Qui ?
Maître Etienne Drouard, Partner chez K&L Gates.
Quoi ?
Une exégèse des dernières étincelles de l'épopée judiciaire de Facebook, entre droit de la concurrence et protection de la vie privée, post Cambridge Analytica.
Comment ?
Ainsi, selon le rapport tout juste publié du Parlement anglais sur les fake news, Facebook et les autres plateformes ne peuvent plus espérer se défausser de leur resposabilité d'éditeurs de contenus. Cerise sur le gâteau, le groupe de Zuck aurait fait une fausse déclaration devant le parlement britannique, en mentant sur la date à laquelle ils ont eu connaissance de l'utilisation par Cambridge Analytica de données des utilisateurs, à d'autres fins que celles de sa charte d'utilisation. "S’il est avéré, ce parjure pourrait faire l’objet de poursuites pénales. Au Royaume-Uni, comme aux Etats-Unis, l'obligation de vérité reste un principe cardinal". Toutefois, un parjure n’est pas, en soi, une violation des règles de protection des données personnelles. S'il était établi que Facebook a eu connaissance de violations par Cambridge Analytica de son contrat de partage de données, Facebook devait y mettre fin tout de suite. Ce qu'ils n'ont pas fait. Est-ce que cela peut occasionner des plaintes des personnes concernées ? « A l'époque dont il s'agit, la loi britannique n'imposait pas de notifier aux autorités anglaises une violation de la confidentialité ou des règles de protection des données personnelles. Mais les personnes dont les données ont été détournées pourraient réclamer un préjudice ou le régulateur anglais pourrait prononcer une amende… à condition d’établir une dissimulation volontaire par Facebook de ce qui était su à l’époque, qui dépasserait la négligence ou l’absence de contrôle ».
Il faut aussi considérer la période actuelle. La Federal Trade Commission américaine préparerait une sanction contre Facebook qui dépasserait le milliard de dollars . « Ce qui se joue pour les régulateurs américains, c’est leur capacité à démontrer aux Etats-unis mais aussi -et surtout- au reste du monde, qu’ils savent faire le ménage chez eux… Afin que les régulateurs européens réfrènent leurs appétits. Mais c'est mal parti. Il y a deux semaines, l'Autorité de la Concurrence allemande a lancé une procédure contre Facebook. Elle estime qu’en exploitant les données de personnes qui ne sont pas membres de son réseau, mais ont simplement été « exposées » à des boutons "j'aime", Facebook violerait la loi et disposerait ainsi d'un avantage déloyal par rapport aux entreprises qui, elles, s'y conforment. La violation des règles de protection des données personnelles deviendrait ainsi un élément de distorsion de concurrence, condamnable à double titre. En France, la CNIL française a condamné Google à une amende de 50 M€ pour des motifs similaires à ceux pour lesquels l’Autorité de la concurrence Allemande poursuit Facebook. »
Pour Jason Kimt, de Digital Content Next (qui fédère les éditeurs anglais) Zuckerberg est "soit un escroc, soit un incapable". Il s'agit de savoir quand on aura sa tête. Mais sa destitution, à terme, pourrait bien servir ses actionnaires. En début d’année 2019, Mark Zuckerberg a encore pu faire le service après-vente des bons résultats du groupe. « Si j'étais l’avocat de Zuck, je me demanderais si son intérêt personnel est de rester en poste : ses actionnaires le laissent porter de gros chapeaux. Jusqu'à la procédure de trop, où il risquerait d’être démis, permettant à un successeur de représenter une nouvelle société Facebook au dessus de tout soupçon afin de faire oublier les violations des règles de protection des données personnelles pour repositionner une image propre d’instrument mondial des démocraties modernes, notamment avec l’annonce du recrutement de 30 000 personnes pour combattre les contenus de haine. Au fil des feuilletons judiciaires qui se multiplient, Zuckerberg pourrait être dévoré par sa création, devenue incontrôlable et dangereuse pour lui. »