Qui ?
Florent Guiocheau, Chief Data Officer de SeLoger (groupe Axel Springer).
Quoi ?
Une interview, pour comprendre comment SeLoger fait de la donnée un actif stratégique, à la fois source de revenus et moteur de sa performance opérationnelle.
Comment ?
- De quand date le virage "data" de SeLoger ?
Depuis 2016, nous avons initié de gros investissements dans le domaine de la donnée, que ce soit en recrutement, en technologies, mais aussi en marketing, produit et commercialisation. La data a beaucoup de débouchés, mais il faut savoir la mettre en musique.
- Justement, quels sont les "débouchés" de vos données ?
Notre donnée a une forte valeur pour certains annonceurs : nous sommes présents sur un moment de vie très précis, le déménagement. Notre connaissance du marché de l’immobilier a aussi un fort intérêt, pour des promoteurs ou des agents immobiliers. Ce sont deux sujets très différents. Et puis, la donnée a surtout un intérêt pour l’amélioration de notre performance. La data a cette particularité qu’elle est invisible : nous avons besoin de l'ensemble des métiers de l'entreprise pour la transformer en expérience.
- Quels sont les moyens que vous consacrez au sujet ?
Les équipes ont doublé en un an. Sur les 500 salariés de SeLoger, 35 personnes travaillent sur la donnée, au sens large : ce sont des équipes qui apportent un savoir-faire en termes d’analyse de données, des développeurs, ainsi que des équipes qui se nourrissent d'algorithmes prédictifs pour agir sur l'expérience. La data est un investissement de moyen terme, avec des éléments que vous pouvez activer rapidement, comme monétiser un segment d’audience. Mais aussi le plus long terme, comme de prédire les évolutions du marché de l’immobilier, ce qui demande un grand travail de structuration.
- A la différence de beaucoup d’entreprises, vous avez choisi de ne pas mettre en place de DMP ("Data Management Platform") : pourquoi ?
Avoir une DMP ne fait pas une stratégie data. La DMP est un outil, au sens réducteur du terme. Acheter une DMP sans savoir pour quoi faire, ça revient à acheter un outil qui ne sert à rien. Nous avons historiquement pris l’approche inverse de celle du marché : nous avons une plateforme constituée en interne, qui nous permet de capter notre audience, structurer la donnée, l’analyser, créer des algorithmes prédictifs et faire de la personnalisation. En prime, cela signifie que nous avons un prestataire de moins qui accède à des données potentiellement sensibles.
- Cela signifie que vous faites beaucoup de choses en interne ?
Nous avons peu de partenaires : à partir du moment où vous externalisez, vous perdez la connaissance de votre propre donnée. Contrairement aux médias, nous n’évoluons pas dans un monde où la monétisation publicitaire est le cœur de l’activité. Notre objectif premier est de rendre un service à des agents immobiliers et aux Français. Bien sûr, nous monétisons nos audiences, mais nous n’empilons pas les solutions de retargeting ou d’extension d’audiences, ni les cookies, les SDK ou les tags... Nous avons des partenaires publicitaires, mais nous privilégions toujours l’optimisation du temps de chargement des pages.
- L'entrée de SeLoger dans une alliance de type Gravity est-elle à l'ordre du jour ?
Nous suivons bien évidemment ce sujet, comme tous les acteurs du numérique en France. Gravity, c’est à la fois une place de marché data et une place de marché d’inventaires. Pour l’instant, nous considérons que nous avons déjà un énorme champ d’action pour exploiter la valeur de nos données avant de chercher à nous allier avec d’autres. Nous aurions donc vocation à être plutôt du côté des clients que des membres de la plateforme, puisque nous avons aussi une activité d’achat média.
- Quel sera l'impact sur votre activité de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur les données en Europe ?
On ne peut pas dire que ça nous bloque. Des choses changent avec le GDPR, mais beaucoup restent : la CNIL défendait déjà une position assez stricte, avec des procédures, des mentions légales et des opt-in qui font déjà partie de notre expérience. Le règlement apporte des éléments en plus, notamment sur la sécurité, l’échange des données en interne, et sur le consentement, qui devient plus restrictif. Forcément, cela pose des questions à toutes les entreprises en matière de produit. Comment récolter le consentement sans nuire à l’expérience de l’utilisateur ? Comment exploiter les données en s’assurant qu’elles seront oubliées au bout d’un certain temps ? Toutes ces questions transforment progressivement tous les métiers de l’entreprise. Mais nous sommes sereins aussi bien d’un point de vue business que réglementaire.
- Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui voudrait prendre un virage "data" comme l'a fait SeLoger ?
Travailler sur la data, ce n'est pas juste faire un « POC » ("Proof of Concept") et multiplier les prestataires: la plupart du temps, il ne se passe rien ensuite, tout reste à l’état de slides... Au bout d’un moment, il faut un retour sur investissement mais pour cela, il faut absolument éviter de saupoudrer. Réussir dans le domaine de la data, c’est d'abord une question d’impulsion donnée par la direction, qui doit se traduire par des investissements destinés à aligner tous les signaux.
Propos recueillis par Benoit Zante