Pourquoi ?
L'année 2015 a été marquée par la multiplication des marques d'intérêt des grands groupes par les start-up : hackatons, incubateurs, accélérateurs, fonds d'investissements corporate, think tank, appels à projets, mise en place de "proofs of concepts"... tout semble bon pour capter le dynamisme et l'innovation des jeunes pousses. Après le bourgeonnement des initiatives, 2016 sera l'année de la maturité et les projets communs, davantage orientés business, vont se multiplier. Voici nos clefs pour ne pas faire d'erreur.
Comment ?
1. La culture
Les modes de fonctionnement, le langage, les moyens à disposition... tout oppose les start-up des grands groupes. La start-up, en raison de son business model en construction, court le risque d'apparaître comme un partenaire peu fiable. Pour rassurer, elle doit donc apporter des garanties : levées de fonds, investisseurs reconnus, relais dans les médias, premiers clients... Le grand groupe, lui, doit accepter un certain niveau de risque : c’est aussi un moyen d'apprendre, comme les start-up, à échouer rapidement, en expérimentant.
Devant ces incertitudes, les grands groupes peuvent être bridés par la peur de l’échec, mais aussi par le syndrome du "Not Invented Here" : ses ingénieurs considèrent qu’ils peuvent faire la même chose que la start-up. C’est peut-être vrai, mais en deux ans... En interne, travailler avec des start-up n’est pas toujours bien vu et l’attention réservée à ces partenaires extérieurs peut susciter des jalousies.
La plupart des entreprises qui souhaitent collaborer avec les start-up ont donc défini des interlocuteurs qui leur sont spécifiquement dédiés, qui évangélisent aussi bien en interne qu'en externe. Ces "guichets d’accueil" pour startuppeurs sont ensuite chargés d’identifier en interne les bons interlocuteurs pour chaque cas de figure et d’aiguiller les entrepreneurs, leur apportant un gain de temps considérable. Chez Pernod Ricard ou La Poste, il s’agit d'anciens entrepreneurs, à la tête d’une structure à l’écart de l’activité principale de l’entreprise. Au sein du Crédit Mutuel Arkea - qui a notamment racheté la start-up Leetchi - l’impulsion vient directement de la direction générale. Chez Accor, il s'agit d'un ancien responsable de BU. A chaque entreprise de trouver la personne la plus à même d’incarner la relation avec les start-up et de créer les ponts avec l'écosystème.
2. Des intérêts divergents
Pour un grand groupe, une collaboration avec de nouveaux entrants a plusieurs objectifs : identifier des acquisitions potentielles, insuffler un esprit d'open innovation en interne, se nourrir des méthodes agiles des nouveaux entrants, prendre de l'avance sur les concurrents, diffuser à l'extérieur une image innovante, enrichir leurs offres de produits et services, etc.
De son côté, la start-up attend plusieurs types de contreparties : un accès à un réseau de distribution, une aide technique et logistique, la possibilité de tester à grande échelle son concept auprès d’un premier client, etc. Encore faut-il que la jeune entreprise soit prête à faire le bond, en termes de recrutements notamment. Dans une étude menée par TNS Sofres pour Butagaz, 57% des start-up interrogées indiquent rechercher avant tout de la notoriété et de la visibilité, 55% bénéficier de la caution d’un partenaire reconnu, 51% accéder aux marchés et prospects et seulement 31% recherchent du coaching.
Quelques questions doivent être abordées d'emblée : quels sont les intérêts des deux parties ? Le partenariat dont il est question est-il équilibré ? La start-up a-t-elle bien explicité son business model, ses ambitions ? La dimension financière reste fondamentale : la start-up s’attend soit à vendre un produit ou un service directement au grand groupe ou par son intermédiaire, soit à susciter son intérêt dans le cadre d’une prise de participation future. Les motivations réciproques gagnent donc à être explicitées de façon claire et honnête dès le début de la relation.
3. La vitesse
Comment concilier le rythme de la start-up et du grand groupe ? La jeune entreprise se caractérise par une structure légère, avec des circuits de décisions courts, mais aussi des ressources limitées et des effectifs réduits. Ne rien faire a peu de conséquence à court terme pour un grand groupe, alors que pour une start-up, c’est la mort. L’agilité des start-up est donc un atout, mais elle engendre aussi d’importantes frustrations face aux contraintes internes des grands groupes, constitués en silos. "Une méthode assez simple, c’est de répondre à ses mail et redonner rendez-vous aux entreprises qui vous intéressent dans les deux semaines. C’est ce qui se passe en Israël, mais malheureusement, très rarement en France" explique ainsi Jeremie Brabet-Anodaljo, DG de Pzartech, un Français de la Valley israélienne.
Pour s’adapter au rythme des start-up, la mise en place des pilotes doit se faire de façon accélérée, encadrée et limitée dans le temps. C'est aussi l’occasion pour le grand groupe de tester de nouvelles méthodes de travail, plus agiles et collaboratives. Chez Pernod Ricard, les projets durent six mois maximum : trois mois pour concevoir le pilote, trois mois pour le tester. Chaque pilote a son chef de projet, ses objectifs et son budget. La cellule d’innovation BIG peut aussi co-financer des dispositifs et fournir des ressources, mais les filiales sont toujours impliquées financièrement dans les projets (lire notre article à ce sujet).
4. Les process
Les départements achats freinent souvent les contrats susceptibles d’engendrer une dépendance économique. En réponse, certains groupes ont mis en place des procédures de référencement simplifiées. Ainsi, La Poste a désormais un acheteur spécialisé dans la relation avec les start-up, ainsi qu’une charte des bonnes pratiques, conçue main dans la main avec la direction juridique, explique Fabien Monsallier, directeur de l’innovation, de la prospective et de la transformation digitale du Réseau La Poste.
Le juridique est aussi un obstacle : certaines start-up ont donc l’habitude de développer le "Proof of Concept" en parallèle à l’établissement du contrat, qui peut être signé après la mission. "Quand on est une petite entreprise, on n’a pas les moyens d’aller voir un cabinet pour décrypter les contrats de 80 pages que les juristes ont rédigés. Il faut les challenger et leur demander un contrat d’une page, ça marche" explique Yves Lacheret chez Accor. "Dans certains cas, avec des start-up, un simple bon de commande vaut contrat".
Pour les entreprises soumises au code des marchés publics, la situation reste complexe : en plus des procédures particulières qu’il impose, celui-ci demande aux candidats des références… Le propre d’une start-up est de ne pas encore en avoir ! Une fois le partenariat signé et validé par le juridique et les achats, puis mis en place, vient le moment du paiement : nombreuses sont les start-up à se plaindre de la complexité des processus comptables et des délais de paiement des grands groupes... En réponse à ces contraintes, certaines agences proposent de jouer les intermédiaires, facturant le grand groupe pour la mise en place du POC et la gestion du projet, puis payant ensuite les start-up impliquées.
Une fois le pilote mis en place et achevé, qu'advient-il du partenariat ? C’est une question à envisager dès le début du projet. Toutes les relations n’ont pas vocation à être durables. Dans tous les cas, il est préférable de l’anticiper, en fixant dès le début les termes de l’accord : CDD, union libre ou mariage ? Le meilleur moyen d’éviter les malentendus est donc de mettre les choses au clair dès le début en se posant les bonnes questions et en faisant preuve de pédagogie, des deux côtés. Le grand groupe a-t-il bien détaillé ses process, son organisation, présenté les différents interlocuteurs ?
5. La propriété intellectuelle
Sujet brûlant pour la plupart des start-up amenées à travailler avec des grandes entreprises : toutes craignent la "prédation", le fait de se faire déposséder de son idée et voir leur projet copié. Un accord de confidentialité n’est pas nécessaire dans les premières étapes de la discussion, mais il est possible d’en signer un une fois l’intérêt commun établi, en collaboration avec le département juridique. Il est aussi préférable d’associer les entrepreneurs dans les échanges exploratoires internes, en faisant preuve de transparence. Tout élément visant à rassurer les entrepreneurs du respect de leur concept est intéressant à mettre en place.
Une certitude : la collaboration avec les start-up n'est pas un sujet à prendre à la légère, car l'enjeu de réputation pour les grands groupes est fort. "Si vous récompensez une start-up sans lui donner accès à votre business ou que vous organisez un hackhaton sans qu'il y ait de suite, les start-up ne reviendront pas. L'écosystème a une mémoire" explique ainsi Frédéric Levaux, un ancien entrepreneur devenu Chief Digital Officer de EY (lire notre article).
Benoit Zante