Qui ?
Nicolas Pouard, Blockchain Initiative Director d'Ubisoft Strategic Innovation Lab.
Quoi ?
Une interview avec l'un des acteurs les plus actifs dans le domaine de la blockchain.
Comment ?
Comment avez-vous rejoint Ubisoft ?
J’ai un profil particulier. Il y a cinq ans, Caroline Jeanteur (chief strategic innovation officer d'Ubisoft, voir ses 7 maçons d'innovation ici) m’a proposé de rejoindre Ubisoft pour travailler sur la cohérence des mondes.
Ubisoft crée des mondes ouverts que les joueurs arpentent à leur guise, alors que la plupart des jeux ont un parcours utilisateur défini à l’avance. Quand on a un monde de centaines de kilomètres carrés, comme Ghost Recon Wildlands, il faut que le millier de personnes qui travaillent au jeu proposent un univers cohérent, en terme esthétique mais aussi de système. Pour favoriser la collaboration, nous nous sommes inspirés du Business Model Canva. Mais l’outil n’a pas été tellement été utilisé. Il faut surtout casser les silos et proposer des outils de production spécifiques.
Comment est organisé le Lab ?
Aujourd’hui, il compte 26 personnes et notre mission est d’explorer le futur à long terme. Chez Ubisoft, chaque équipe se doit d’innover pour chaque jeu. Le Lab est là pour explorer le futur à long terme et au-delà du jeu, en explorant ce qui se fait dans le divertissement et chez les GAFA, car les réseaux sociaux ont des enjeux proches des nôtres en terme d'acquisition et de rétention de leur communauté. Il y a quatre pôles, la prospective (avec beaucoup de sciences humaines) qui se penche par exemple en ce moment sur le transhumanisme ou les virtual idols en Asie. La communication, pour faire passer nos messages aux 17 000 personnes dans 60 pays. Le prototypage, pour rendre plus concrètes les recherches prospectives, sur l’IA pour la créativité et l’approche systémique de création de monde. Et enfin, le pôle open innovation qui a deux branches. L’une qui travaille avec les grands groupes et l’autre avec une dizaine de start up pour la saison 4 de notre programme d'incubation à Station F, l'Entrepreneurs Lab. C'est dans ce cadre dédié à l'innovation que nous avons créé la Blockchain initiative.
Comment avez-vous plongé dans la blockchain ?
Il y a deux ans, après un travail de prospective et de prototypage, j’ai demandé à créer une équipe blockchain dédiée. C’est un gros sujet qui va mettre du temps pour s’imposer dans la vie courante, mais qu’il faut creuser en profondeur. L’équipe blockchain, constituée il y a un an, compte aujourd’hui sept personnes avec l’arrivée d’Anuj Das Gupta, ex-chief research officer de Stratum. Ubisoft est l’éditeur le plus avancé sur le sujet. On murmure qu’Electronic Art s’y met aussi.
Pourquoi un acteur centralisé qui a la confiance des utilisateurs va sur le décentralisé ? Qu’est-ce qu’il a à gagner ?
Avec la blockchain, on peut toucher plus d’utilisateurs avec de nouveaux outils pour générer de la confiance et créer des jeux de meilleure qualité, avec plus de joueurs. Les millions d’utilisateurs de The division II interagissent entre eux. Si demain on peut leur donner de nouveaux outils pour cela, c’est gagnant. On s'est toujours intéressés à donner de la maitrise au joueur. Et l'origine même de la blockchain est liée à une frustration d'un joueur. Le créateur d’Ethereum a eu cette idée parce qu’il jouait à World Of Warcraft et s’est rendu compte qu’un de ses personnages avait perdu de ses pouvoirs . Il s'est alors demandé comment jouer des jeux décentralisés qui ne répondent pas uniquement au bon vouloir de leur éditeur. Par la suite, le créateur de Second Life, Philip Rosedale, a annoncé qu’il crée un nouveau Second Life en virtuel. Et pour l'échange monétaire et d’objets, il a choisi la blockchain.
A quoi sert la blockchain pour les jeux vidéo ?
Elle permet des échanges sans avoir besoin d’intermédiaire en s’appuyant sur la technologie pour créer de la confiance entre utilisateurs. Dans les jeux vidéo, les utilisateurs manipulent beaucoup d’objets virtuels. La blockchain peut aider à établir la véritable propriété des objets. Aujourd'hui, quand un utilisateur termine un jeu, le temps qu’il y a consacré et les objets qu’il a créés partent en fumée. La blockchain peut aider à transférer ses éléments à un proche, les revendre, ou à les réutiliser dans un autre jeu. Il faut que la valeur créée revienne au joueur. Aujourd’hui, il y a un marché noir des comptes des joueurs. La blockchain pourrait le rendre plus transparent. Avec elle, on explore la valeur détenue par les utilisateurs qu’on n ’aurait pas perçue.
Concrètement, qu’est ce que vous avez sorti ?
Hashcraft est un prototype réalisé par l'équipe de prototypage du Lab dirigée par Nathalie Piccard. Quand on crée un monde, celui-ci existe sur des serveurs utilises par l’éditeur Hashcraft est hébergé sur les PC des différents joueurs et partagé entre les joueurs. Il y aura d’autres prototypes, pour explorer ce qui est pérenne. Mais pas de mise à l’échelle : la blockchain n’est, pour le moment, pas suffisamment robuste pour des millions de joueurs.