Qui ?
L'Etat, Amazon, les commerçants et le public
Quoi ?
Un carré explosif, en ce deuxième confinement, exploré au travers de nombreux exemples.
Comment ?
"Le prodige et le monstre ont les mêmes racines", rappelle Victor Hugo. Amazon accomplit le prodige de répondre à la demande du monde entier, en réclusion à éclipse. Et son pouvoir renforcé en fait pour le marché français un véritable monstre.
Dès aujourd'hui, Intermarché (l'enseigne des Mousquetaires) joue le rôle de "tous unis contre le méchant Américain". Mercredi dernier, une campagne dans les journaux titrait "Désolé Amazon" (cf photo de l'article).
Cette communication d'Intermarché intervient après la fermeture des librairies 29 octobre, qui a provoqué un tollé général. Résultat : le 3 novembre, la vente de produits non essentiels dans les supermarchés était interdite, transformant les travées de hypermarchés en spectacles de désolation dignes de l'Union soviétique, et désespérant grand et petit commerce. Dans ce capharnaüm, Roselyne Bachelot a encouragé les lecteurs à acheter leurs livres par le biais du "click and collect" d'une boutique, ou par voie postale, ajoutant : "Amazon se gave, à nous de ne pas les gaver".
Intermarché s'inscrit donc dans le climat de Jacquerie de ce deuxième confinement. Les 1 500 drives de l’enseigne proposent la marketplace, développée par Mirakl, prioritairement destinée aux libraires mais les équipes des Mousquetaires travaillent à offrir ce service à d’autres commerces de proximité.
Amazon, qui revendique 420 millions d'euros de contribution fiscale totale en France (en comptant la TVA), est régulièrement accusé d'être avantagé en termes de fiscalité par rapport aux distributeurs. "La forme de la distribution, les achats d'aujourd'hui font l'économie et les emplois de demain", conclut Thierry Cotillard. Carrefour suit le mouvement en mettant à la disposition des petits commerces sa market place, gratuitement (voir ici)
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Leclerc détient la palme de la PLV la plus militante. (voir ci-dessus). Le distributeur met en parallèle une bouteille de Ricard et un livre du moine bouddhiste Mathieu Ricard. "D'après Jean Castex, c'est mieux de favoriser nos amis d'Amazon et de CDiscount, et autres plateformes en ligne. Mais alors, qu'est ce qui est vraiment essentiel pour l'Etat ? La bouteille de Ricard rapporte 15 € de taxe, sur 20,50 € de prix de vente. Le livre, 1,15€ sur 22,50€."
Un cinquième du marché français du E Commerce: Stop ou encore ?
Dans les faits, pour le deuxième trimestre 2020, le chiffre d'affaire d'Amazon a cru de 40%, son bénéfice net a doublé, et ses actions ont augmenté de 5% (sachant qu'entre 2008 et 2018, le cours de l'action a été multiplié par 50). Plus de 150 millions de personnes sont abonnées à Amazon Prime sur la planète. Amazon Web Service représente la moitié des bénéfices opérationnels du groupe.
Amazon est la 3ème plus grande société mondiale en termes de capitalisation boursière, son cours a progressé de 79 % depuis début 2020. Côté RH, Amazon compte aujourd'hui 1 robot pour 6 salariés : 650 000 salariés et 100 000 robots, précisément, pour 250 millions de références produits sur ses sites de e-commerce (selon Le Point).
Pour Cedric O, Amazon «ne représente que 20 % du e-commerce en France », la progression des ventes en ligne profite aussi à des entreprises françaises, comme la Fnac, CDiscount, Veepee, Mirakl ou ManoMano.
Dans cette phrase, toute est dans le "que".
Selon Marc Lolivier , le Dg de la Fevad : "Il y a une hystérisation incroyable, Le E commerce, c'est 10 % du commerce en général. Il est en croissance de 30 % cette année, et devrait donc représenter 13 % en fin d'année. Amazon représenterait alors 4 % du commerce français. Pendant le deuxième trimestre, les ventes internet des magasin ont progressé de 83%. Chez FNAC, Décathlon ou Boulanger, elles ont doublé. Ces magasins ont fait de 20 % à 40 % de leurs ventes sur internet."A noter toutefois : les cotisations de la Fevad sont fonction du chiffre d'affaires. Pour le syndicat, le roi du E Commerce est donc un membre à soigner.
Certes, la menace Amazon est moins importante qu'aux Etats-Unis, où le rapport du Congrès américain estime la part d'Amazon dans le E Commerce à 50 % (plutôt que les 40 % des estimations données jusque là). Mais les deux confinements font progresser très fortement le géant, et le Covid 19 est encore là pour de longs mois. Les consommateurs ne sont pas prêts à retourner en magasin sereinement. Selon une étude de West Fargo, 70 % des consommateurs ne retourneront pas en magasin de si tôt. Les requêtes sur Google pour le black friday ont augmenté de 50 %.
Les magasins "réels" sont ceux qui font les frais de la période actuel, et les villes de toutes tailles sont menacées d'un véritable désert commercial, "Bienvenue dans les villes Franprix, Netflix Amazon" résume Tariq Krim sur son compte Twitter. Le problème est particulièrement aigu pour les petits commerçants. Ils sont 24 % à vendre en ligne, contre 70 % en Allemagne. L'Etat a débloqué un budget de 100 M€ pour aider ces commerces à se digitaliser. Patrick Amiel avait lancé 123Commerce pour aider les commerçants de sa rue à se digitaliser. "Mais nous avons arrêté cette expérience. Les commerçants cherchaient une solution urgente mais ne se projetaient pas dans une stratégie digitale."
C'est donc avant tout les mentalités qu'il convient de changer, et vite. De très nombreuses initiatives voient le jour. Pendant le premier confinement, on fabriquait des masques et des visières, pendant le second, on s'occupe de sauver les commerçants de son quartier. Les commerçants eux mêmes prennent la parole, comme ceux de Aimes, qui remercient Amazon de les avoir fait progresser d'un bond en digital (voir ci-dessous).
Quelle réaction d'Amazon ?
Dans ce climat où il fait figure de coupable idéal, Frédéric Duval, le très discret DG France, est sorti du bois, sur BFM et le Parisien, deux médias populaires et prisés des commerçants, pour affirmer ses engagements aux côtés de la France, et des commerçants français. Le coupable de tous les maux publie sur son site ce bandeau :
"La lecture est essentielle ,les libraires indépendants sont des acteurs fondamentaux de l'univers du livre et renvoie vers le centre national du livre"...Mais sans mettre de lien ! .
Le DG d'Amazon en France rappelle que 6 produits sur 10 vendus par Amazon proviennent de sa market place. Au menu de ses actions pour soutenir les commerçants : trois mois de gratuité d'accès à la market place, 300 personnes pour les former au commerce en ligne à la Amazon .Un bel effort, non dénué d'arrière-pensée. La stratégie du dealer qui fournit les premières doses de drogue gratuitement ? En temps normal, Amazon commercialise 1,6 livres sur 10 livres vendus en France Selon nos estimations établie auprès d'auteurs de livres sortis récemment, Amazon représente en ce confinement II 80 % des ventes en ligne de livre (contre 20 % pour la FNAC). Depuis juillet 2019, en Italie, Amazon Business per le librerie est devenu grossiste pour le compte des librairies.
Ainsi, l’Américain parle d’un catalogue de 800.000 titres disponibles immédiatement (pour 15 millions référencés, impliquant un léger délai), avec des remises d’achat pour le libraire de 35 %, à l’exception du scolaire, limité à 12 %. Avecs retours gratuits, jusqu’à 120 jours. Mais en France, Amazon est juste partenaire des distributeurs et facture 500 € la demi heure de retard de leurs camions de livraison ! Les libraires sont vent debout, et l'association américaine des libraires publie une galerie de photos des meilleures vitrines (voir ci-dessous)
Une guerre d'opinion...et de service
Fondamentalement, la guerre actuelle est une guerre d'opinion et d'image. Mais aussi de service. D'un côté, une entreprise mondialisée qui a mis le client au centre. De l'autre, le citoyen qui découvre le gouffre laissé par les commerces qui ferment dans sa vie au quotidien. L' image de marque d'Amazon en pâtit. D'ailleurs, depuis juillet, l'enseigne n'est plus la plus inspirante en termes d'expérience client.