Qui ?
Didier Zakine (en photo), directeur de Via Buenos Aires et Mariano Favetto, directeur de création.
Quoi ?
Une discussion, autour du modèle inédit imaginé par l'agence Via Buenos Aires : mettre en contact les agences de pub du monde entier avec les créatifs argentins. A Paris, Ogilvy, Publicis ou Proximity BBDO sont les premiers à avoir été séduits par ce concept.
Comment ?
- Via Buenos Aires, c'est quoi ? De l'offshoring créatif ?
Didier Zakine : L'idée est de tirer partie des créatifs argentins, qui raflent chaque année des dizaines de prix à Cannes, pour mettre leur talent à disposition des agences dans le monde. Chaque groupe est constitué en fonction des besoins du client. L'avantage par rapport aux équipes des agences en Europe ou aux Etats-Unis : on part de zéro, on peut tout faire. Ces créatifs abordent les projets sans préjugés.
Mariano Favetto : Nous ne sommes pas un réseau de freelances, mais plutôt une petite agence qui travaille pour de grosses agences, un groupe de créatifs. Nous avons un noyau dur de 8 personnes, dont 3 en France et on travaille à distance, avec Skype. Il ne s'agit pas seulement d'un DA et d'un CR, nous avons des équipes aux profils variés.
- Donc vous proposez aux agences des idées low-cost ?
MF : Non, nous ne sommes pas low-cost, nous offrons un bon rapport qualité-prix. Nous ne sommes pas beaucoup moins cher qu'un freelance à Paris, mais beaucoup moins cher qu'un freelance expérimenté. Il est très difficile de mettre un prix sur une idée, alors on met un prix sur du temps passé. Sur la plupart des projets, on est payé à 100%. Pour les pitch, on partage les risques : si le client gagne le budget, on prend un bonus.
DZ : Les agences qui nous consultent le font parce qu'elles n'ont pas les ressources en interne ou qu'elles veulent mettre en concurrence les équipes créatives. Si elles font appel à nous, c'est déjà parce qu'elles veulent quelque chose de détonnant.
- Pourquoi les Argentins seraient-ils plus créatifs que des Français ou des Américains ?
MF : L'Argentine est un pays continuellement en crise : tous les dix ans, il faut trouver des moyens de faire les choses différemment. Le changement est culturel : il ne s'agit même plus de penser "out of the box", mais de casser la boite.
DZ : En France, on a l'habitude de faire des choses plutôt défensives. Eux ont d'autres ressorts créatifs.
MF : En Argentine, les relations sont aussi beaucoup plus étroites entre les agences et les clients : on voit que les problématiques de com des annonceurs ne sont pas seulement des questions de publicité, leur but est de vendre plus.
- Avec qui travaillez-vous ?
MF : Les gens avec lesquels on s'entend le mieux sont ceux qui ont une grande culture de la pub, dans les grandes agences. Pour que notre collaboration fonctionne, il faut travailler avec les décisionnaires. On est comme le troisième bras du directeur de création. On vient le challenger, on n' est pas dans une relation de prestataire. Les gens avec qui on travaille sont ceux qui ont compris que l'on est pas concurrents mais partenaires.
DZ : Nous travaillons avec des agences en France, aux Etats-Unis, au Mexique, au Canada... On vient nous chercher par la recommandation et le bouche-à-oreille.
- Un exemple de création d'une agence Française made in Argentine ?
MF : On a sû mettre notre ego de côté. Très souvent les clients nous demandent à qui sont les droits, qui signe la créa, qui va monter les marches... notre travail c'est de donner des idées, pas plus. On donne l'embryon et si l'idée débouche finalement sur autre chose, ce n'est plus notre problème. Il n'y a pas que l'idée qui compte, derrière il faut la vendre et la produire...
DZ : Nos clients n'aiment pas trop être cités. Mais nous avons travaillé par exemple avec Cheil France, qui nous a demandé de l'aide sur la production d'un film pour le Galaxy Note II. En activant nos réseaux à Buenos Aires et en faisant venir l'artiste Mambo de Los Angeles, on a réussi à le produire pour bien moins que le million d'euros qu'il aurait coûté en France.
MF : Ce film est un parfait exemple de créativité argentine. La crise est enracinée dans notre culture. On veut faire un truc géant, mais on a pas d'argent, donc on se demande comment remplacer 100 éléphants par un chien.
http://www.youtube.com/watch?v=Oa2RKxMBFaI
- La différence culturelle n'est pas un problème pour travailler sur des problématiques publicitaires locales ?
MF : Généralement, on nous briefe sur des campagnes globales. Sur ce type de projets internationaux ou régionaux, il faut trouver l'idée pure qui permette de toucher le plus de monde possible, c'est là où nous sommes les meilleurs. Mais il y a des différences culturelles dans la façon de travailler et nous en sommes conscients. Par exemple, en Argentine dans la pub, l'idée est reine. Même si la production n'est pas 100% léchée, les gens vont aimer l'idée. En France, c'est l'inverse, si l'idée n'est pas aboutie, n'a pas la bonne mis en page, elle ne plaira pas. Tout doit avoir un haut niveau graphique et esthétique, plus important que l'idée elle-même. Au Etats-Unis, c'est encore différent. Le Canada est plus proche de l'Argentin, plus décalé, plus relax.
DZ : Un exemple : pour l'un de nos premiers clients il y a deux ans, Mariano a livré des maquettes avec un personnage en cohérence avec l'idée, mais tout maigre et moche, presque effrayant, comme ce qu'on aurait fait en Argentine. On nous a dit qu'on ne pouvait pas montrer ça en France.
- Quel(s) type(s) d'idée(s) vous demande-t-on ?
MF : C'est très divers : on nous demande parfois une big idea pour le web, une activation pour du street... Il nous arrive même de faire du corporate. Mais on doit surtout penser à ce qu'on veut donner aux gens et ensuite on voit par quel moyen : est-ce que c'est un service, un spot, de l'affichage ? Globalement, il n'y a plus une seule campagne sans digital. On note un vrai changement dans ce domaine : avant, le digital, c'était un film rigolo pour le web. On avait pas d'argent, donc on allait sur le web. Maintenant, les gens comprennent que le digital ce n'est pas bon marché, ça marche différemment. Ce qu'on fait maintenant sur le web est aussi cher qu'une campagne TV. Le problème avec les gens de ma génération, c'est qu'ils ont l'habitude de partir du spot TV et de faire l'adaptation : il est difficile de penser avec des concepts globaux, des big ideas qui créent un lien avec le consommateur quel que soit le canal.
DZ : Sur le web, c'est la pub qui tire la technologie vers l'avant : on part d'une idée pour inventer une solution technique. Ça nous intéresse, parce qu'en Argentine, on n'a pas peur de faire des choses qu'on ne sait pas faire. Si on veut le faire, on trouvera un moyen de le faire. Là-bas, on a envie de faire des choses nouvelles, ce qui est plus difficile dans des grosses structures avec des contraintes fortes.
- Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?
DZ : Nous ne voulons pas devenir une machine qui pond des idées. L'ambition est d'avoir des partenariats forts avec des groupes de communication, pour les accompagner à l’international. Idéalement, on aimerait bien s'installer à New York, Toronto et Montréal, des villes avec une forte culture publicitaire et des besoins créatifs.
Propos recueillis par Benoit Zante