Qui ?
Roy Price, Head of Amazon Studios and Global Content d'Amazon et Joe Lewis, Head of Drama, Comedy and VR chez Amazon Studios.
Quoi ?
Le point sur la (nouvelle) nouvelle stratégie d'Amazon pour battre Netflix sur le terrain des contenus, à l'occasion du MipTV 2017.
Comment ?
En quelques années, Amazon est apparu comme le principal concurrent de Netflix dans le paysage mondial du streaming vidéo. Après les tâtonnement des débuts, ses investissements dans l'achat et la production de contenus, estimés à 3 milliards de dollars en 2016, commencent à payer, avec des succès critiques et publics, dans les séries (Transparent, The Man in the High Castle) ou les films (Manchester by the Sea).
Il y a pourtant une différence de poids entre Amazon et Netflix : pour Amazon, les contenus ne sont que des produits d'appel pour son offre d'abonnement "Amazon Prime", dont le but est d'augmenter le panier moyen de ses clients e-commerce... "Prime, c'est bien plus que la vidéo [...] 11 pays ont la version totale, avec la livraison, des livres, de la musique et de la vidéo en illimité" explique ainsi Roy Price. Chez Amazon, le succès d'un contenu se mesure en nombre de vues, certes, mais aussi et surtout par sa capacité à retenir des abonnés ou à convertir les périodes d'essai en abonnement annuels.
Joe Lewis explique ainsi qu'il accorde une attention particulière à la vitesse à laquelle les abonnés finissent une série qu'ils ont commencée, aux taux de complétions des séries, ou encore aux épisodes que les membres ont plaisir à revoir. "Il est facile de pousser les gens à regarder les premières minutes d'une série, mais beaucoup plus compliqué de faire en sorte qu'ils aillent jusqu'au générique de fin..." explique-t-il.
Depuis décembre 2016, le service a connu une petite révolution : "Prime Video" seul est disponible désormais dans 240 pays : un signe que l'offre de vidéos est devenue attractive en elle-même. Cette ouverture à l'international d'Amazon Prime Video a soutenu la croissance des abonnements : plus de 20 millions de nouveaux membres ont rejoint le service en 2016. Avec cette internationalisation de l'audience, le studio a été amené à revoir sa stratégie de production et d'acquisitions.
Amazon investit ainsi massivement dans "The Grand Tour", un programme qui réunit trois anciens animateurs de Top Gear ainsi que l'ex-producteur de l'émission britannique, qui battait des records d'audience dans le monde entier, avec une diffusion dans plus de 200 pays. Jeff Bezos, le patron d'Amazon, a lui-même avoué que les contrats avec les trois animateurs était "très très très coûteux" : il aurait déboursé 250 millions de dollars pour 36 épisodes en trois ans...
Mais les succès d'audience mondiaux - de "The Grand Tour" à "The Man in the High Castle" - et la reconnaissance de la profession - avec deux Oscars et un Golden Globe pour "Manchester by the Sea", plusieurs Emmy Awards pour "Transparent", ainsi q'un Oscar pour "The Salesman" - ne suffisent plus. "Si notre service est mondial, ce n'est pas le cas de nos abonnés : ils sont locaux. Nous devons donc avoir une stratégie multi-locale, pour laquelle nous cherchons les meilleurs artistes de chaque pays" explique Roy Price. C'est ainsi qu'Amazon commence à produire pour les marchés allemand (avec "You're wanted"), indien ou japonais (avec plus de 20 programmes spécifiques pour le Japon).
En 2013, le même Roy Price venait expliquer au MipCom l'usine à gaz développée pour faire émerger de nouveaux talents : un appel à projet mondial couplé à une plateforme communautaire, avec différentes étapes jusqu'à la mise en production. Ce process a fait long feu : la page dédiée à la collaboration autour de projets de séries ou film est désespérément vide.
Dans cette démarche démocratique, les abonnés d'Amazon votaient pour les synopsis, suggéraient des modifications de scénarios et choisissaient les séries qui allaient être produites en votant pour des pilotes... Mais Joe Lewis reconnait les failles du système : "il y a une différence entre ce que les gens disent aimer et ce qu'ils regardent réellement..." Et de citer l'exemple de "Transparent", l'un des grands succès d'Amazon Studios : ce n'était pas le pilote le plus vu, mais en analysant les chiffres de plus près, les équipes d'Amazon ont vu que c'était celui avec le meilleur taux de complétion et de "re-watch".
Roy Price explique sa nouvelle méthode : "vous pouvez toujours analyser ce que les gens regardent, mais cela ne doit pas trop déterminer ce que vous choisissez de produire ou d'acheter. Les programmes qui ont un impact sont ceux qui cassent les règles, pas ceux que regardent les gens actuellement. Le plus important est d'avoir les talents au meilleur de leur forme et de leur inspiration, qui veulent faire quelque chose de nouveau." Amazon Studios mise donc désormais, avec plus ou moins de succès, sur des talents établis de la télévision ou du cinéma, connus localement ou mondialement, comme Michael Bay, Jeremy Clarkson ou Woody Allen. A quand un équivalent du "Marseille" de Netflix (qui s'était offert Gérard Depardieu), pour attaquer le marché français ?
Benoit Zante