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G. Du Gardier, Ferrero : « Le temps réel révèle les limites du modèle actuel des agences »

Qui ?
Guillaume du Gardier, directeur digital France de Ferrero.

Quoi ?
Une interview coup-de-gueule, réalisée lors des Rencontres de l'UDECAM 2016 où Guillaume du Gardier intervenait.

Comment ?

- Quel est votre gros sujet du moment ?

Nous lançons un projet très innovant avec Tic-Tac, dans le cadre d'un test qui sort des sentiers habituels du groupe : Webedia va développer toute une plate-forme de contenus à haute fréquence et s'occuper de la présence de la marque sur les réseaux sociaux, tout en gérant l'amplification média de ces contenus. Avant, on travaillait avec une agence média et une agence créa : là, on expérimente une stratégie différente. Blue 449, notre agence média, a défini la stratégie initiale , mais ensuite, c'est Webedia qui agit. L'objectif est d'atteindre un million de visites par mois à 15 mois, avec 300 articles mensuels.

- Pourquoi ce changement de stratégie ?

Le temps réel nous pousse dans nos retranchements et révèle les limites du modèle actuel des agences, et plus généralement de tous les acteurs qui sont face à nous. Il y a certes une fragmentation des audiences, mais on ne parle jamais de la fragmentation de l'offre, avec des agences qui ne ressemblent en rien à des agences d'hier et des médias qui font de la créa, etc. Nous n'arrivons plus à travailler avec les agences comme avant : toutes leurs étapes et les process ne permettent pas d'appréhender le temps réel. Tout se fragmente mais les structures et les organisations ne bougent pas.

- Un exemple ?

Nous nous sommes rendus compte que pour mener une campagne Facebook de base, il fallait mobiliser 5 partenaires différents - de l'agence créa à l'agence média en passant par l'agence data - et passer par 8 étapes en externe... et ce, sans même parler des validations internes. Comment publier 5 posts par jour dans ces conditions ? Cela devient ingérable : nous devons fonctionner autrement pour retrouver un équilibre.

- Comment vous adaptez-vous à ce contexte, où tous les repères traditionnels sont brouillés (lire notamment nos articles sur les médias et les agences médias) ?

On ne s'y retrouve plus. Il y a une telle explosion de l'offre sur le marché que je ne réponds plus au téléphone sur ma ligne directe. Il y a tous les jours une nouvelle régie ou une nouvelle agence qui apparaît... Alors on expérimente. On teste  des modèles différents. La solution est-elle de remplacer un type d'acteur par un autre ou de modifier l'ordre dans lequel on les implique ? Un exemple parmi d'autres : pour Ferrero Rocher, nous allons produire des contenus photo et vidéo. Lors du deuxième round de la compétition d'agences, nous avons retrouvé un éditeur qui avait été éliminé au premier... mais à qui une des agences en lice avait délégué la production. Cela fait des années que les agences s'appuient sur des prestataires externes, mais avant, nous ne les avions pas en contact direct.

- Sans parler des start-up...

Effectivement, nous travaillons avec certaines pour tester de nouveaux modèles . Je peux citer Swaven, Storetail (lire notre article) ou encore Youmiam. Avec cette dernière, une application très populaire de recettes de cuisine, nous allons publier un vaste programme de recettes pour Nutella. Aller dans une application mobile existante est une vraie nouveauté pour nous.

- Vos agences jouent-elles un rôle dans l'identification des start-up ?

Une des grandes difficultés pour les agences est d'arriver à faire entonnoir et filtre par rapport à cette offre pléthorique de start-up, sans nous limiter l'accès. Comment peuvent-elles nous garantir leur capacité à être en veille et nous faire découvrir de nouveaux talents ? Elles ont une bande passante limitée et des partenaires privilégiés.

- La question du rôle des agences n'occulte-t-elle pas celle de leur rémunération ?

La rémunération est l'un des grands points à refondre dans le modèle des agences. Le modèle n'est satisfaisant ni pour elles ni pour nous. Beaucoup du travail réalisé par le passé par les agences est aujourd'hui le fait des régies. Les acteurs de la data arrivent avec de nouveaux modes de rémunération. Le modèle du pourcentage n'a pas été pensé pour le temps réel, c'est une absurdité. Aujourd'hui il faut trouver autre chose.

- Les ad-bloqueurs impactent-ils votre façon de communiquer sur le web ?

La réponse à la problématique de l'ad-blocking, c'est le contenu. Tic Tac en est l'exemple : on ne va plus parler que de contenus et on ne fait plus de publicité. La montée du blocage de la publicité est de la responsabilité de certains annonceurs qui ont privilégié les objectifs de reach sans se soucier de la qualité de la diffusion. Chez Ferrero, nous avons toujours été sur des contenus et des contextes qualitatifs, plutôt vidéo, peu intrusifs. Il faut maintenant que le marché nous propose des formats plus qualitatifs et plus malins.

- Facebook est-il la solution à toutes les questions de brand safety et de visibilité ?

Nous avons été beta-testeurs d'Atlas, afin de vérifier la réalité des emplacements, la répétition et la qualité de nos campagnes. Les questions de "brand safety" et de visibilité sont très importantes pour nous. Par exemple, notre charte déontologique interne nous interdit d'aller sur des sites fréquentés à plus de 15% par des enfants de moins de 13 ans. Atlas nous permet de systématiser cette démarche. Quant à Facebook, il nous apporte beaucoup de puissance, car nos marques sont des "love brands" qui ont la capacité d'atteindre des reachs organiques très importants. Il n'est pas rare pour nous d'obtenir 2 millions de reach, sans débourser un centime.

- Que pensez-vous de Snapchat ?

Nous avons testé Snapchat avec Kinder Bueno, l'année dernière à Noël, avec le making off du tournage de trois films réalisés avec Studio Bagel. Snapchat apporte une flexibilité assez intéressante, mais sa grande faiblesse est la mesure de  l'impact. Qu'est-ce qu'un succès sur Snapchat ? Vivement qu'il y ait une plateforme d'analytics, et là, nous en reparlerons.

- Et Facebook Live ?

Pour les 25 ans de Kinder Bueno, nous allons produire un événement live de 25h : il se passera quelque chose en permanence. Mais au-delà de ces temps forts, le live est très difficile pour des marques comme les nôtres, car il est très compliqué à médiatiser. Il n'y a pas de benchmark, c'est tout nouveau. Comment définir les KPIs quand on est toujours sur une première fois ? Nous nous sommes donnés comme objectif d'atteindre 45 000 internautes devant le live, on va voir si on explose ou si on y arrive péniblement... Personne n'est capable de nous dire ce que l'on est en droit d'espérer obtenir.

- Plus généralement, que représente le digital pour un groupe de grande consommation comme le vôtre ?

Chez nous, le digital n'a pas vocation à incarner une transformation majeure de l'entreprise. Ferrero n'a pas besoin d'être sauvé par le digital et celui-ci ne change pas de façon fondamentale la structure de communication du groupe. Néanmoins, il nous oblige à avoir une stratégie très structurée, pour répondre aux enjeux marketing de chaque marque.

- Il n'y a donc pas de volonté de faire croître la part du numérique dans le mix média ?

Si, mais surtout par des contenus et des interactions, pas avec un objectif de pourcentage de mix média. Aujourd'hui, en France, le web représente un peu moins de 10% de nos investissements média, avec des différences très fortes selon les catégories de produits. Le digital est au service des objectifs marketing de l'année : tous les ans, on reprend donc la stratégie de chacune des marques, avec un brief média qui regroupe tous les points de contact, "on" et "off".

Propos recueillis par Benoit Zante

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