Qui ?
Frédéric Levaux, Chief Digital Officer de EY.
Quoi ?
Les recommandations d'un Chief Digital Officer pour une digitalisation réussie, lors du CDO Day organisé par l'Usine Digitale, dont Petit Web était partenaire.
Comment ?
Frédéric Levaux a rejoint EY (ex-Ernest&Young) au printemps 2015, pour digitaliser le cabinet et ses clients. Cet ancien patron de start-up est aussi passé par le conseil, notamment auprès de la cellule d'innovation de Pernod Ricard (lire notre article). Après quelques mois au sein d'EY, il avoue : "en tant que CDO, on a parfois l'impression d'être un intermittent du spectacle". Comprendre : un électron libre qui passe la plupart de son temps à évangéliser l'interne, en y infusant la culture du digital. Sans oublier l'aspect précaire de la fonction, puisque la mission du Chief Digital Officer est par principe limitée dans le temps.
L'évangélisation commence par le comité de direction. Une "learning expedition", avec l'organisation d'un séjour dans la Silicon Valley est un passage obligé. "C'est un peu comme un safari : on voit les Google, Apple, Facebook, Twitter... Cette étape est absolument nécessaire pour sensibiliser le Comex : après, on comprend qu'un gamin de 24 ans peut vraiment mettre en danger votre activité, explique Frédéric Levaux. Mais ce qui est plus important, c'est d'aller voir les start-up, les incubateurs. Et pour cela, on a pas besoin d'aller dans la Silicon Valley." Une fois les hautes sphères convaincues de la nécessité d'accélérer, vient la seconde étape : la mise en place d'outils internes pour collaborer et échanger, ainsi que le déploiement de Mooc pour sensibiliser les collaborateurs au digital.
La mobilisation de l'interne peut prendre de nombreuses formes, dont les hackathons et autres appels à contribution de start-up - à manier avec prudence. "Ce sont des cartes que vous ne pouvez jouer qu'une seule fois : si vous récompensez une start-up sans lui donner accès à votre business ou que vous organisez un hackhaton sans qu'il y ait de suite, les start-up ne reviendront pas. L'écosystème a une mémoire." Frédéric Levaux sait de quoi il parle : il a auparavant créé plusieurs start-up, qui lui ont permis de gagner des dizaines de prix, "mais aucun ne m'a jamais rapporté de Chiffre d'Affaires". Dans sa mission d'évangélisation, le CDO a aussi tout à gagner à s'appuyer sur de nombreux partenariats avec l'écosystème, que ce soit les acteurs de la tech et du web (Facebook, Linkedin, Twitter, Google,...), des fonds d'investissement, des accélérateurs ou des incubateurs de start-up. "Ce connecter à ces gens-là nous apprend beaucoup : ils nous permettent de voir ce qu'il se passe à l'extérieur de notre écosystème."
Si l'évangélisation est essentielle, elle ne doit pas être la seule mission du CDO : "l'accélération de projets fait la différence entre un CDO qui est dans la communication et un CDO qui est au coeur de la transformation." Pour entrer dans l'action, le CDO doit commencer par définir plusieurs projets réalisables à brève échéance, en réponse à des problématiques centrales pour l'entreprise. Généralement les délais sont de 3 mois, pour tester, pivoter, et décider d'abandonner ou de déployer le pilote à grande échelle. "Aucun CDO ne fait un plan quinquennal de la transformation digitale. Il faut lancer de plus en plus de projets, et en planter, si possible, de nombreux. Cela permet d'itérer et d'avancer. L'avantage, c'est que l'on peut aujourd'hui échouer pour bien moins cher qu'avant."
Le pré-requis pour réussir ces pilotes : faire le lien entre problématique business et solution digitale, dès le début, et non l'inverse. "On part d'abord des points de frictions et on réfléchit ensuite à la façon dont le digital peut les améliorer. Ensuite, vous pouvez aller voir l'écosystème et identifier les start-up pour y répondre, en leur présentant une problématique, un budget et un responsable du projet." Tous les projets ne peuvent pas être abordés de la même façon : ils doivent être catégorisés.
Ainsi, l'innovation incrémentale peut être traitée directement par les Business Units. Les innovations "stretch" (ajouts de services à un produit existant, proposition de nouveaux produits à des clients existants ou extension d'un produit existant à de nouveaux clients), elles, doivent plutôt être incubées dans une structure dédiée à l'accélération de projets.Les innovations de rupture, elles , doivent, par définition, être pensées hors de l'entreprise. "La disruption en interne, c’est comme un virus : l’organisation va tout faire pour la combattre... il faut donc la nourrir en externe, par exemple en menant des projets en partenariat avec des start-up."
Enfin, pour défendre sa position, le CDO doit s'attacher à définir des indicateurs de performance. Ceux-ci dépendent de la nature des projets de transformation : il peut s'agir de l'augmentation des ventes, de gains de productivité, de fréquence d'usage de services ou d'applications, etc. De manière transverse, EY a aussi mis en place une plateforme d'auto-évaluation pour ses clients : le Digital Readiness Assessment. Plus de 150 entreprises du monde entier y ont participé et elles peuvent désormais comparer entre elles leur avancée sur sept piliers ("Customer Experience", "Supply Chain & Operations", "Finance & Legal", "Risk & Cybersecurity", "People & Organisation", "Strategy & Innovation").
Benoit Zante