ne respectait pas le RGPD. Le 28 janvier, Google et Facebook ont été sanctionnés en France sur leur non respect de la manière de collecter le consentement. Le 10 février, la CNIL a donc envoyé ses mises en demeure : les usagers de Google Analytics doivent adapter le paramétrage ou interrompre son utilisation. Enfin, le 25 mars 22, la présidente de la Commission Européenne et Joe Biden ont annoncé avoir trouvé un nouvel accord sur le transfert-qui n’a pas encore été formellement validé. Du coup, les annonceurs et éditeurs ont toujours le sujet GA en haut de leur pile de dossiers. « Avant, l’enjeu était le consentement. Il en existe désormais un nouveau : le transfert de la donnée » explique Aurélien Magnan.
Elevate a fait un état des lieux des décisions prises par 25 de ces clients, dont 20 grands comptes, qui utilisent tous Google Analytics, 40 % d’entre eux possédant aussi une solution en complément (AT Internet, Matomo, Adobe Analytics, etc.).
Trois types de réaction des utilisateurs de Google Analytics
1 Attendre des précisions de la CNIL et l’avis du DPO (délégué à la protection des données).
2 Lancer un audit de la collecte des données et étudier la mise en place d’une solution alternative.
3 Débrancher Google Analytics dès que possible.
« In fine, deux tendances se sont dessinées : conserver le logiciel de Google car on sait que l’outil va s’adapter. Ou décommissionner progressivement Google Analytics en installant une deuxième solution en parallèle » décrit le co-fondateur d’Elevate.
Une proportion de 50 -50 que l'on retrouve aussi chez les annonceurs présents à cette matinée. « Si l'on décide de conserver Google Analytics, il faut poursuivre le travail de conformité : une bannière de consentement sur le site connectée au gestionnaire de balises, pas de données personnelles, une durée de stockage de 30 mois et un renouveau du consentement tous les 13 mois. Le décommissionnement nécessite une étude des solutions alternatives avec les équipes juridiques, une compréhension de leur impact d’un point de vue technique et la mise en place d’un planning de déploiement » .
On le voit avec Google analytics, le choix d'un outil technologique peut avoir des conséquences lourdes chez les annonceurs et les éditeurs. C'était le thème choisi par Véronique Pican, qui dirige l'ad server Smart, pour cette matinée [vidéo ici] « Qu’il s’agisse d’un outil de mesure, d’un ad server, d’une DMP (data management platform) ou de recueil de consentement, parfois c’est l’outil qui choisit à votre place » met en garde Véronique Pican, DG de Smart France. « Il faut se rappeler que ce n’est pas la truelle qui fait le mur, c’est le maçon » rappelle Luc Vignon, DGA de la régie 366 qui fédère un écosystème complexe de 10 groupes de presse, 56 quotidiens et 46 sites Web. « Un ad server a trois fonctions principales. Il publie de la publicité, il s’interconnecte et il décide : quelle pub, à quel endroit, à quel moment, à quel prix. Si ce n’est plus la régie qui prend cette décision, ça pose problème ». 366 a donc développé son propre wrapper (code javascript) pour les enchères, des outils de monitoring pour voir les réponses à ces enchères, et possède des équipes qui appliquent la politique commerciale. Luc Vignon se méfie des offres « all inclusive » pour les outils d’activation, mais refuse aussi les empilements de technologies. Pour Véronique Pican, « il faut établir un cahier des charges avec ses propres conditions et accepter de faire un AB testing des solutions ». « Pour le consentement, nous avons testé plusieurs outils puis nous avons adopté une logique de test permanent. Les comportements évoluent et les technologies aussi » approuve Luc Vignon. La data first party est-elle une opportunité pour l’éditeur de reprendre la main ? « Oui. On se fait piller nos données depuis longtemps sur un Internet ouvert. Mais ce n’est pas parce que de jolies tomates sont proposées sur un étal que vous pouvez les prendre. Pour nous, c’est pareil : la data contextuelle, c’est la nôtre. Nous avons 5 800 journalistes, 2 500 correspondants locaux, 35 000 contenus quotidiens. C’est un investissement énorme ! » rappelle le DGA de 366.
Une fois les technologies choisies et maîtrisées, une question demeure : comment faire dans un monde sans cookies [vidéo ici]? Mykim Chikli, CEO EMEA Weborama, rappelle les différents sujets d’inquiétude pour les annonceurs : « la disparition des cookies tiers est actée, la baisse du consentement est aussi une réalité, et la complexité des outils, indéniable. Quand on est un acteur aussi important que SNCF Connect avec 26 millions de clients comment aborder les sujets d’interopérabilité ? » Réponse de Baptiste Drouilhet, Project Manager Data Activation SNCF : « je pense qu’il ne faut pas trop s’en préoccuper car des solutions émergent. Pour moi, la première arme à utiliser, c’est l’e-mail appliqué à sa stratégie CRM ». La SNCF utilise aussi les solutions de Weborama pour faire du CRM on line et off line. L’installation d’une DMP a demandé des pré-requis : bien connaitre ses clients, sa data et nourrir cette base de données avec des données pertinentes. La question des identifiants standardisés ou uniques se pose également : « je pense qu’ils feront partie du paysage en 2023. Notre position est d’attendre, car je ne suis pas capable pour l’instant de choisir une ID unique » précise Baptiste Drouilhet. Côté ciblage et activation, SNCF Connect utilise principalement de la first party data et du ciblage contextuel sémantique pour faire de la prospection.
Fin des cookies : l'émergence des social ads
Quid des places de marché de second party datas, comme celles que peuvent proposer des sociétés tierces telles que les agences de voyages ou les éditeurs de guides ? Pour Baptiste Drouilhet, « la donnée seconde partie est pertinente, notamment avec la fin des cookies tiers. ». La connexion de la DMP avec les médias a été opérée selon une logique d’audience planning : « un sujet qui va prendre de l’importance, c’est le social media et les social ads comme prolongement des campagnes CRM » décrit le Project Manager Data Activation SNCF.
Le brasseur belgo-brésilien AB Inbev a lui fait le choix d’installer une CDP (customer data platform) [vidéo ici]. Avec ses 400 marques de bières dans 100 pays et un chiffre d’affaires de 60 milliards de dollars, le groupe est leader mondial du marché de la bière. Benjamin de la Bretesche, aujourd'hui à la tête de Treasure Data, était aux manettes. "C'est un article sur Procter, qui voulait économiser 2 milliards sur 10 milliards de dépenses publicitaires, qui a fait démarrer ce chantier chez AB in Bev." Deux ans plus tard, les résultats sont au rendez-vous. « Tout a commencé avec un article qui disait que Procter & Gamble voulait économiser 2 milliards de dollars sur 10 milliards de budget marketing. Pour y arriver, il n’y a pas de secret : il faut réduire ses dépenses et augmenter ses ventes » analyse Benjamin de la Bretesche, Directeur des Ventes Europe du Sud de Treasure Data, la CDP choisie par AB Inbev. Un audit des 42 solutions martech utilisées par le groupe a été effectué. Ensuite, le budget média a été scruté. « Combien dépense-t-on chez Facebook ? Des centaines de millions de dollars. Combien de données reçoit-on ? Zéro. L’objectif était de redevenir propriétaire de nos données consommateurs ». En 2018, le groupe s’est intéressé aux CDP et aux first party datas. À l’époque les programmes marketing sont gérés par les marques. « La CDP a permis d’être « consumer centric » dès 2018 » précise Benjamin de la Bretesche. La CDP peut être divisée en deux parties, l’une technique (je collecte et je fais de la déduplication de profils) et une partie business (segmentation puis activation). AB Inbev avait planifié six mois pour déployer chaque partie. « Finalement, on a réussi à injecter de la donnée en 6 à 8 semaines. Le plus long étant de convaincre les équipes en interne ». Deux ans plus tard, la CDP est devenue le centre névralgique des solutions utilisées : sites Web, WiFi dans les bars, événements (Coupe du Monde de foot, festivals), e-commerce et BtoBtoC. « Nous avons également testé WeChat en Chine, WhatsApp Business dans certains pays et Alexa d’Amazon » ajoute le directeur des Ventes Europe du Sud de Treasure Data. La première phase a consisté à choisir parmi les 120 vendeurs de solutions de CDP et c’est Treasure Data qui a été élu. Un pilote a été réalisé dans trois pays : en Colombie, parce que ce pays fait beaucoup de e-commerce, au Mexique, premier pays à réclamer une CDP, et au Brésil pour le volume de datas. Le Mondial de Foot de 2018, où Budweiser était sponsor, a servi de cas d’usage grandeur nature. Les équipes techniques du brasseur ont ensuite écrit les « 8 piliers de la CDP ». « Les plus importants étant l’UX, qui devait être utilisable par n’importe qui et pas seulement par les data scientists, et le machine learning. Parmi les cas d’usages, mes préférés sont le customer clustering - la CDP détecte automatiquement les segments avec des gros potentiels, - et le budget prédictif » évoque Benjamin de la Bretesche.
A la recherche du prénom
Le plus gros concurrent du brasseur n’est ni Heineken ni Carlsberg mais les « craft beers » (brasseries locales), qui pèsent 15 à 20 % de parts de marché dans le monde. Le groupe rachète ces brasseries et nous a demandé de prédire quels consommateurs dans un pays donné possèdent le budget suffisant pour acheter ces bières de meilleure qualité mais plus chères. Un test a été réalisé pour le lancement de Corona Light au Mexique. Treasure Data s’est aperçu que le genre des consommateurs n’était pas présent dans la base. L’équipe a donc écrit un workflow pour analyser le prénom dans l’adresse e-mail, ce qui a réduit de 84 % la non définition du genre. Ensuite, les techniciens ont joué avec les second party datas, en l’occurrence les données météo. « Cette bière ne se vend que s’il fait plus de 25 degrés et si le ciel est bleu » précise Benjamin de la Bretesche. Les pays de l’hémisphère sud ont été les plus rapides à adopter cette CDP. Ceux du nord ont rejeté le projet, comme les Etats-Unis, ou parce qu’ils avaient des DMP. « Deux ans plus tard, la CDP est implantée partout pour les 400 marques et le groupe a économisé 36 % de ses dépenses en média digital » conclut le directeur des Ventes Europe du Sud de Treasure Data.
L’usage de la data peut-il être responsable ? Dans ce cas, il faudrait envisager de cesser d’utiliser Facebook (Facebook Files, Cambridge Analytica) et Google (Bernanke, Jedi Blue) . Plus facile à dire qu’à faire tant les annonceurs, éditeurs et prestataires sont dépendants des deux géants. Pourtant, la Camif, ecommerçant qui a opté pour une démarche responsable, l’a fait avec sa « journée sans Google » le 1er mai 2021 pour protester contre l'augmentation de 2 % des tarifs publicitaires imposée par la plateforme. « Avant de parler de data responsable, il faut se demander ce qu’est une entreprise responsable. Est-ce celle qui respecte des normes (RSE, RGPD) ? Non. C’est celle qui va mettre au cœur de son métier une contribution positive à des enjeux sociaux et environnementaux » précise Emery Jacquillat, PDG de Camif [vidéo ici]. La loi Pacte a introduit dans le droit le statut d’entreprise à mission, qui peut désormais inscrire sa raison d’être dans ses statuts, la traduire en objectifs de mission et mettre en place une gouvernance avec un comité de mission qui se soumet à l’inspection d’un organisme tiers indépendant pour vérifier tous les deux ans que ces objectifs sont bien respectés. Comment une société responsable gère-t-elle ses données ? Chez Camif, dès 2010, les clients ont pu choisir sur le site camif.fr leurs produits en fonction de critères géographiques (par pays, régions ou départements), sociaux et environnementaux. Donc privilégier, si le client le souhaite, un fabricant local. « Un des effets positifs, c’est qu’avec 77 % de chiffre d’affaires made in France, un emploi créé à Niort (où est implantée Camif) crée 14 emplois en France » explique Emery Jacquillat. Un achat local important puisque 54 % de nos émissions carbone (11 tonnes par an et par Français) sont liées aux importations. « À un moment, il faut aussi se poser la question de la frugalité en matière de données. Comment en utiliser moins et mieux, voire s’en passer ? » questionne le PDG de l’ecommerçant. En 2017, le site a été fermé lors du Black Friday, une journée d’hyper consommation en totale contradiction avec la mission de Camif. « À l’époque, mes actionnaires n’ont pas été très heureux. Mais cela a suscité un vrai engagement dans l’entreprise. L’année dernière, 1 200 sites e-commerce nous ont imité » se réjouit Emery Jacquillat. Sur la durée, ce boycott n’a pas affecté la croissance à long terme qui a augmenté de 40 % depuis 2017, et Camif est devenue la marque préférée des Français dans l’équipement de la maison pour l’engagement responsable. L’autre enjeu est celui de la souveraineté. « Il y a quelques années, nous nous sommes retirés d’Amazon, car c’est un aspirateur de données et c’est aussi un monopsone (un seul demandeur face à de multiples offreurs) qui peut piller les données de ses vendeurs tiers. Cette décision nous a coûté quelques millions d’euros, mais nous avons considéré que la valeur de nos datas était plus importante qu’un chiffre d’affaires à court terme » explique Emery Jacquillat. L’enjeu est de se « dé-Gafaïser » pour retrouver une croissance durable, en se rapprochant de partenaires en affinité avec sa vision. L’année dernière, Camif et Maif se sont rapprochées, la mutuelle prenant 82 % du capital du ecommerçant : « les 3,5 millions de sociétaires favorables à cette consommation responsable vont nous aider à nous développer sans dépendre de Google ». Qui se ressemble s'assemble : l'an dernier, la MAIF a fait un test pour couper ses investissements de Facebook et Google et voir ce que cela donnait, en liaison avec FabeNovel. Fin 2021, Camif s’est associé à Biocoop pour « guider leurs consommateurs vers une consommation engagée ».
Nous sommes la première génération à avoir pris conscience du lien entre nos modes de vie et le dérèglement climatique, et la dernière à pouvoir agir : comment va-t-on utiliser la donnée pour répondre à ces grands défis ? Cette question fondamentale est ouverte. Et la réponse, urgente.