Qui ?
Henri Jeantet, fondateur du cabinet de conseil en innovation Unknowns.
Quoi ?
Une tribune, pour comprendre les grands enjeux de la distribution à l'heure d'Amazon, à la suite de la NRF 2018, la grand-messe du commerce qui se tenait à New York.
Comment ?
Cette année, la NRF bombe le torse et montre ses muscles. Requinqués par la réforme fiscale et par une bonne fin d'année, les distributeurs américains sont optimistes. En dépit de l'omniprésence d'Amazon ou de la fermeture de milliers de magasins, l'heure est à la reconquête. Le rachat de Whole Foods par Amazon a démontré les limites du pure player e-commerce, et redonné un futur aux magasins.
La question de la technologie dans la distribution a changé de statut : il ne s'agit plus vraiment d'innovation, mais d'exécution. Et c'est bien là le domaine de prédilection de cette "retail machine", selon l'expression de Kate Ancketill, fondatrice de GDR creative intelligence.
En effet, le terrain de jeu est désormais bien défini, autour de trois grands champs :
1. La collecte et l'utilisation de données, à la fois pour optimiser le fonctionnement de la chaîne de valeur, et pour améliorer la performance du marketing ;
2. L'automatisation d'un grand nombre de tâches, pour mobiliser les effectifs vers les clients et l'expérience, comme le promeut Doug McMillon, CEO de Walmart ;
3. La fluidification des parcours client, en supprimant toute friction.
Le commerce omnicanal ne semble pas complètement gagné- quand les librairies d'Amazon refusent les retours de commandes en ligne.... Le défi est immense.
Les technologies innovantes de 2017 prennent vie :
- Les intégrateurs implémentent aujourd'hui des technologies qui étaient en test hier.
- Les technologies se diffusent largement : reconnaissance visuelle fondée sur le deep learning, robots de gestion des rayons, in-store analytics... Les acteurs solitaires et innovants d'hier sont rejoint par la meute.
Soulagement pour nos distributeurs : tout le monde va pouvoir se battre avec les mêmes armes, et la différence se fera dans l'exécution. Tout va bien, fin de l'alerte, il s'agit juste de construire une meilleure machine.
Et pourtant.
Et pourtant, si l'on écoute attentivement, une autre petite musique commence à émerger.
Les nouveaux acteurs de la distribution, ces start-ups célébrées comme le futur de l'industrie se partagent en deux modèles opposés :
- D'un côté, les marques de "vertical commerce", qui conçoivent et produisent les produits, et intègrent la distribution comme un moyen de maîtriser leur expérience client. Elles s'appuient sur une connaissance profonde de leurs clients, de leur vie. Pas seulement de leur parcours d'achat.
Ecoutons Henrik Wendelin, fondateur de Bark&Co, parler de la science des chiens : saviez-vous qu'il y a trois types de chiens face à leurs jouets, les éplucheurs, les destructeurs et les écraseurs ? Et du comportement de ses clients (50% d'entre eux dorment avec leur chien sur leur lit, 33% dans une position inconfortable à cause de cela) . Il s'agit alors d'embrasser un domaine de vie plus qu'un parcours d'achat.
- De l'autre, de nombreuses start-ups, qui développent des infrastructures : Handy fournit des installateurs, Optoro gère les retours, Fitlogic révolutionne la gestion des tailles de vêtements, B8ta invente le "retail as a service". Le fondateur de b8ta, justement, Kevan Wilson, un vétéran de la distribution et d'Unilever, considère la distribution comme "une infrastructure au service d'une relation et d'un produit". Et puis, bien sûr, les éditeurs qui offrent des solutions toujours plus intégrées pour gérer toute la chaîne de valeur du commerce.
Cette opposition met à jour l'ambiguïté fondamentale du modèle historique des distributeurs, qui se concentrent sur des domaines de vie avec une approche d'infrastructure et de pur commerce. Quoi de commun entre faire ses courses alimentaires, aménager son salon et acheter une chemise ? Comment considérer qu'il s'agit du même métier ?
C'est ce paradoxe que vient mettre au jour la technologie et ses nouveaux acteurs, qui l'utilisent pour radicaliser les positions et imposer deux métiers différents : comprendre et résoudre les enjeux d'un domaine de vie en concevant des produits et services, ou construire l'infrastructure physique et technologique pour les vendre et les distribuer.
Le retour des distributeurs dans leur zone de confort, celui de l'exécution, ne devrait donc pas durer si longtemps. La "retail machine", ce Terminator, va devoir se choisir Une mission.
Henri Jeantet