Qui ?
Hymane Benaoun-Fleury, Dg de HumanSkills (Team Inside, Elevate MrGuiz, Aravati, La relève, soit 500 personnes) , Virgile Raingeard, Ceo et co-fondateur de Figures, application de gestion de la rémunération pour start up et scale up, présente dans 8 pays d'Europe.
Quoi ?
Une conférence chez Maestro, mardi dernier, sur les salaires dans le digital, qui ont atteint leur sommet mais ne devraient pas redescendre (spoiler).Pour obtenir le benchmark complet des salaires du digital écrivez ici.
Comment ?
Figures a été créé en octobre 2020 par Virgile Raingeard , qui en avait assez de ne pas avoir de données de rémunération pertinentes pour le marché des start-ups en France, ce qui entraînait des discussions interminables, des négociations, et donc beaucoup d'inégalités en interne. Avec Bastien Forgery, ils ont créé la première application de gestion de la rémunération pour les start-ups et scale-ups, connectée aux données RH des clients, avec des données mises à jour en continu. Et cet aspect "live" est très précieux dans un domaine qui évolue très vite : "Si on avait des salaires d'il y a un an, ça ne refléterait pas le marché". Ces données ont été combinées avec celles du cabinet de chasse de tête Aravati, qui concerne des candidats en mobilité qui tirent les salaires vers le haut.
Un marché de pénurie
En 2025, en France, plus de 200 000 postes seront vacants dans le digital. Du coup, les entreprises doivent à la fois recruter, fidéliser, et faire monter en compétence leurs collaborateurs. 84 % des entreprises jugent le recrutement de cadres difficile -en mars 21 c'était 58 %. Pourtant, "les RH ne se préoccupent pas assez de l'image qu'ils renvoient" regrette Hymane Ben Aoun.
Pour recruter et fidéliser, les RH doivent s'inspirer des marketers, et valoriser la marque employeur, prendre la parole sur les sujets RH , mais aussi sociétaux et mobiliser l'interne sur les réseaux sociaux. Une mauvaise réputation augmente les coûts d'embauche d’au moins 10 %.
Il s'agit de développer une stratégie et de sortir du one shot des offres d'emploi. Un exemple à suivre ? Le distributeur Kiloutou a ainsi créé une plateforme de dialogue entre collaborateurs et personnes qui visitent le site RH de l'entreprise.
Les start up et scale up ont fortement contribué à la démesure des salaires en digital. "Elles faisaient des offres de salaire supérieures aux demandes des candidats pour les attirer à coup sûr " se souvient Hymane Ben Aoun. Virgile Raingeard se souvient de son "plus gros far west, celui des métiers du Web 3. Un développeur avec une formation blockchain double son salaire après sa formation, il passe de 50 000 à 100 000 euros annuels, puis il est débauché quatre mois plus tard à 150... Dont 70 000 en token..." Dont la valeur s'est effondrée depuis. Virgile rappelle que la surenchère salariale est intrinsèque au modèle des start up et scale up : "Les investisseurs veulent que la start up décolle rapidement ou meure. Quand on perd 10 M € par mois, ce n'est pas la même chose que quand on a une marge de 5 %. La priorité est de recruter, on règlera le problème des salaires plus tard, ou pas, puisqu'il y aura une autre levée".
...C'était 6,5 % l'an dernier
Mais il y a eu un coup d'arrêt à l'été 2022 avec la crise et les licenciements chez les gros acteurs du digital et les start up. Même un acteur comme BackMarket, qui a levé 250 M€, baisse ses effectifs. Car il sait qu'il va devoir tenir quatre à cinq ans au lieu de deux ans avec les sommes levées. "Il y a un resserrement des effectifs, mais pas des salaires, les start up continuent d’augmenter leurs salariés, pour qu'ils ne partent pas". Et puis, les métiers de la tech sont toujours en pénurie.
"Les salaires sont à la traine de la crise, ils ne vont pas baisser tout de suite. Quand ça va mal, le recrutement donne une idée de l"évolution du marché (offres acceptée ou refusées). Mais c'est comme dans l'immobilier, les offres de référence sont toujours les derniers salaires proposés"
Du coup, l'augmentation de salaire à prévoir en moyenne dans le digital en 2023 est de 5 % (c'était 6,5 % l'an dernier). L'univers devient plus incertain : beurre et confiture c'est terminé. Autrement dit, les start up proposaient aux candidats une expérience bien payée sans trop de dépassement horaire et avec une forme de sécurité de l'emploi. Aujourd'hui, elles reviennent à la réalité. Une sur dix seulement va réussir. Et les autres licencieront. Du coup, les grandes entreprises ont des arguments à faire valoir. "Encore faut-il savoir raconter son histoire" et expliquer à un jeune qu'un salaire c'est bien, mais que de la participation dans une société de champagne prestigieuse, cela peut être mieux... Ou même, beaucoup mieux que les plans d'intéressement en crypto qui sont partis en fumée.
En 2023, les profils les plus compliqués à recruter sont les métiers de la data, sauf les métiers de la data science : "Au lieu de prendre 10 data scientistes, on va se limiter à 3 ou 4 et se reposer sur les nouveaux services d'intelligence artificielle" explique le patron de Figures. Les data analystes et data ingénieurs seront sous tension. Et un nouveau métier émerge, celui de data steward, pour assurer la qualité de la sécurité des données et partager les bonnes pratiques.
Le métier des product est aussi très demandé. "Sur Figures, la première requête, c'est 'combien sont payés les product managers' Les sociétés une organisation produit plutôt que projet, le cycle en V n'est plus à la mode".
Comme les métiers de la data, le métier de product se spécialise, explique la patronne d'Aravati :"Auparavant, un product owner faisait tout. Maintenant ils se spécialisent dans la data, l'IT, les API, le CRO..."
Face à la pénurie de profils, beaucoup d'entreprises misent sur la formation (avec des acteurs comme Maestro, qui accueillait la conférence).
Enfin, sur la période 2022, 2023, les grands gagnants sont les métiers de la market place, puisque tous les acteurs se sont mis à vendre en ligne. Et ces profils n'existent pas.
Les développeurs sont aussi très demandés "Chez HumanSkills, nous sommes sur le même plateau que La Relève, et nous voyons bien la difficulté des missions !"
Les entreprises qui font du boot camp ont pris de l'avance et augmentent la diversité notamment homme-femme. "11 % des développeurs sont des femmes, mais la proportion est plus importante dans les Bootcamp".
reste que les entreprises ne font pas encore assez le pari de la diversité, au sens large (homme femme, handicapé, minorités, diversité sociale). Lors du forum de l'Alliance Digitale, le fondateur de Simplon, Frédéric Bardeau, a exhorté les RH à ne plus faire faire leurs tâches techniques par des sur-diplômés, mais à recourir aux personnes formées par cette école, qui s'adresse aux sans bac et plus, et recrute ses élèves un peu partout. "L'accueil de profils divers demande des efforts, qui sont souvent récompensés par une plus grande fidélité" encourage Hymane Benaoun.
Unifier les externes et l'interne
Avec la pénurie des profils, le recours à la régie s'accélère. Et les entreprises font des efforts pour mieux les intégrer : "Beucoup de RH ont repris le sujet des free lance. Et dans certaines entreprises, ils sont conviés aux mêmes événements que l'interne. "La France fait encore trop de distinction entre les populations salariéses et en régie. "Il faut unifier ces deux mondes" préviennent en coeur Virgile et Hymane.
Les managers se rebiffent
Les start up ont créé des organisations horizontales où les managers ne sont pas forcément mieux payés que ceux qu'ils encadrent. Sauf que ça ne fonctionne plus : "Ils doivent faire des plans de carrière à 5 ans pour des gens qui restent deux ans, gérer tout un écosystème, ils ont moins de droits et plus de responsabilités. les candidats ne se bousculent pas. "Le manager d'équipe manage un écosystème, avec free lance et salariés, et composer avec le télétravail. Cela s'est beaucoup complexifié, personne n'est formé à cela. Les entreprises recommencent donc à mieux payer les managers pour les inciter à relever le défi" explique Hymane Benaoun.
Le management de transition, au sein d'Aravati, a aussi explosé "on ne peut plus se permettre d'avoir un management absent"
Enfin, la bonne nouvelle, pour cette cinquantaine de DRH invités mardi dernier : dans ce monde très complexe, les RH reprennent du galon. "Leur pouvoir et leur rémunération ont beaucoup augmenté".