Qui ?
Fayrouze Masmi-Dazi, fondatrice du cabinet Dazi Avocats.
Quoi ?
La chronique de la 4ième semaine, pour suivre pas à pas ce que la justice américaine veut bien révéler de ce procès historique du web mondial (3° semaine ici, 2° semaine ici ,1° semaine là). L'avocate fera l'ouverture de Jardins ouverts jardins clos le 15 novembre, en racontant ce procès historique. Demandez-nous une place !
Comment ?
Cette quatrième semaine du procès antitrust de Google search lève le voile sur un Google aux airs d’apprenti sorcier, que l’utilisation de l’IA au sein du search risque de renforcer.
En effet, Google confesse procéder à de très nombreuses (parfois plusieurs centaines) expérimentations algorithmiques sur les prix des enchères pour améliorer ses profits : « there is more juice in getting prices right (higher) than in improving the allocation of ads » (sic). Ces « expérimentations » ont rapporté 200 M€ à Google pour la seule année 2022. De l’autre côté du spectre - côté internaute, on apprend que Google ne se contente par de « traiter » les requêtes de recherches, il les fait coller à des intentions publicitaires. En d’autres termes, les résultats d’une requête de recherche de Google sont affectés par une reformulation faite par Google. Dans ce contexte, l’apport de l’IA dans le moteur de recherche, vu même par un géant comme Microsoft comme un changement de paradigme, risque de renforcer encore la mainmise de Google sur l’accès à l’information.
Le « polynectar » algorithmique de Google qui lui permet d’extraire le profit maximum à tout moment.
L’opacité de la formule de Google pour le pricing n’est pas un secret. Joshua Lowcock, Global Media Officer de l’agence Universal Mac Cann l’a souligné lors de son audition. Il rappelle que le search pour les campagnes publicitaires n’est pas une option, mais un tunnel incontournable d’investissement publicitaire, trop précieux pour qu’une simple augmentation des prix puisse en détourner les agences et annonceurs. Ce qui semble avoir conduit les équipes commerciales de Google, tenues par des objectifs de rentabilité, jugées quasi inatteignables en interne, à ajuster plusieurs centaines de fois la formule prix – bien entendu à la hausse vis-à-vis des annonceurs.
L’audition d'Adam Juda, VP Product Management au sein de la division Search Ads Quality systems de Google a été riche d’enseignements. Le département de la justice américain a présenté une slide décrivant la « formule top secrète » (malheureusement restée secrète à nos yeux d’observateurs, et on comprend pourquoi Google a fait du secret une de ses priorités dans ce procès). Mais aussi d’autres éléments de scoring, allant de 1 à 10, pour noter les annonceurs. Juda a expliqué que Google utilise plusieurs metrics dont la notion de valeur long terme (LTV) pour privilégier les annonceurs « qualitatifs » et pas seulement les plus offrants. Le LTV correspondrait au prix + CTR estimé, moins les effets négatifs de la publicité selon des mots clefs de recherche spécifiques. Les publicités bénéficiant du meilleur score sont celles qui apparaissent au meilleur endroit dans la page de résultat de Google. Il a ensuite expliqué le fonctionnement des enchères au second prix et ajouté qu’in fine, Google procède à une cross examination et des centaines de changements du fonctionnement des enchères pour, prétendument, améliorer le service. Une manière d’améliorer le classement d’une publicité serait d’améliorer sa qualité ou de bider à un niveau plus élevé (sic)… Malgré l’explication, la formule reste opaque. Mais la logique apparait : plus un annonceur est prêt à payer cher, plus il a de chance d’être considéré comme un annonceur qualitatif et de bénéficier des meilleurs emplacements.
La reformulation des requêtes de recherche des internautes pour maximiser la possibilité d’une transaction.
Dans une annexe à un document interne de Google (non-rendue publique), on découvre que Google modifie les recherches des internautes dans le but de les « enrichir avec des synonymes pour fournir de meilleurs résultats ou les accompagner de noms de marques pour les conduire à une transaction ». Cela pose un certain nombre de problèmes de nature et de profondeur très diverse. Peut-on encore faire confiance aux résultats de Google, se demandent certains ? La requête de recherche généraliste serait désormais également un outil transactionnel, sans que le public en soit averti. Que les résultats d’une recherche affichent des propositions transactionnelles est une chose, mais ce que révèle ce document semble aller au-delà et remettre en cause le caractère généraliste de la requête elle-même. Les prétendus résultats organiques ne le seraient pas, ou pas totalement, et nul ne sait ce qui en relève ou non. Là encore, ce mécanisme fonctionne en toute opacité vis-à-vis de l’utilisateur final et tend à biaiser ses résultats.
Le « Google-web » consolidé et son renforcement grâce à l’IA.
Lors de son audition, le CEO de Microsoft, Satya Nadella a déclaré que ce que Google a construit est le « Google-Web » un espace dirigé par un algorithme supposé trouver les meilleurs résultats à une requête de recherche, que Google a tourné et consolidé vers la maximisation de ses profits à tous les niveaux de la chaîne de valeur, par l’expérimentation de critères et valeurs de toute nature, en toute opacité vis-à-vis de l’ensemble des utilisateurs de son écosystème – entreprises comme utilisateurs. L’IA qui viendra renforcer la capacité de Google à orienter plus encore la demande et l’offre transactionnelle à son profit. En quelque sorte, il suggère que l’avènement de l’IA comme partie intégrante du moteur de recherche (plutôt que comme service en soi comme peut l’être l’IA générative) sera de nature à provoquer un changement de paradigme. Il ne s’agira plus d’un moteur de recherche, mais d'un moteur de réponse incitant l’internaute à ne pas chercher plus loin. La performance et la compétitivité d’un tel moteur dépendra de sa capacité à être entraîné par une masse de données suffisamment critique, or à l’heure actuelle, Google est probablement l’un des plus grand dépositaire mondial de données.
A cela s’ajoutent les sujets désormais récurrents de ce procès – l’importance du paramétrage par défaut, l’omnipresence du moteur de Google, sa maîtrise des données et les avantages que lui confèrent ses accords privilégiés avec les constructeurs.