Qui ?
Pierre Harand, Dg de 55 (en photo), Mykim Chikli, Dg de Weborama, un annonceur, une agence média et une solution tech qui ont préféré rester anonymes.
Quoi ?
La réponse des agences, solutions, et annonceurs à cette question : les agences sont-elles trop proches de Google ? (une question posée par Robert Webster, de Canton Marketing, voir ici)
Comment ?
-Pierre Harand dirige 55 , une entité qui fait du conseil data, revend les outils technologiques, mais ne fait pas d'achat média. : "L'article de Robert Webster est vrai dans les généralités, mais pas toujours dans le détail. Et le rachat d'Essence est anecdotique, à cet égard, il n'y a pas grand chose de neuf sous le soleil. Le problème, c'est qu'historiquement, les agence média font la mesure de leur propre travail et le reporting. Elles ont les données, parce qu'elles disposent des outils de mesure. Il y a donc un problème de juge et partie. Or, de la même manière qu'il faut séparer le planning et l'achat, il faut séparer l'achat de la tech et de la mesure. Dans le programmatique, les agences opérent dans une grande opacité, avec une chaine d'intermédiaires beaucoup trop longue et opaque, qu'il conviendrait de réduire. Un même client se retrouve parfois à acheter en concurrence avec lui-même !
Les agences, juge et partie- comme Google
L'autre problème concerne Google, qui vend de la publicité, mais propose aussi la suite technologique pour assurer le suivi des campagnes. Et aujourd'hui, le leader du marché du suivi de campagne, c'est Campaign manager 360, de Google. La nouveauté, et c'est à mettre au crédit de Google, c'est que, depuis trois ou quatre ans, Google vend ses outils d'ad tech aux annonceurs. Historiquement, ces outils n'étaient vendus qu'aux agences. Et ces dernières, en vendant les outils de Google, prélèvent une marge importante (certains parlent de 3 % du prix d'achat, pour 1 % prélevé par Google, NDLR). Des acteurs comme Sizmek ou Amazon ne passent que par les agences média, eux.
Sur l'"auto préférence", générée par les outils tech : le stack Google Management platform : le stack de Google permet un meilleur tracking sur l'inventaire de Google, et on n'aura pas Facebook. De la même manière, Youtube ne peut pas être tracé sur les outils externes. C'est le principe des walled garden."
-Passons la parole à un grand annonceur français, ancien d'agence média, qui a aligné sa pensée et ses actes, en diminuant d'un tiers ses investissements sur les deux plateformes, suite à des tests et des process remettant en cause la place centrale de Google dans l'écosystème : "On sait que 8 /10 € de la richesse digitale est capté par Google et Meta. C'est une bombe à retardement. Cela entrave les marques dans leur développement digital et empêche d'assurer la pluralité de pensée dans la société. Nous avons demandé à notre agence de passer 70 % de l'inventaire en supports avec le label Digital Ad Trust, pour éviter de nous retrouver sur des sites complotistes ou qui promeuvent les armes. Nos ordres passent sur une liste fermée de 1 800 sites.
Une agence média est censée être pragmatique et faire des choix impartiaux. Comment le faire quand on est maqué à tous les étages ? Les choix des outils, des DSP des analyses d'efficacité sont biaisés, et Google recapte encore de la richesse en amont. Je ne confierai jamais mon budget à une agence média sous l'emprise d'une plateforme. J'ai demandé à mon agence d'adopter une posture de "meta DSP" pour programmer mes campagnes, en lui disant 'Je veux que vous réfléchissiez à chaque campagne pour choisir le bon DSP , The Trade desk, Xandr , Hawk, Adobe... Du coup, le volume de DV 360 (la consolidation de DoubleClick et de Google analytics) a baissé dans mes plans de plus d'un tiers. J'ai par ailleurs demandé le montant de l'intégralité des investissements que nous faisons chez eux. Et la plateforme a lancé une sorte de fatwa contre moi : Google ne vient plus aux business review. Et mes interlocuteurs font tout pour me court-circuiter."
Une fatwa contre un annonceur indocile
Autre sujet qui fâche : "Google ne fait pas ce qu'il faut pour assurer la compatibilité avec le RGPD. Ils refusent que des sociétés tierces les mesurent et pompent l'intégralité des données". Le paradoxe du client, à l'ère des plateformes, c'est qu'il n'est plus vraiment le client : "Il a fallu que je me batte pour avoir une idée des investissements sur la plateforme, leur évolution d'une année sur l'autre et les différents canaux. Avant mon arrivée, personne n'avait cette information!".
La période post cookie s"annonce sportive, pour notre témoin masqué : "Topics est encore pire que FLoC. Car les annonceurs seront induits sur 5 thématiques, appliquées aléatoirement."
Enfin, l'herbe n'est pas plus verte chez Facebook, qui applique ses avantages clients de manière discrétionnaire :"Ils nous ont distribué 10 millions de coupons 'pour nous apprendre à tous servir de la plateforme' puis ont retiré l'offre réservée aux clients qui dépensent 10 M€."
Cette situation pourrie est bien entendu alimentée par l'ultra dominance des plateformes, mais aussi par l'ignorance technologique du marché, régulateurs compris. "Il suffit de voir la bêtise des questions que l'on nous pose sur le rapprochement TF1-M6."
-De son côté, Mykim Chikli, Dg de Weborama pointe un effet pervers des deals mondiaux : "Quand un grand annonceur fait une joint venture avec Google ou Facebook, il s'engage sur des budgets dépensés. Mais quand l'annonceur veut couper des dépenses, il ne peut les couper franchement, car il veut garder son programme premium, pour garder certains avantages, comme la formation."
Sur un marché d'agence média muet comme une carpe, une agence accepte de nous parler, en tout anonymat. Pour elle, l'emprise de Google sur les agences média serait en effet, avant tout, une question de ressources humaines.
La question de la proximité entre les agences et Google serait davantage une question RH qu'une question de conflit d'intérêt. Google a un programme "expert" avec des badges, comme chez les scouts. Ces badges son accordés par Google aux agences, et le support note ainsi l'acheteur sur sa connaissance du produit.
Le lavage de cerveau de la formation obligée
"C'est un peu le monde à l'envers. Les plateformes évaluent notre compétence à utiliser leurs outils et à acheter, font passer des diplômes et imposent un nombre d'équipes "certifiées" pour obtenir des badges. Et cette démarche s'est accentuée depuis cinq ans. Je ne vous raconte pas les réunions avec des jeunes personnes de 25 ans qui évaluent le travail de nos équipes sans même connaitre le Brief client ! Elles nous attribuent 2 étoiles sur tel aspect, 5 étoiles sur un autre, et les 5 étoiles, c'est quand on a investi sur Youtube ! C'est une sorte de lavage de cerveau. Même la relation avec TF1, réputée très dure, est plus saine que celle que les plateformes entretiennent avec nous". Quant à l'indépendance des grandes agences face aux plateformes, Pierre Calmard , le Ceo de Dentsu, a démontré que les grandes agences sont plus pluralistes dans leurs investissements que les petites.
Comment résister au rouleau compresseur tech des plateformes ? "Il faut en permanence tester de nouveaux outils qui apparaissent (voir aussi notre interview de Khoi Truong, ici). Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et faire une veille sur les nouveautés. Mais cela demande, du côté des agences, d'avoir, de la part des annonceurs, une rémunération pour le faire. C'est difficile de faire cette veille, car il y a 90 % de bullshit. Une chaine technologique diversifiée assure la souveraineté du client, mais elle est compliquée à unifier.
Sur les perf à 3 mois ou 3 ans, on ne peut challenger Google, sur la Life time value, si
Enfin, le marché est tendu, très centré sur les coûts. Et sur ce point, Google est une machine de guerre." Sur les performances à 3 mois ou 3 ans, personne ne peut les challenger. Mais si on parle life timevalue, là, ca devient possible (voir aussi notre interview de Khoi Truong) Si on veut challenger les plateformes, il faut sortitr d'une vision à court terme, et calculer les performances. "
-Enfin, nous avons interrogé une solution technologique concurrente de Google sur un segment de marché: "Le marché passe par DV360 à 95 %. La répartition des billing par console d'achat devrait être une donnée publique, exigée par les annonceurs de leurs agences média. Depuis sept ans, les plateformes ont resserré leur emprise technologique sur les agences média. Un acteur comme Teads a équipé les agences média de console, mais les agences utilisent moins les outils externes aux plateformes. En moyenne, une agence dispose de 7 à 9 DSP. Il y a quatre ans, il y en avait 14 ou 15. Il faudrait que les agences média soient transparentes sur le sujet. Converge publie la part du revenu digital dans les agences. Mais il faut passer un cran au dessus, pour établir combien passe par DV. Pour un acteur comme Jellyfish, c'est plus de 90 %. Alors que quand il s'appelait Tradelab, il opérait via Xandr. Et Orange un acteur public, passe par cette agence pour le programmatique !
L'arrivée de Google sur le marché du cloud avec GCP permet d'ajouter une couche de proximité entre agences supports et google, dans des deals globaux. Et oui, on na pas le même plan média quand on passe par DV360 ou par the trade desk. Chacun ses créé des silos. Enfin, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Les négociations des plateformes sur les droits voisins (pour rémunérer le travail d'info des média) a opéré un nouveau glissement de terrain : quand les médias négocient avec Google ces droits, Google leur impose de nouvelles conditions ! Et c'est croyable de voir comme la presse a été molle et n'a saisi personne sur le problème de Google analytics. Le marché n'a pas voulu voir cela comme une occasion de gagner un peu dans la souveraineté de la mesure...Et a attendu sagement le nouvelle version GDPR compatible.
Côté annonceurs, eu laissent le choix des plateformes aux agences, car ils ont opéré des deals mondiaux. Enfin, il est faux de dire que la soi Sapin protège des conflits d'intérêt, la loi Sapin, en l'espèce, ne protège de rien."