Qui ?
David Raichman, directeur de création d'Ogilvy One, en charge du Ogilvy Lab à Paris.
Quoi ?
Une interview sur la façon dont l'agence imagine les produits du futur et crée des prototypes pour ses clients. Des raquettes aux canettes en passant par les peignes, ça décoiffe.
Comment ?
- Ogilvy Lab, c'est quoi ?
C'est une initiative du groupe Ogilvy débutée en 2007, pour digitaliser l'agence au maximum. Il y a aujourd'hui des labs à New York, Tokyo, Londres, Beijing, Singapour, Sao Paolo et Paris. Chacun de ces Labs a sa spécificité et nous travaillons souvent ensemble. Nous avons par exemple travaillé avec Londres pour développer un peigne connecté pour Dove. Historiquement, les agences conseillent les marques sur ce qu'elles doivent dire. Avec Ogilvy Lab, nous les conseillons sur ce qu'elles doivent faire. Nous construisons avec nos clients une nouvelle génération de services qui répondent à deux objectifs : la communication et le business.
- Des exemples de réalisations du Lab parisien ?
Nous avons travaillé sur la "Shared Can" de Coca-Cola ou sur la connexion des raquettes Babolat. Ce dernier cas était un projet très dense, initié en septembre 2012, dont la commercialisation a débuté aux Etats-Unis en décembre dernier. Un vrai challenge de co-innovation et de co-création, avec des problématiques techniques importantes. Il a fallu analyser et synthétiser les 65 sources de données de la raquette.
http://www.youtube.com/watch?v=XZfWGCIfBl4
- Quel est votre rôle en tant qu'agence dans ce processus d'innovation ?
La force de l'agence réside dans l'idée, la création et l'expérience en design utilisateur : nous ne sommes surtout pas dans un rôle de chef de projet qui ferait le lien entre la marque et des prestataires techniques. Par exemple, la marque Babolat a pour signature "Tennis run in our blood", le travail de l'agence est de la traduire concrètement. Pour représenter les données, nous avons donc imaginé un objet organique, vivant, qui épouse cet ADN de la marque.
- Comment travaillez-vous avec les startups ?
Nous avons une relation ultra-fusionnelle avec l'écosysteme : on fait souvent de sessions de travail entre le client, nous et les startups, enfermés dans la même pièce pendant une semaine. Mais les startups n'ont souvent pas la force de frappe nécessaire pour mener de front leur développement produit et un travail pour une marque. C'est un équilibre fragile. Nous avons développé un procédé où nous utilisons de la main d'œuvre de l'agence, pour maîtriser une partie de la technologie de la startup et la développer en partenariat avec elle, sans lui prendre trop de ressources. Le projet est ensuite rémunéré par les clients. C'est ainsi que nous avons collaboré avec la start-up Aerys, dans le cadre du programme initié par l'AACC et Cap Digital. Ensemble nous avons développé un projet pour Ford, un service utilisant les ondes Bluetooth pour promouvoir la fonctionnalité KeyFree. Nous travaillons aussi avec de petites PME, pas forcément des startups.
- Cette "co-innovation" suppose que vos clients changent leurs process interne. Comment arrivez-vous à les convaincre de casser les silos ?
Il y a des agences spécialisées dans la conduite du changement, l'open innovation... ce n'est pas notre métier. Ce qui nous intéresse, c'est d'abord le résultat, plus que les moyens ou les process. Quand on travaille avec une entreprise, on arrive avec l'âme guerrière des publicitaires et on veut qu'à la fin, on aboutisse ensemble à un truc incroyable. Jamais on ne fera du conseil en stratégie et en conduite du changement : nous, on fait de la création, on imagine des idées au service des marques, en utilisant des innovations, technologiques ou business. Cela change fondamentalement nos relations avec les clients. On peut aller jusqu'à dire "on est vraiment partenaire avec vous, on met en place des KPIs et nous sommes prêts à amortir le coût avec vous". Certains clients viennent nous octroyer un budget R&D. On m'aurait dit ça il y a dix ans, j'aurais rigolé : c'était inimaginable.
- Combien de personnes constituent le Lab à Paris ? Quels sont leurs profils ?
En moyenne, 10 personnes travaillent pour le Lab, mais pas à 100%. C'est le secret de notre structure : tous les talents de l'agence sont des super-héros du Lab. On capitalise sur les profils hybrides, des gens qui ont une double compétence. Beaucoup de créatifs ou de développeurs ont une face cachée. Récemment, j'ai recruté une personne qui était designer produit et voulait faire du design digital. On lui a dit "tu ne vas pas te reconvertir, tu vas faire les deux." Aujourd'hui, le digital est très concret : le design produit est important. De manière générale, Le Lab repose sur l'alliance du créatif, du planning et de la data. On recherche des personnes qui maîtrisent l'électronique ou les langages de data-visualisation, qui nécessitent à la fois d'avoir un sens artistique et de programmer. La data est la clé de notre structure : ce n'est pas juste les analytics, mais aussi l'aptitude à faire des business models, des projections à plusieurs années, du data mining, de la data viz. Tout cela pour être le plus proche de la réalité et le plus loin possible du Powerpoint.
- Quels sont vos rapports avec les différentes agences du groupe Ogilvy ?
Il n'y a pas qu'un seul endroit où il y aurait de l'innovation dans le groupe. Toutes les agences sont innovantes. Ce Lab devient le nerf central, qui tire parti des ressources existantes. C'est la meilleure expression de l'intégration du groupe Ogilvy en France. Nous avons notre propre P&L, même si nous sommes rattachés à Ogilvy One, et nous nous reposons sur les ressources de chaque entité, que ce soit de la TV, du Shopper, de l'activation, du CRM, du marketing services... Le Lab, c'est aussi un espace physique, avec deux salles : l'une pour faire des démos, l'autre pour concevoir nos prototypes.
- Comment vous rémunérez-vous ? Si vous allez jusqu'à toucher au business de vos clients, pourquoi pas une rémunération à la performance ?
Nous avons plusieurs modèles de rémunération. On essaye de mettre en place des model fees, de la rémunération au conseil et des rémunérations sur le temps passé en conseil/création/prototype. Ce package est rémunéré en fonction de l'ambition et la complexité du projet. Après ça, on déclenche le mode projet. On ne s'intéresse pas forcément à des modèles d'incentive sur les ventes, puisqu'on se concentre plutôt sur la qualité de l'idée et l'usage, mais ce ne serait pas absurde.
Propos recueillis par Benoit Zante