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Comment Carlos Ghosn a snobé Internet

Qui ?

Fabrice Pelosi, conseiller en communication.

Quoi ?

Une tribune sur LA conférence de presse du Fugitif au losange, qui a ignoré superbement Internet.

Comment ?

Un seul @carlosghosn vous manque et tout Internet est dépeuplé. Alors que Carlos Ghosn est entouré de nombreux communicants pour sa conférence de presse en mondovision, tout le pan digital a semble-t-il été oublié. Ou plutôt abandonné. Et pourtant, ça fait déjà quelques années que les agences imaginent les stratégies de communication de crise et sous contrainte judiciaire à 360 degrés, en intégrant à tous les niveaux le digital et les réseaux sociaux. Y a-t-il une raison expliquant cet abandon ? Est-ce en échos de l’échec de la première activation sur les réseaux sociaux en avril dernier ?

Rappel des faits. Le 3 avril 2019, un peu moins d’un mois après sa libération sous caution, Carlos Ghosn débarque sur Twitter avec un compte certifié, deux photos stylées et une bio « obamesque ». Pas très créatif, mais efficace et sans prise de risque-il y en a assez comme ça à gérer. « The rocket is on the launchpad » comme dirait Xavier Niel – sauf qu’elle ne va jamais décoller.

L’allumage était prometteur : deux tweets en Anglais et Japonais, donnant rendez-vous pour la conférence de presse, prévue le 11 avril. Une conférence de presse qui n’aura pas lieu, pour cause d'incarcération.

PDG brillant mais Youtubeur débutant

Ce nouveau coup de théâtre donne lieu à la publication d’une vidéo sur YouTube, sur un compte nommé Carlos Ghosn, créé pour l’occasion (laissé à l’abandon depuis, le pauvre). Cette vidéo YouTube manque son objectif sur le fond comme sur la forme. Sur la forme, le décor sur fond blanc donne l’impression d'un coupable, tentant de se défendre, tant bien que mal. L’absence totale d’animation rend les 7 minutes et 37 secondes de la vidéo un peu longues. Sur le fond, cette vidéo aurait pu être bien plus courte avec des messages plus percutants. Le message se résumait alors à : «Je suis innocent, c’est un complot » . Sans apporter aucun élément de preuve factuel. Rien : pas un chiffre. Pas un nom. Rien du tout. Sans parler du hors sujet (« j’ai peur pour l’entreprise, parce que tout le monde est nul, sauf moi »).  Comme dans une interview média classique, cela rend l’exercice au mieux, inutile, au pire, contre-productif.
Après cette vidéo, Carlos Ghosn a été contraint par la Justice au silence radio, on et offline.
 
Une opportunité de retour immanquable

L’attention médiatique exceptionnelle qui a entouré la fuite de Carlos Ghosn a créé une opportunité immanquable pour un retour sur les réseaux sociaux. Elon Musk, le dirigeant d’entreprise le plus connecté de la planète, qui vient de passer la barre des 30 millions d’abonnés sur Twitter, a tendu la perche à Carlos Ghosn avec son tweet « Carlos Gone » – auquel @carlosghosn n’avait qu’à répondre « No Elon, my name is Ghosn, Carlos Ghosn. » pour littéralement casser Internet et voir son nombre d’abonnés s’envoler comme une fusée Space X.
Un détail ? Pas tout à fait. La bataille de l’opinion se joue aussi et surtout sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui. En 2020.

Un abandon incompréhensible pour l’un des tout premiers influenceurs LinkedIn  

On l’a peut-être un peu oublié aujourd’hui, mais Carlos Ghosn a été l’un des tout premiers profils influencer sur LinkedIn, où il compte 1 million d’abonnés. Ce compte – qui doit être le fruit du travail de ses équipes de communication – permettait au PDG de l’alliance Renault Nissan de mettre en scène sa vie de leader industriel aux quatre coins du monde et au plus haut niveau de l’Etat. Sur son antépénultième post, on le voit d’ailleurs en photo, en discussion avec Emmanuel Macron, son meilleur ennemi. LinkedIn aurait pu être intégré à la stratégie de contre-attaque de Carlos Ghosn afin de transformer son million d’abonnés en soutiens potentiels  – sur la plateforme professionnelle et dans la vie réelle. Celui qui a fui le Japon aurait pu y développer des arguments techniques, publier les fameux documents comptables, invisibles sur le rétroprojecteur de la conférence télévisée. Pour ce faire, le bon vieux Powerpoint eût été très utile.

Dans cette conférence de presse des temps digitaux, la pierre angulaire d’une stratégie digitale aurait bien entendu été Twitter.

Précision : on peut tout à fait débattre de l’intérêt de mettre en place une stratégie numérique pour une personnalité aussi médiatique que Carlos Ghosn. Mais à l’heure où Donald Trump informe le Congrès avec ses tweets, les réseaux sociaux sont autant, voire plus puissants que les médias classiques sur de tels sujets. Le numérique sert à renforcer la cohérence des messages, à compléter le discours initial en proposant des formats alternatifs pour mieux comprendre l’histoire de l’accusé Ghosn et contrôler la réputation du nouveau fiché Interpol.

Reprenons. Imaginons que les équipes de Carlos Ghosn aient eu la bonne idée de travailler sur une stratégie de riposte numérique. Voilà à quoi cela aurait pu ressembler. Nous avons rédigé ce scénario-fiction au conditionnel, qui est aussi une manière pour vous, cher lecteur, et moi, de réviser notre grammaire.

www.carlosghosntellsthetruth.com

En sus des réseaux sociaux, un site Internet eût donné accès à tous les arguments du PDG déchu. Tous les documents venant démontrer l’innocence de Carlos Ghosn y sont publiés. D'autant plus utile que, rappelons-le, le PPT du rétroprojecteur de la conférence de presse télévisée était illisible. L’effet raté en live aurait donc pu être rattrapé sur un site Internet.

Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessous, les recherches sur Carlos Ghosn ont flambé depuis sa fuite. Une campagne Google Adwords eût alors redirigé toutes les personnes intéressées non pas vers les sites d’information mais vers le site Internet de Carlos Ghosn.

Lorsqu’on conseille un client comme Carlos Ghosn, l’un des risques majeurs est qu’il ne suive pas les recommandations travaillées en media-training ni le plan de présentation préparé en coordination avec les avocats. D’ailleurs les proches de Carlos Ghosn ont confié à Christophe Jakubyszyn de BFM Business avant la conférence de presse que tout n’était pas « sous contrôle ».

La réactivation du compte Twitter @carlosghosn eût eu plusieurs avantages :

La présentation de Carlos Ghosn a été énergique et incarnée. Mais il parlait beaucoup trop pour exprimer une idée – ce qui a pour conséquence de diluer l’argument. Cette débauche d’énergie, et la bande son cacophonique en langage mondiovision donnait au final une impression brouillonne. Qu’ont retenu les auditeurs de son intervention ? A part la punchline sur Pearl Harbor, probablement pas grand-chose.

Une structure narrative plus claire et la possibilité de rattraper les sorties de piste  

Le compte Twitter eût justement permis d’assurer une structure narrative et argumentaire claire et même de rattraper les erreurs et oublis de notre orateur. Ce qui aurait guidé les journalistes pour les articles « Que faut-il retenir de la conférence de presse de Carlos Ghosn ? ». Carlos Ghosn semblait dire que les documents qu’il présentait avec son rétroprojecteur mal réglé étaient d’une importance capitale pour prouver son innocence. Il suffisait de les publier un à un lors de leur divulgation en live. Ces tweets auraient généré un engagement important. Et, grâce à leur reprise, donné l’impression que Carlos Ghosn était factuellement innocent. Alors que c’est plutôt l’impression inverse qui domine dans les médias à ce stade. Beaucoup de bruit pour rien.

Conserver l’attention médiatique même en dehors des temps forts de communication
 
On se focalise sur cette conférence de presse, mais Carlos Ghosn vient de débuter un marathon médiatique qui, pour qu’il soit réussi, devra continuer à attirer l’attention des journalistes du monde entier. En avril dernier, quelques minutes après son premier tweet, les médias commençaient à envoyer des notifications push pour donner la date de la conférence de presse. Une aide bien précieuse donc.

Cerise sur le gâteau, la création d’une page Facebook eût pu délivrer des campagnes créatives à destination de cibles différentes en fonction des sujets développés. Sans compter la possibilité d’utiliser Facebook Live comme canal de diffusion pour les conférences de presse mais également pour des séances de questions réponses avec les internautes (à ce stade il a beaucoup répondu aux journalistes, jamais en direct aux gens). Enfin, Carlos Ghosn eût pu figurer dans une série documentaire pour mettre en images ses arguments et la diffuser sur Facebook Watch. En attendant la série Netflix (qui n’est pas signée, contrairement à ce que Le Monde avait annoncé)…

Fabrice Pelosi 

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