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Innovation : quand le groupe AXA siffle la fin de la récré

Qui ?
Guillaume Borie, directeur de l'innovation du groupe AXA depuis décembre 2017.

Quoi ?
Le point sur la nouvelle stratégie d'innovation du groupe AXA, destinée à rationaliser les efforts, pour gagner en efficacité.

Comment ?

Après plusieurs années pendant lesquels se sont multipliés les hackathons, les labs et les effets d'annonce, le groupe AXA est semble-t-il déterminé à faire le ménage dans sa stratégie d'innovation. Exit les objets connectés, les POC ("proof of concept") sans lendemain et les applications gadgets, place à l'innovation comme relais de croissance pour les métiers de l'assurance. "On a dépassé la phase du foisonnement, qui est tout à fait normale et que tous les grands groupes connaissent dans le cycle de la transformation numérique. Maintenant, il faut accélérer, en regroupant les initiatives et en concentrant les investissements sur les sujets prioritaires" explique Guillaume Borie devant un parterre de journalistes.

"Simplifier pour transformer"

Ce jeune trentenaire, entré dans le groupe AXA dès sa sortie de Sciences Po a pris la tête de la direction de l'innovation fin 2017, à la faveur de la grande réorganisation du groupe initiée par le PDG Thomas Buberl. Ce plan, pudiquement présenté comme une "simplification" de l'organisation, a été accompagné de nombreux départs, dont celui d'Amélie Oudéa-Castera, qui incarnait jusqu'alors les sujets de transformation numérique et d'innovation (lire notre interview, en 2015, alors qu'elle était encore au sein de la filiale française).

Signe des difficultés du groupe sur ce sujet, une éphémère "Directrice générale de la Business Unit Innovation client et Nouveaux business models d'AXA", Joyce Phillips, avait été nommée en mai 2017, avant qu'un communiqué de presse annonce sa démission trois mois plus tard... entraînant dans la foulée la disparition de cette BU. "Désormais, l'ensemble des acteurs de l'innovation [les AXA Labs, le fonds Kamet ou encore AXA Corporate Venture] sont réunis sous un même toit, celui de la direction de l'innovation, pour mettre en commun nos efforts" explique Guillaume Borie.

200 millions d'euros par an

A l'occasion de sa réorganisation à l'automne, AXA a été relativement discret sur les sujets du digital et de l'innovation, sur lesquels il communiquait abondamment jusqu'alors : le groupe s'est borné à annoncer des investissements de 200 millions d'euros par an, "dans le cadre de notre budget existant dédié aux acquisitions". Mais le nouveau directeur de l'innovation rassure : "une part significative des budgets du groupe est dédiée à l'amélioration de nos processus, de la souscription à la gestion des sinistres. Cela n'est pas sous la responsabilité de la direction de l'innovation, mais entre les mains d'Astrid Stange, la Chief Operating Officer."

La mission de la direction de l'innovation, elle, est de trouver les moyens de "multiplier l'usage, les points de contact avec le client", afin de faire en sorte que l'assureur ne soit plus un simple "payeur", n'intervenant qu'en cas de sinistre, mais un "partenaire". Guillaume Borie détaille : "les acteurs les plus dominants, ceux qui capturent le plus de croissance, sont ceux qui arrivent à multiplier les points d'accès avec leurs clients." Une vision d'actualité avec l'arrivée d'Amazon sur le terrain de l'assurance  : des recrutements à Londres, mais surtout l'annonce d'un partenariat avec Berkshire Hathaway et JPMorgan dans la santé aux Etats-Unis.

"La réponse, c'est le service"

"Si on limite le rôle de l'assureur à la couverture financière du risque, on ne peut pas répondre aux évolutions majeures du marché et des consommateurs. La réponse, c'est le service." Les différentes entités dédiées à l'innovation ont donc pour mission d'accompagner ce virage vers les services, en priorité dans la santé et dans l'assurance d'entreprise, avec une attention toute particulière pour la clientèle des entrepreneurs et des PME.

"Une première phase, depuis 2010, nous a permis de mettre en place l'écosystème pour mieux comprendre les évolutions du consommateur et les tendances. L'objectif maintenant est de développer des services, pour élargir l'activité du groupe au-delà de l'assurance. C'est là que nous devons maintenant concentrer nos capacités d'innovation" martèle Guillaume Borie.

La première acquisition d'AXA depuis ce changement de cap donne le ton : Maestro Health (achetée environ 127 M€), une "assurtech" américaine de 300 personnes qui cible les moyennes et grandes entreprises. Avec son million de membres, elle compterait autant de clients que les assurés concernés par l'alliance Amazon/ Berkshire Hathaway/JPMorgan. "Le marché américain est celui où nous pensons pouvoir innover le plus rapidement avec cette approche servicielle pure, sans couverture assurancielle" estime Guillaume Borie. Les Etats-Unis sont donc l'un des terrains d'expérimentation privilégiés pour le groupe.

Une feuille de route en trois points

La feuille de route tient en trois points :
- connecter la stratégie d'innovation avec les objectifs du groupe.
- développer des services qui vont au-delà des prestations traditionnelles de l'assurance
- industrialiser les différentes solutions d'innovation

Autrement dit, les différents projets d'innovation vont devoir apporter rapidement la preuve de leur potentiel, en termes de croissance ou de revenus additionnels. Les partenariats et le BtoBtoC font ainsi partie des axes prioritaires. Par exemple, même si l'expérimentation blockchain "Fizzy", autour de l'assurance voyage (lire notre article) est présentée comme un "outil d'apprentissage", elle devra rapidement déboucher sur des partenariats, avec des voyagistes ou des compagnies aériennes, pour générer du chiffre d'affaires. Pour l'heure, son impact est très limité, avec moins de 10 000€ de primes d'assurance versées en 6 mois.

Kamet, le bras armé de l'innovation d'AXA

La démarche d'industrialisation de l'innovation est principalement incarnée par Kamet, le "start-up studio" du groupe, doté de 30 millions d'euros. "Sept start-up issues de Kamet ont développé des produits, et nous avons un pipeline d'une dizaine de prototypes. Tous les six mois, nous lançons un nouveau 'sprint' qui permet d'alimenter ce pipeline." Parmi ces projets, Setoo, basée à Tel Aviv, lancera prochainement son offre en Europe : une solution permettant à n'importe quelle entreprise de concevoir sa propre offre d'assurance dommage, sur mesure, pour la proposer ensuite à ses clients.

A la manière d'un fonds, AXA se créé donc un "portefeuille" de projets. "On crée différents projets, pour se constituer notre portefeuille d'options. Il est important ensuite d'avoir le bon process en interne pour tuer ce qui ne fonctionne pas et investir dans ce qui est porteur. Progressivement, on améliore le portefeuille d'options et on fait passer à l'échelle les meilleurs."

Pour l'heure, ces nouvelles activités n'ont pas d'objectif précis de chiffre d'affaires, "mais quand ces services auront atteint la taille critique, ils ont vocation à rejoindre les 'core business' du groupe." Ces activités nécessitent moins de capital que les métiers de l'assurance : "avec les services, l'objectif ultime est de générer un rendement sur capital investi plus important que dans l'assurance, même si pour les dix prochaines années, il s'agit surtout d'encourager la croissance, avant de dégager des revenus significatifs."

Benoit Zante

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