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D. Kujas, Accenture : « Les CDO doivent avoir les moyens de leurs ambitions »

Qui ?
David Kujas, Directeur Général d'Accenture Interactive en France et au Benelux.

Quoi ?
Une interview, pour comprendre comment Accenture se fait petit à petit une place sur le terrain des agences.

Comment ?

- Entre Accenture Digital, Accenture Interactive, Accenture Strategy ou Accenture Mobility, on s'y perd un peu : Accenture Interactive, c'est quoi ?

Accenture Interactive, c'est l'agence d'Accenture Digital. Notre positionnement est de plus en plus clair : nous sommes des architectes d'expériences. Notre baseline est d'ailleurs E>MC2 : Experience > Marketing, Commerce et Contenus. Nous intervenons de la stratégie jusqu'à la production.

- Un exemple de réalisation particulièrement emblématique de cette philosophie ?

Pour Pizza Hut aux Etats-Unis, nous avons conçu toutes les solutions digitales de la chaîne pour la vente en ligne. Jusqu'à un prototype permettant d’effectuer des achats de pizzas depuis une voiture connectée. En collaboration avec Visa, nous avons mené tout ce projet, du travail de conception jusqu'au développement et aux tests de faisabilité. Pour ce client, nous avons un modèle de rémunération à la transaction : sur chaque pizza vendue, nous touchons une commission.

- Ce mode de rémunération à la performance est plutôt difficile à mettre en place : c'est quelque chose que vous cherchez à développer ?

Nous travaillons aussi avec un grand constructeur automobile européen sur ce modèle : nous concevons l'architecture et opérons ses dispositifs digitaux, et nous nous rémunérons en fonction de l'acquisition de trafic, du nombre de leads générés et de leur transformation. Cela suppose d'avoir des fondamentaux analytiques très solides, pour pouvoir suivre tout le parcours client. Nous sommes les seuls à être entièrement rémunérés à la performance à cette échelle. C'est un choix d'Accenture Interactive d'aller dans cette direction : les clients sont de plus en plus intéressés par cette approche, mais aujourd'hui peu osent encore franchir le pas.

- Alors que vous accompagnez la transformation digitale de vos clients, Accenture Interactive incarne aussi la transformation du groupe Accenture. Quels sont vos enjeux ?

La difficulté a été d'opérer un changement d'interlocuteurs chez nos clients, pour passer du CTO (Chief Technology Officer/DSI) au CMO (Chief Marketing Officer/Directeur Marketing), voire au CDO (Chief Digital Officer) pour les entreprises les plus matures. Nos concurrents sont des agences comme Havas, Fullsix ou Publicis, elles sont moins crédibles que nous sur la technologie. Nous avons fait le chemin opposé, en partant de la technologie pour aller vers le marketing. L'étape d'après, c'est de nous inscrire à des prix où nos concurrents agences sont présents depuis toujours, pour montrer que l'on peut faire aussi bien qu'eux, sinon mieux.

- Comment s'est opéré ce changement, principalement humain ?

Nous avons opéré plusieurs acquisitions - comme Fjord en 2013 - et nous avons embauché des gens expérimentés, qui viennent des agences, des pure-players ou de la data. A l'échelle mondiale, nous réalisons une acquisition par trimestre, avec des agences de plus en plus orientées vers les contenus. Historiquement, nos collaborateurs étaient beaucoup placés chez les clients : c'est le modèle dont nous avons hérité d'Accenture. Mais de plus en plus, nous nous orientons vers un modèle d'agence. C'est une transformation importante pour l'entreprise.

- Vous apportez un regard différent de celui des agences sur certains sujets, comme la data et l'achat média...

Effectivement, par rapport à la position des agences - celles qui vendent du média, en tout cas - nous n'avons pas un historique tel qu'elles peuvent avoir. Nous revendiquons notre indépendance : nous avons toujours été agnostiques, même si cela ne nous empêche pas d'avoir des convictions et de recommander des éditeurs plus que d'autres.

- Quelle est la place de la France par rapport aux autres marchés ?

Nous sommes sur un marché à la croissance relativement atone, ce qui se ressent aussi sur le digital. La situation est un peu plus complexe que dans d'autres pays européens, même ceux du Sud de l'Europe : les prises de décision sont extrêmement longues.

- Quelles sont les problématiques de vos clients ?

Nous avons beaucoup de sujets autour des DMP ("Data Management Platforms"), avec des interrogations sur leur internalisation, et plus généralement sur la rationalisation des plateformes digitales. Les clients les plus matures entament des réflexions sur l'industrialisation des moyens digitaux et l'amélioration de la connaissance client. Chez tous, on rencontre une volonté croissante d'innovation, mais avec de nombreuses questions sur la capacité à industrialiser cette innovation. Beaucoup de start-up sont mobilisées sur des POC ("Proof Of Concept") et des prototypes, mais derrière, il est très difficile de passer le cap de leur déploiement à grande échelle.

- Pourquoi est-il si difficile d'innover pour vos clients ? L'arrivée d'un CDO peut-il contribuer à accélérer les choses ?

C'est probablement lié à des organisations pas suffisamment fluides. Il y a encore beaucoup de silos, mais on observe une volonté de se transformer, en utilisant notamment le rôle du CDO comme un vecteur de cette transformation. Mais on se rend compte que si le CDO n'est pas doté d'un mandat fort qui se traduit par des moyens, dans le meilleur des cas, il reste cantonné à un rôle de "Digital Evangelist".

- La présence du CDO au Comité Exécutif ou au Comité de direction est-elle importante ?

Je ne suis pas sûr que ce soit la condition sine qua non : l'enjeu est plutôt de faire preuve de lucidité, pour savoir là où en est l'entreprise aujourd'hui et là où elle veut aller. Le digital peut être un moyen de faire davantage de chiffre d'affaires, générer de la préférence de marque ou de la fidélité, ou encore d'améliorer les process internes de l'entreprise. A charge ensuite de sélectionner le bon profil de CDO, celui qui correspond aux caractéristiques et aux besoins de l'organisation. Il n'y a pas de bons et de mauvais CDO : il faut que les CDO aient les moyens qui correspondent aux ambitions affichées. Tout en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'un rôle de transition.

- S'ils sont condamnés à disparaître, quel est l'avenir des Chief Digital Officer ?

Les CDO pourraient devenir des Chief Customer Officers : quelques grandes entreprises américaines commencent à mettre ce type de rôle en place. Finalement, cela fait beaucoup de CXO, mais peu importe l'appellation.

Benoit Zante

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