Qui ?
Eric Perrier, co-fondateur et DG du groupe Viseo (en photo) et Karine Fillion, DG de l'agence Novedia.
Quoi ?
Une interview sur les nouveaux modèles d'agences, à partir de l'exemple de l'intégration de Novedia (agence digitale) par Viseo (services informatiques).
Comment ?
- Pourquoi avoir fait le choix, en février 2014, d'intégrer une agence digitale à une société de services informatiques ?
Eric Perrier : Notre vision était de créer une entreprise avec un schéma différent, en considérant que le numérique n'est plus une option pour les entreprises. A mi-chemin entre les agences et les ESN (entreprises de services numériques) classiques, il y a un terrain de jeu pour des acteurs de taille intermédiaire. Que la vision numérique soit portée par le directeur marketing, le directeur du digital ou la DSI, n'est plus un souci pour nous. Notre positionnement nous permet de contribuer à la définition de la vision stratégique au contact de la direction générale et du Comex mais également de prendre en charge la mise en œuvre des moyens qui supportent le plan de transformation digitale.
- Comment menez-vous l'intégration des entreprises que vous rachetez ?
Eric Perrier : Intégrer des sociétés n'est pas facile. Faire travailler ensemble des populations qui viennent d'univers différents est encore plus compliqué. Nous avons mené une quinzaine d'opérations de croissance externe en quinze ans, dans l'objectif de constituer un groupe multi-spécialiste. Le fait de rester indépendant et agile nous donne la capacité à mieux créer les ponts entre nos différentes compétences. Nous cherchons à aller bien au-delà de l'addition de compétences, qui est le modèle classique.
- Pour une agence digitale, être associée à une entreprise technologique, qu'est-ce que ça change ?
Karine Fillion : Le principal changement est de ne plus avoir de frontière entre les enjeux marketing des projets et les enjeux et besoins des autres métiers de l’entreprise. Un des défauts des agences digitales, c'est de voir un projet par le seul prisme du consommateur, d'apporter une vision consumer centric sans se soucier de l'impact du dispositif au-delà du projet. Les agences - même digitales - prennent rarement en compte les contraintes des SI, et ne sont pas en mesure d’exprimer tout le potentiel des technologies, car leurs interlocuteurs sont les directions marketing et communication. Le fait d'être dans le même immeuble que les responsables techniques nous donne la capacité d'appréhender les contraintes SI, et d’identifier les opportunités très en amont. Cela nous permet aussi d'avoir davantage conscience des enjeux business plus larges, pour accompagner les entreprises au-delà d'un simple brief ponctuel.
- Et pour une entreprise de services numériques, être associée à une agence, qu'est-ce que ça change ?
Eric Perrier : La grande différence tient au mode de rémunération. Nous venons d'un monde où nous sommes jugés sur le ROI et l'impact de nos actions. Le mode de contractualisation devrait évoluer progressivement. Nous y voyons notre intérêt : les engagements des agences sont beaucoup plus longs que ce que nous avons. C'est paradoxal, car nous travaillons sur des problématiques de transformation à long terme !
- Vous n'êtes pas les seuls à initier ce rapprochement entre publicité, conseil stratégique et technologie. En quoi votre démarche est-elle différente ?
Eric Perrier : Du côté des ESN, il y a deux catégories. Celles qui sont dans des logiques de massification vont continuer à grossir pour faire du volume, elles sont sur un modèle de commodité et facturent des jours hommes. Ce n'est pas notre stratégie : nous travaillons plutôt en mode projet, sur des logiques de création de solutions, avec une rémunération au forfait. Nous ne recherchons pas la croissance à tout prix. Du coté des agences, entrer dans le monde de la technologie demande du temps et des compétences difficiles à agréger. Celles qui ne réussiront pas cette transformation resteront sur des activités en amont comme la marque, l'événementiel, la communication.
Karine Fillon : Nous nous structurons sur tous les sujets de transformation avec un niveau important d'investissements, ce que tout le monde ne peut pas faire. Cela nous permet de répondre au quotidien à trois types d'enjeux : la transformation du consommateur, l'entreprise agile et les nouveaux univers connectés.
- Un exemple ?
Karine Fillion : Pour Schneider Electric, nous avons mené une réflexion sur le contrôle des systèmes électroniques. Nous avons conçu et réalisé un système qui permette aux ingénieurs de collecter et transmettre les données sur le terrain en temps réel. Ce travail qui était fait avec des outils offline (notes, papier) est maintenant possible de façon complètement dématérialisée. Les données sont transmises via le Cloud et mises ainsi à disposition d’autres équipes susceptibles de les analyser. Nous avons particulièrement soigné l’interface utilisateur, l’ergonomie adaptée à la dimension travail sur le terrain et fait en sorte que l’ingénieur puisse facilement utiliser toutes les fonctionnalités de l’OS et de l’application sur sa tablette en mode connecté comme déconnecté. L’ambition est un déploiement mondial au profit de plusieurs milliers d’utilisateurs salariés de Schneider. Tout le projet a été mené en mode full agile avec un sprint 0 de 60 jours et 16 sprints déroulés sur une période de 12 mois. Le système est live et plus d’une centaine d’early adopters utilisent l’outil au quotidien.
Eric Perrier : De même pour le Transilien de la SNCF, nous avons déployé un applicatif métier qui donne accès à tous les contenus informatifs disponibles sur l’intranet, et qui fait remonter les problèmes en temps réel sur les mobiles des agents, afin de leur donner les clés pour réagir et informer les voyageurs. Cela change totalement leur métier, en impactant toute la chaîne de valeur.
Karine Fillion : Nous accompagnons aussi le Groupe Pernod Ricard dans sa démarche de sensibilisation à une consommation plus responsable. Convaincus que l’on ne peut corriger que ce dont on a conscience, nous avons conçu une application mobile de Quantified Self : Wise Drinking. Compagnon de soirée, cette application est disponible dans le monde entier en plus de 37 langues, et permet à chacun de calculer le nombre d’unités d’alcool consommées en temps réel, de rentrer chez soi en toute sécurité et même de jouer avec ses amis.
- De quelle(s) façon(s) abordez-vous le sujet de l'innovation ?
Eric Perrier : Notre centre de recherche et d'innovation est installé à Grenoble, où nous avons un laboratoire commun avec l'Inria, pour mener des projets entre industriels, universitaires et agence. Nous innovons ainsi pour le compte de nos clients sur des sujets qui ne sont pas traités par leurs directions de l'innovation. Les clients viennent nous voir pour faire des "Proofs of Concept", car ils n'ont pas en interne les compétences, la méthodologie ou les liens avec les interlocuteurs pertinents (grands éditeurs, start-up, géants du web). Ce qui nous intéresse, c'est que les clients gagnent de l'argent avec ce qu'on fait, ce qui pose la question de la mesure de la performance de l'innovation. Nous menons aussi des réflexions avec des chercheurs et des start-up sur des sujets comme le web sémantique, la digitalisation du point de vente ou l'IoT et les services qui peuvent lui être associé. Et puis nous développons aussi des outils que nous commercialisation, pour la prévision des ventes, l'exploration des données ou la collaboration des équipes.
Karine Fillion : Dans le domaine de l'internet des objets, par exemple, nous avons travaillé sur la voiture connectée avec Allianz. Et Novedia était associée à Bouygues Telecom, PSA Peugeot Citroën et trois start-up sur le projet de la 308 connectée. C'est un projet qui n'aurait pas pu voir le jour seul : nous nous positionnons comme facilitateur et agrégateur de l'idéation.
Propos recueillis par Benoit Zante