Qui ?
Nicolas Chabot, VP EMEA de la plateforme Traackr, qui vient de lever 9 millions de dollars.
Quoi ?
Une tribune pour cadrer le rôle d'un "Chief Influence Officer", alors que l'accroissement des budgets dédiés au marketing d'influence et l'augmentation des contraintes juridiques rendent le sujet de plus en plus stratégique pour les marques.
Comment ?
Le marketing d'influence est en train de connaître un changement systémique. Des marques pionnières comme Nissan en Grande Bretagne, ont intégré le marketing d’influence sur l'ensemble de leur parcours client, et au coeur de leur stratégie de marketing et de communication. D'autres sont passées de l'expérimentation à la transformation de leurs workflows, process et expertises de multiples divisions, au prisme du social.
Les organisations doivent, en effet, entièrement repenser la façon dont elles structurent, gèrent et contrôlent tous les aspects de leurs activités influenceurs. L'accroissement général des budgets, le déploiement des programmes à l’échelle mondiale, l'intérêt stratégique grandissant et l'augmentation des contraintes juridiques sont en train de conduire les entreprises à recruter des "Chief Influence Officer".
Leur rôle ? Assurer une expérience influenceur unifiée sur tous les points de contact, constituer des ensembles de données historiques pour suivre l'impact des programmes d'influence grâce à des modèles d'attribution, et mettre en place des process pour l’ensemble des équipes, des partenaires et des zones géographiques.
Mission #1 : Développer une "expérience influenceur"
Les influenceurs performants sont une ressource rare. Développer des relations bénéfiques et respectueuses avec eux est indispensable pour toute marque misant sur le long terme. Les organisations les plus avancées ont conscience qu’ils impactent de nombreux niveaux de leur organisation. Difficile dans ces conditions de gérer les points de contact multiples et de maintenir une relation personnalisée avec chacun.
Il faut intégrer les magasins (certainement l’interaction physique au plus fort potentiel), le CRM, le service client, les équipes chargées de la communication et des médias sociaux. Et le lien doit se poursuivre jusqu'aux départements financiers, juridiques ou RH. Les influenceurs peuvent en effet être tour à tour clients, prospects, journalistes, fournisseurs... ou même salariés.
L'Expérience Influenceur fait appel à un ensemble d'objectifs et une logique qui lui sont propres, à différencier de l’Expérience Client. Le Chief Influence Officer devra définir l’Expérience Influenceur et élaborer les processus et directives internes qui la rendront unique et durable.
Mission #2 : gérer l'attribution et le suivi des performances
Avec l’augmentation des budgets alloués aux programmes d'influence, les marques ont de plus en plus d’attentes en matière de mesure du succès et de ROI. Les nouvelles directives de l’AMEC ont déjà permis de mettre en place des KPI cohérents : Inputs (le niveau d'activité des équipes), Outputs (l’impact directement mesurable) et Outcomes (l’impact sur les résultats commerciaux). Mesurer l’impact social sur des métriques commerciales (ventes, notoriété de la marque) demeure encore difficile.
Le suivi de lien peut mesurer l'impact direct du contenu des influenceurs sur le trafic ou les ventes. Mais il reste limité et partiel. En effet, il nécessite un accord explicite avec l'influenceur et n’est pas applicable à tout type de contenus. Et il ne prend en compte que le dernier clic, comme dans l'affiliation.
Certaines entreprises se reposent encore sur l'EMV (Earned Media Value). Cet indicateur, qui repose sur l'ancien "Advertising Value Equivalent", hérité du monde des relations publiques, fait l'impasse sur les performances commerciales.
Les marques innovantes travaillent donc sur la mise en place de nouveaux modèles d'attribution qui lieront le contenu des influenceurs au parcours client. L'influence a donc probablement quelques années de retard sur le "paid" en termes de modèles d'attribution et de mesure, mais elle commence à le rattraper.
Mission #3: s'assurer de la conformité aux règles
Certaines plateformes, à l’instar d’Instagram, ont mis en place des fonctionnalités intégrées facilitant la divulgation des collaborations rémunérées. La Federal Trade Commission a sanctionné des collaborations rémunérées non signalées aux États-Unis. Mais le sujet reste un problème essentiel à l’échelle mondiale et une menace potentielle pour toute marque qui ne se soumet pas à la réglementation.
Quand l'influence passe par des intermédiaires, elle se soumet à la loi Sapin.
Concernant le respect de la vie privée, les entreprises devront désormais mettre en place des plateformes de gestion des relations influenceurs conformes, qui leur permettront de stocker et de gérer les données des influenceurs de manière sécurisée.
Depuis deux ans, de grandes entreprises ont élaboré des directives mondiales couvrant tous les aspects d’un programme d'influence, de la sélection des influenceurs à la nature de la collaboration envisagée. La mise en place de canaux de communication interne clairs, la formation de l’ensemble des équipes toutes marques et zones géographiques confondues, et l’établissement de règles claires pour les agences partenaires induites ne sont pas une mince affaire !
Voici une liste des directives les plus courantes :
- Pas de publication de contenu violent, abusif ou à caractère sexuel
- Pas d'engagement politique ou autre (par exemple activisme contre les tests sur les animaux, ou anti-sucre) qui pourrait compromettre la marque
- Une prise de parole alignée avec les valeurs de la marque. Ceci est particulièrement vrai pour le luxe où les influenceurs sont parfois validés au cas par cas afin de s’assurer qu'ils peuvent représenter la marque
- Un certain professionnalisme dans l'interaction avec les marques et aucune expérience négative passée avec l'organisation
- Répondre aux standards de performance minimum préalablement définis, qui justifient le niveau d'interaction ou d'activité que la marque doit générer avec chaque influenceur
- Un alignement entre l'audience de l'influenceur et le groupe cible défini par l’équipe marketing
- Un alignement du prix et de la nature de la collaboration rémunérée avec les standards fixés par l’équipe d’achats
- Une validation post-campagne pour vérifier que le contenu publié dans le cadre de la collaboration répond bien aux normes de qualité convenues (si contractualisées).
La technologie a un rôle essentiel à jouer pour accompagner les organisations internationales dans une telle évolution. Et l'on comprend pourquoi la fonction de CIO a de beaux jours devant elle...
Nicolas Chabot