Qui ?
Mathieu Lepoutre, responsable média 360 d'Auchan (en photo) et Nicolas Vaudran, head of retail et service, chez Fifty five.
Quoi ?
Un atelier à One to One Monaco sur leur chantier de Marketing Mix Modeling.
Comment ?
Auparavant, chez Auchan, la seule base de données existante était celle de... la comptabilité. L'omnicanalité des parcours de vente et des parcours média empêchait le groupe d'interroger une BDD unique. D'où le projet de Marketing Mix Modeling, un outil qui permet de mesurer la contribution de chaque levier pour optimiser les investissements publicitaires, accouché en huit mois avec l'agence Fifty Five et CSA (groupe Havas). Le MMM est un modèle de machine learning qui modélise la performance en fonction des éléments de contextes marketing. Il s'agit de mesurer correctement l’impact des différentes campagnes dans le passé pour l'appliquer à des campagnes futures. De très nombreux facteurs entrent en jeu : la météo, la concurrence, le contexte économique, le calendrier et évidemment la stratégie marketing de l’entreprise.
A l'origine, les MMM sont des modèles très complexes qui nécessitent l’exploitation d’énormément de sources très différentes: dépenses média online et offline, données de ventes, données de concurrence, météo, … Ils étaient jusqu'à présent très longs, avec des traitements de données effectués une seule fois, pour répondre à un objectif précis. Et peu flexibles : difficile de traiter des nouveaux scénarios, le M M M était souvent utilisé une fois par an.
Objectif : 1% du budget, pour 10 % de ROI
Auchan a décidé d'investir dans un système plus souple et activable. Le projet ne peut être séparé de son contexte, la disparition des cookies. "Aujourd'hui, les calculs probabilistes progressent et doivent devenir actionnables. La maitrise de ces calculs doit être chez l'annonceur. C'est un changement de paradigme : les plateformes ne donnent plus résultat, mais des data qui nous permettront d'avoir le chiffre". Auchan mise dans ce chantier 1% du budget média (un peu plus d’1M€) dans ce MMM, pour gagner 10% de ROI. Le projet a une logique géographique en intégrant les différents points de vente, et une gamme très large de produits, de l'alimentaire l'électronique ou aux produits de jardinage. Mais aussi les marques distributeur et les grandes marques nationales.
Le corpus rassemble une quarantaine de sources de données (sources média, météo, vacances, concurrence). Il s’agit de centraliser les données marketing dans une data platform automatisée, très granulaire. Le projet a été géré par une équipe mixte, composée à moitié d'ingénieurs d'Auchan, et de l'autre par les équipes de 55 et de CSA (Havas) avec une méthodologie hybride (agile et en V).
Il s'agit de créer une base de données structurée centralisée, propre, sans redondance et avec des clefs de jointure entre les tables. "quarante sources des ornées différentes c'est 40 problèmes", commente Nicolas Vaudran. Cette première étape doit ensuite pouvoir être effectuée quotidiennement sans intervention humaine pour mettre à jour. Il faut aussi mettre en place un système d’alerting pour réagir rapidement lorsque quelque chose ne fonctionne pas. Ce stack technique permet de faciliter l’ajout de source et la modification du pipeline.
Granulaire, mais pas trop
La granularité des données d’Auchan, à la "maille carreau" et à la "maille rayon" (catégorie de produit) est un atout. Mais aussi un danger : en allant à une granularité trop fine on s’expose à devoir traiter un modèle trop complexe, avec des généralisations non significatives. En effet, plus la granularité est fine, plus le modèle a besoin de données pour être entraîné efficacement. Avec une granularité trop fine, on risque d’observer des signaux trop aléatoires, ou alors expliqués par des phénomènes difficilement mesurables (des travaux, un problème dans le rayon physique, …)."Nous avons donc travaillé à une maille cluster de magasin en nous basant sur un regroupement préalablement effectué par Auchan"explique Nicolas Vaudran chez FiftyFive. Ce clustering dépend de la taille du magasin, de sa situation géographique, et de la typologie de sa zone de chalandise. Il autorise des expérimentations de type AB test entre deux magasins de taille comparables.
Ce travail à une maille géographique fine et rayon pose de nouvelles questions. Par exemple, comment définir le budget de la TV ou de la radio à une échelle départementale ? "Parfois il est possible d’estimer cette valeur en utilisant par exemple les GRP pour la TV, dans d’autres cas, il nous a fallu mettre en place des règles métier" , explique Mathieu Lepoutre chez Auchan. On obtient une table contenant les budgets, le KPI à traiter, optimiser et d’autres facteurs explicatifs comme le calendrier, directement exploitable par le modèle. Enfin, les résultats du modèle et les analyses effectuées mettent à disposition des directeurs de magasin et du central des dashboard d’analyse rafraîchis mensuellement (investissements média, niveau de promotion, chiffre d'affaires, ROI...)
Les premiers résultats
Le MVP a pris huit mois. Ses premiers résultats dessinent la contribution des média au CA (assez faible, entre 5 et 6%). Et la mesure de l’efficacité des médias entre eux. Cela permet de mettre un chiffre sur des notions intuitives. Mais le principal apport du MMM , c'est d'avoir les courbes de réponses de chaque media. Et de connaitre l'efficacité du dernier euro investi, point de vente par point de vente. " Le modèle a permis de retravailler nos zones de tracts. Et il a ainsi dégagé la rentabilité escomptée de 10 points" explique Mathieu Lepoutre.
Au-delà de la stratégie média, l’objectif est d’utiliser les MMM pour la stratégie marketing : ouverture de magasin, choix des produits en tête de gondole, promotion, arrivée de nouveaux concurrents (Amazon), mode de distribution des tracts… Dans le média seul, beaucoup de questions demeurent : comment répartir mon budget sur un canal, quelle tranche horaire, quel nuage de mots clefs si on parle de search payant, quelle pression sur un utilisateur... Pour traiter ces cas d’usage, 55 opte pour les Agent Based Model, couramment utilisés en science humaine pour comprendre le comportement des personnes ou encore les diffusions de virus. Il s'agit de modéliser directement le marché et le comportement des utilisateurs (les agents) dans ce marché, étudier leur réaction à la stratégie marketing de la marque, de la concurrence et du contexte (météo, économie, …). Dans le cas du MMM, ils permettent de comprendre le marché et les utilisateurs et de traiter une très grande variété de cas d’usage marketing à une granularité très fine, comme le calcul du coût pour un nouveau client ou le volume optimum de tracts à distribuer. Ces modèles nécessitent une très bonne connaissance métier pour calibrer le modèle sur le marché. "Pour cela, on va pouvoir s’appuyer sur toutes les analyses de marchés dont disposent les marques et ainsi améliorer la simulation des conséquences d’une stratégie marketing donnée sur le comportement des consommateurs."
Un appel aux marques
Le nouveau modèle data peut aussi permettre aux marques vendues chez Auchan d'optimiser leur propre mix, de prédire avec précision leur ventes et d'optimiser les stratégies marketing. " J'invite donc les marques à nous rejoindre dans notre lab de co innovation, pour financer de nouveaux développements, comme les agent based model" conclut Mathieu Lepoutre.