Qui ?
Tom Davis, Directeur Marketing International de Forbes.
Quoi ?
Une interview, à propos du futur des médias, à l'occasion de Connect 20016, le sommet européen de Teradata à Londres.
Comment ?
- Forbes va fêter ses 100 ans en 2017. Comment se réinventer avec un tel héritage ?
Pour ne pas prendre la poussière, il faut s'approprier les réseaux sociaux et tous les nouveaux outils, pour créer des contenus, les partager et construire une audience. Pour parler aux jeunes, il faut aussi parler des jeunes.
- Comment faites-vous pour toucher les jeunes ?
Nous nous sommes demandés ce que nous savions faire de mieux, et comment on pouvait l'appliquer aux défis d'aujourd'hui. La force de Forbes a toujours été de mettre en scène les leaders d'opinion du monde entier. Il y a 6 ans, nous avons donc lancé la franchise "30 under 30" et établi la liste des "millenials" les plus innovants dans le monde. Le classement se décline dans 20 secteurs différents, avec à la fois des entrepreneurs et des jeunes qui changent l'entreprise de l'intérieur, les intrapreneurs. Ce nouveau format nous amène à de nouvelles expérimentations sur les réseaux sociaux mais aussi en "native advertising". En janvier 2015, la couverture de Forbes sur le top 30 under 30 était doublée d'une seconde couverture sponsorisée par AT&T. Le modèle traditionnel est cassé : l'innovation est le seul moyen de s'en sortir. Forbes a vu son audience croître de 300% en 4 ans et compte 50 millions de visiteurs par mois.
- Forbes est un pionnier du "native advertising" : quel est votre mode de fonctionnement ?
En 2011, nous avons lancé notre programme de "native advertising", AdVoice. En 2014, cette activité représentait déjà 30% des revenus publicitaires du site, avec 52 partenaires. Maintenant l'activité s'appelle BrandVoice, nous avons une centaine de partenaires pour lesquels nous agissons comme un studio de création de contenus : nous sommes une agence de talents, nous mettons en relation les marques avec des créateurs de contenus du monde entier, nous les aidons à les concevoir et les diffuser, pour tous les types de format, du texte à la vidéo en passant par l'infographie. En ce moment, je travaille par exemple avec un réalisateur à Los Angeles sur 10 documentaires courts pour notre chaîne SamsungVoice.
- Est-ce toujours du journalisme ?
C'est du "brand journalism", un terme que les puristes rejettent. Certains nous comparent à Buzzfeed. Pour moi, un bon contenu est un bon contenu, qu'il soit sponsorisé ou non. Et dans BrandVoice, il est de qualité car Forbes accompagne les marques dans la production. Notre ADN est de transmettre les histoires des leaders d'opinion. Sur les 300 à 400 publications quotidiennes, 10 seulement sont sponsorisées par des partenaires. Par ailleurs, tout cela est fait en toute transparence : les contenus de marques sont clairement identifiés par le label BrandVoice.
- Comment la direction a-t-elle convaincu l'interne de l'intérêt de la transformation digitale ?
Il a fallu former les gens, les entraîner dans cette nouvelle dynamique. Je ne dis pas que ça a été facile, il y a eu un moment "you're in or out". Les gens qui ne voulaient pas changer d'état d'esprit n'avaient pas leur place dans la nouvelle organisation. L'ouverture large aux contributeurs externes nous amène vers un nouveau modèle économique de création de contenus.
Mettre en place une culture digitale, c'est un ensemble de petites réformes, comme l'affichage public du nombre de vues sur chaque article sur le site de Forbes par exemple. Cela a été très mal accepté au départ, puis c'est devenu un "data feedback loop" qui motive les créateurs de contenus. A mon arrivée chez Forbes, le test et l'échec n'allaient pas de soi. Trois ans plus tard, quand je montre la courbe de la croissance de notre audience, j'incruste les dates de lancement des innovations de Forbes. Mais j'insiste sur cette idée : ce sont les espaces vides entre les produits qui sont les plus intéressant : c'est tout ce qui a été testé à cette période qui n'a pas fonctionné.
- Comment Forbes résiste-t-il à la montée des adblockers ?
Nous sommes très touchés par les adblockers car notre modèle repose sur la publicité. Nous avons d'abord cherché à comprendre le comportement de nos lecteurs, pour savoir pourquoi ils rejetaient l'expérience publicitaire de Forbes. A l'issue d'une enquête auprès de notre audience, il s'est avéré que beaucoup n'avaient pas conscience de l'impact de leur adblocker sur notre modèle. Nous faisons des tests pour identifier quelles pourraient être les alternatives : un accès payant ou contre des données personnelles et sociales, ou encore un login obligatoire sur le site. Pour l'instant, nous leur demandons de mettre Forbes en "white-list" ou de désactiver leur bloqueur de publicité. Avec beaucoup de pédagogie, nous avons récupéré 40% de notre trafic perdu.
- Quelle place occupe la donnée dans le nouveau modèle média de Forbes ?
La donnée est au cœur de notre nouveau modèle, car le sens de l'histoire va vers l'individualisation. Nous collectons et traitons beaucoup de données "first party", en provenance de notre site, et montons des partenariats, avec Facebook, mais aussi des annonceurs. Par exemple, Dell a réalisé une campagne où notre site et tout leur écosystème digital ont été taggués pour récolter des données, cerner les centres d'intérêt des clients Dell et prédire leur comportement. C'est un vrai pont sur les médias et le CRM des marques.
Propos recueillis par Monelle Barthélemy