Qui ?
Guillaume Rincé, Chief Technical Officer (en photo) et Emmanuel Sorel, conseiller digital, chez la MAIF.
Quoi ?
Un an après la publication de la "charte pour un monde numérique résolument humain et éthique" de la MAIF, le bilan de son impact, très concret, sur l'organisation de l'assureur niortais.
Comment ?
Voilà plus d'un an que la MAIF mène une discrète révolution interne. Fini, les technologies propriétaires, place à l'open source ; terminé le recours massif à la sous-traitance informatique, désormais l'assureur embauche ses développeurs en CDI ; oublié le culte du secret, plusieurs briques technologiques conçues en interne sont maintenant offertes à qui veut les réutiliser...
L'élément déclencheur ? En mai 2017, l'entreprise s'est dotée d'une charte "pour un numérique humain et éthique" qui transpose ses valeurs mutualistes à l'ère digitale. "Cette charte, rédigée par notre Chief Digital Officer, Romain Liberge, est un engagement très fort de l'entreprise vis-à-vis des sociétaires, elle promeut une attitude responsable des usages de la technologie. Nous avons pris des engagements précis sur l'open source, par exemple" explique Emmanuel Sorel. Parmi les points clés de la charte : protéger les données personnelles, développer le partage des savoirs et des connaissances, ou encore placer les technologies au service de l'homme.
La publication de la charte a eu un impact quasi-immédiat sur la stratégie d'investissement du fonds MAIF Avenir, doté de 125 millions d'euros. Les investissements continuent à se concentrer sur l'économie collaborative (Koolicar, Wheeliz, GuestToGuest, Yescapa, Klaxit...), mais sont de plus en plus orientés vers la tech "éthique". "Nous voulons investir dans des entreprises qui partagent notre philosophie, notamment sur les sujets de privacy" résume Guillaume Rincé. MAIF Avenir avait déjà investi dans Cozy Cloud, "un espace privé et sécurisé pour les données personnelles ; d'autres start-up présentes sur cette thématique intègrent progressivement le portefeuille, comme Snips, depuis juin 2017, qui développe un assistant vocal respectueux de la vie privée de ses utilisateurs. Ces principes peuvent même parfois primer sur les intérêts financiers : le fonds a choisi de se retirer d'une start-up spécialisée dans le Bitcoin, Ledger, alors que quelques mois plus tard, celle-ci bouclait un tour de table record de 75 millions de dollars.
En interne aussi, la charte a eu un impact très visible, car une fois les grands principes édictés, il a fallu les appliquer. "On en termine progressivement avec les outils propriétaires. Et on va même plus loin : on produit des choses en open source, pour rendre à la communauté" explique Emmanuel Sorel. Sur sa page GitHub, la plateforme star des développeurs, la Maif met ainsi à disposition de tous trois briques technologiques aux noms japonisants : otoroshi, izanami et niõ. "Nio est la dernière en date : c'est notre "privacy management toolbox : elle contient des outils accessibles à toutes les entreprises pour gérer les données et le RGPD".
Cette approche n'est pas totalement déconnectée du cœur de métier de l'assureur : "nous avons la volonté d'ouvrir nos systèmes d'information, dans une logique de services et de commercialisation également en modèle BtoBtoC" explique Guillaume Rincé. Traduction : grâce à une architecture technique plus ouverte, répondant à des logiques d'API, l'assureur gagne en agilité et pourra distribuer ses services plus facilement auprès de ses partenaires, sous forme de briques. Autre avantage : "Penser 'Open Source' nous conduit à concevoir nos outils différemment. C'est un cercle vertueux, qui nous force à documenter et construire des choses génériques et réutilisables" explique le CTO.
Basculer en open source revient à administrer un véritable "choc culturel" en interne... "Il a fallu pousser fortement ces initiatives, les sponsoriser pour les faire émerger", reconnaît Emmanuel Sorel. Pour faire passer le message, l'assureur a donc imaginé... Un jeu de cartes, pour faire tenir dans la poche 64 principes ("échouer vite, c'est apprendre vite", "l'équipe est organisée autour d'un produit ou d'un service rendu", "utiliser une API doit être simple et rapide"...). "C'est une toute nouvelle façon d'appréhender la technologie, qui créé de la valeur. Le code est revalorisé, alors qu'on avait tendance à privilégier l'expertise sur des outils propriétaires. Une activité qui était à la marge dans l'entreprise est redevenue centrale."
Un changement de philosophie qui a nécessairement des répercussions sur les ressources humaines : "Nous avons changé notre stratégie de développement. Avant, nous outsourcions massivement... Là,nous sommes en train de réinternaliser ce qui était délégué à des prestataires, en recrutant 25 développeurs full stack, à Niort et Paris."
Le recours à des prestataires externes est toujours d'actualité, mais avec une approche différente : "La relation avec les prestataires change progressivement, on n'est pas dans le big bang. Nous sommes de plus en plus concentrés sur la qualité des développeurs : sur nos sujets, un bon profil, motivé, peut générer davantage de valeur plusieurs personnes."
Benoit Zante