Qui ?
Krzysztof Franaszek (en photo), Pdg de Adalytics, se présente sur son compte Twitter comme PhD en computational biology. A travaillé sur mRNA, ebola, coronaviruses, et cancer genomics. Il s'attaque maintenant aux maladies de l'ad tech.
Quoi ?
Un gigantesque pavé dans la mare de Google et de son réseau vidéo, lancé le mardi 27 juin dernier (juste après les Cannes Lions, ouf !) par une société qui aide les agences et les annonceurs à contrôler la qualité de la diffusion de leurs publicités, et par le Wall Street Journal.
Comment ?
Mardi dernier, juste après les Cannes Lions, Adalytics lance un sacré pavé dans la marre, dans ce très long post, que nous analysons en détail dans cet article (pour les réactions, voir notre autre papier). "Google a violé ses propres standards publicitaires, montre une étude" titre le Wall Street Journal , décidément très en pointe, après les Facebook Files, le Google Gate ? A noter, le placement publicitaire qui encadre le papier du Wall Street Journal est signé Microsoft, avec comme intitulé "une meilleure façon de faire de la pub, c'est ici" (voir l'image ci -dessous)
Qui a commandité l'étude ?
L'étude a été menée sur trois ans par Adalytics, une petite société qui fait de la mesure d'exposition et d'efficacité publicitaire et fonctionne avec un plug in sur des navigateurs qui permet de voir les pages avec pub vidéo regardées par le public. La société a été créée en 2021 par Krzysztof Franaszek, professeur en biologie informatique, qui s'attaque donc aux maladies de la pub, après avoir étudié les génomics du cancer de l'ebola et de la covid. Pour avoir une idée de l'ampleur du problème, il faut avoir en tête que Youtube représente déjà, aux USA, 8% des dépenses des annonceurs en "vidéo" (qui. inclue les télés et les vidéos vues sur la télé et sur le digital). Il nous confirme que "cette étude a été menée sur mon initiative personnelle, personne ne l'a subventionnée" . Elle est une sorte de Proof of concept pour Adalytics et assure à sa société d'un coup d'un seul une renommée mondiale. En effet, selon son site, Adalytics aide ses clients à répondre à ces questions :
- Est-ce que vos publicités sont diffusées où vous pensez qu'elles le sont ?
- payez vous pour des publicités qui ne sont pas vues par des humaines ?
- votre capping fonctionne-t-il ? Est-ce que vos publicités sont visibles ?
Et leur propose de se faire rembourser les publicités qui ne sont pas conformes à ses standards. L'étude menée sur Youtube est donc une forme d'argumentaire pour les services de cette société. Et l'impact de cette étude, "une véritable bombe" pour Jud Spencer, développeur chez The Trade Desk (voir son post ci-dessous) constitue une sorte de plaquette commerciale mondiale en live. Adalytics prolonge d'ailleurs l'étude par un sondage auprès des clients sur ses résultats.
Autant de prospects potentiels. Reste que l'initiative est à saluer pour son courage : elle est la première du genre sur un marché qui ne s'interroge que très peu sur la qualité de ce qu'il achète et n'ose affronter les plateformes frontalement.
This is a real bombshell. Congrats to @kfranasz and @patiencehaggin on uncovering one of the wildest apparent sub-prime arb schemes that I’ve seen. Really interested in Google’s explanation. https://t.co/q7AhM36wWQ
— Jud Spencer (@JudSpencer) June 27, 2023
L'information est aussitôt reprise dans The Guardian.
La méthode
Comme quasiment tous les cabinets d'avocats bossent pour Alphabet, on se doute que l'étude a été soigneusement relue par le service juridique d'Adalytics. Elle stipule en guise d'avertissement, que les annonceurs "ont pu" être trompés et cela "a pu" leur coûter des milliards de dollars qui ont été diffusé sur des petits espaces, sans le son, sur des site indépendants ou des apps mobiles.
Pour percer les mystères de la boite noire Youtube, Adalytics a utilisé de la data open source et les crawleurs de Deepsee pour créer une liste de partenaires video de Google. Et ce, sur 1 100 marques, pendant trois ans. Et les résultats établissent que les pratiques du réseau de partenaires Youtube ne sont pas cohérentes avec les engagements contractuels de Google.
Petit rappel historique
True view est facturé au coût par vue, et diffusé sur youtube, et des millions d’applications et de sites partenaires. Un produit premium, introduit en programmatique en novembre 2018. Pierre Harand, qui dirige 55, se souvient : "A l'époque, les inventaires vidéos étaient bradés et avaient des expériences pénibles, comme le pré-roll obligatoire, ou, encore plus bas de gamme, la pub vidéo en bas de l'écran. True View est fondé sur la promesse que l'utilisateur voit la pub parce que ça l'intéresse. Il l'actionne. Et le son est mis par défaut."
Avec ce format premium, facturé 100 $ pour milles vues "completed" sur les sites partenaires de Google, selon un client interrogé par le WSJ, les annonceurs paient pour les vues réelles de la publicité, pas des impressions.
Mais l’étude Adalytics montre que ces publicités ont été diffusées sur des sites qui ne respectaient pas ces standards.
Selon une marque citée par l'étude, seul 16 % des formats true View ont été diffusés sur Youtube. La majorité é été diffusée sur Google Video Partner (GVP) et la majorité de ces sites ne respectent pas les règles de diffusion. Google conteste que la majorité de True View soit diffusée en dehors de Youtube (voir notre papier sur les réactions à l'étude).
La majorité des annonceurs et des agences média ont réagi en disant qu’ils n’auraient pas acheté de tels espaces. Diffuser ces vidéos sans le son était contraire à leur compréhension des CGV de True View.
Des annonceurs ont été très surpris de voir leurs vidéos qu’ils pensaient diffusées dans l’enceinte du jardin clos Google sur lebanonfiles.com ou freewebnovel.com.
« Cela ressemble à de la fraude » dit un professionnel sous le manteau. Parfois, plusieurs publicités étaient diffusées en même temps…Parfois le bouton « skip » était retiré, ce qui gonfle de fait les statistiques de complétion de vidéo de Google (voir ci-dessous).
Une publicité de la Chase est ainsi recouverte par une autre pub, ce qui empêche d'actionner le skip de la vidéo qui est partie toute seule (voir ci dessous).
Les marques qui ont acheté ces espaces sont notamment le WSJ, le gouvernement américain, le parlement européen Johnson & Johnson, Ernst & Young, Bayer, Amex, Disney Plus, Office Depot, Lavazza... (le rapport en liste 131).
Coté agence média, Interpublic, dentsu, Publicis, Omnicom, WPP, Havas, Jellyfish, Brain Labs digital Horizon Media, MiQ ont acheté ces espaces. Parmi les sites diffuseurs, un certain nombre ne respecte pas les droits d’auteur. Ce qui pose question concernant la certification TAG et l’accréditation brand safety du MRC. Google a aussi délivré des publicités true View à des robots se déplaçant en dehors des Cloud data center.
Des publicités sur la Pravda !
Des pub pour les 500 premières marques US sont apparues sur la Pravda. Dont celle pour le parlement européen. Paul Tang, parlementaire hollandais au parlement européen, n'a pas tardé à réagir (voir notre papier sur les réactions du marché à cette affaire) : "Le même parlement qui a déclaré en novembre 22 la Russie comme état sponsor du terrorisme fait de la publicité sur des sites de propagande comme la Pravda à cause des système scandaleux de Google. Cela démontre une fois de plus que le duopole Google et Facebook est un un jeu opaque de milliards de dollars, qui menace la démocratie"
Autre placement hasardeux : des app Android en Iran. Les rapports de placements publicitaires incluent des sites qui n’existent pas. Or Google n'a eu de cesse de pousser son réseau de sites partenaires. Depuis juillet 2019, le réseau est inclus dans les google video Partners par défaut. L’annonceur doit faire un opt out s’il ne veut apparaitre que sur Youtube. Depuis le 30 septembre 2021, certaines campagnes vidéos ne peuvent exclure les Google video Partners automatiquement. Et depuis le 25 avril 2022, certaines campagnes True View intègrent automatiquement le réseau partenaire, sans opt out possible. C’est Google qui choisit l’endroit et la fréquence des messages. Le réseau des partenaires n’a pas son mot à dire.
Depuis 2016, Youtube n’a pas autorisé de mesure tierce sur son inventaire publicitaire.
Google a un Youtube Measurement Program, qui inclue IAS et DoubleVerify. Mais ces acteurs doivent se reposer sur un transfert de data de la part de Google. Ils ne peuvent pas poser leurs tags eux mêmes. Ils ne peuvent donc pas vérifier eux mêmes l’environnement de Youtube. Ils se reposent sur l’information transmise.
Une publicité pour Discovery + (Warner Bros discovery) a été servie le 14 mars 2022 sur cette page du New York Times. Le format n’était pas visible, muet et actionné automatiquement (autoplay).
Le même journal sert des vidéos qui sont bloquées par son système de paywall. Idem pour Reuters, où une pub pour Samsung en auto play, était à moitié visible et en mode muet.
20 X la même pub sur le WSJ, en 20 minutes !
Sans compter la même vidéo servie plusieurs fois sur la même page !
L’étude montre par exemple qu’une même campagne pour le wall street journal a été service 20 fois au même visiteur, en l’espace de huit minutes.
Concernant les droits d’auteur : la main droite de google ignore ce que fait la main gauche. Ainsi, l’annonceur Johnson & Johnson est apparu sur le site 1stkissmanga.io , alors que le même site avait l’objet du retrait de 101 000 URL, après une plainte concernant le droit d’auteur.
462 sites enfreignant la loi apparaissent comme membre du réseau Youtube
L’étude montre aussi des exemples savoureux, comme cette marque de gloss, qui affiche sa pub en autoplay sur une page parlant d’exécution capitale. D'autant plus savoureux quand on connait les très très longue black list des annonceurs, pour ne pas risquer d'apparaitre dans ce type de contexte.
Il y a aussi les sites faits pour la publicité. 12 % des budgets alloués sur le réseau de partenaires vidéo de Google atterrit sur ce type de sites (voir ci dessous)
Du coté des apps, des publicités apparaissent sur des jeux, mais aussi des VPN dont le propriétaire est sur proton mail et ne propose pas de mention légale. Et émanent de pays inconnus (14%) ou de Ciné (14%) ou encore de Singapour (10 %) Chypre, (9%),..Un marque a dépensé des milliers de dollars sur Tanfam games, un éditeur chinois.
Main droite main gauche (bis)
L’app « double cleaner » fait partie des supports. Mais une visite sur son site indique qu’elle n’est plus référencée. 202 des apps du réseau ne signalent pas qu’elles contiennent de la publicité. Educational puzzles for kids qui s’adresse aux enfants de deux ans et plus (??!!) a tellement de pubs que les parents se plaignent que leur enfant ne peut pas jouer.
Un représentant d’agence média dit que True View ne devrait pas apparaitre dans ces apps pour enfants, et ajoute (on croit rêver) : "C’est particulièrement inquiétant quand des publicités pour alcool apparaissent dans ces apps."
Un directeur marketing dans ce post explique "puisque acheter Youtube sur DV360 vous force à acheter aussi aux partenaires, je me demande ce qu'il y a dans ce réseau". Une question d'une actualité brulante, que Google devrait se dépêcher d'aborder. Sous peine de perdre la confiance du marché.