Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

Quel(s) avenir(s) pour les agences médias ?

Pourquoi ? 
Sale temps pour les agences médias : décriées pour leur manque de transparence dans l'achat programmatique, concurrencées par une flopée de nouveaux venus, court-circuitées par les régies, marginalisées par les GAFA... "Notre métier quitte l'univers de la négociation. Le métier de Gilbert Gross n’est plus le sujet" Pierre Calmard, chez IProspect (en photo) a tué le père, dans une interview pour Petit Web. Alors ? Aller vers le modèle de conseil ? Devenir un intermédiaire entre le monde de la tech et les annonceurs ? Jouer le rôle de super-chef de projet dans la data ? Se muscler dans la création et le contenu ? Ou tout cela à la fois ?

Comment ?

Vers un rapprochement avec le monde du conseil ?

Historiquement, les agences médias sont rémunérées en pourcentage des investissements médias de leurs clients, en intégrant parfois des bonus à la performance. Mais le programmatique et le rôle stratégique de la donnée ont rebattu les cartes...

"Notre métier se déplace sur la stratégie, le conseil et la mise en œuvre" Pierre Calmard, iProspect.

"Notre métier se déplace sur la stratégie, le conseil et la mise en œuvre" explique Pierre Calmard, qui ajoute que "la big data et l'intelligence artificielle vont précipiter la fusion entre média et CRM." Les agences médias vont donc se rapprocher de la donnée et du marketing relationnel. Une vision confirmée pendant l'été, avec le rachat - estimé à plus d'un milliard de dollars -de  Merkle, spécialisée dans la data, le CRM et le marketing à la performance par Dentsu Aegis Network.

Mais ce rapprochement entre CRM, data et média est aussi une opportunité pour de nouveaux entrants comme  les acteurs historiques du CRM, qui entendent bien tailler des croupières aux agences média. Une agence comme MilleMercis a par exemple racheté le trading desk indépendant Matiro en juillet 2013. Sans oublier d'autres acteurs data centrés comme Fifty-Five (intégré au groupe You and Mister Jones en janvier 2016) ou Artefact.

Les cabinets de conseil issus du monde de la technologie se retrouvent aussi  fréquemment dans des appels d'offre "média"... A la fois consultants, acheteurs d'espace média et parfois même agences de création, ces nouveaux venus mettent en avant leur indépendance pour grignoter des budgets aux agences médias.

Un renforcement des compétences "data"

En réaction, ces dernières musclent donc leurs compétences dans le domaine de la donnée. Deux exemples en France : PHD (Omnicom) s'est offert Remind, pour créer RemindPHD (avec la marque "Remind" en tête, détail révélateur) et Havas Media, qui suite au rachat de Fullsix, vient de lancer Fullsix Media, son troisième réseau d'achat d'espace.

A ce changement de paradigme devrait correspondre un changement de mode de rémunération, inspiré de celui du conseil, avec la facturation d'honoraires... Mais aux Etats-Unis, le rapport de l'ANA (équivalent de l'UDA) publié en juin 2016 à propos de certaines pratiques illégales dans l'achat d'espace douche cet espoir : les annonceurs préfèrent sur-payer de l'espace média - quitte à se faire léser - plutôt que de se voir facturer des frais annexes (lire l'article d'Adage sur ce sujet).

En France, la loi Sapin encadre fermement les pratiques des agences médias (même si le programmatique a relancé le débat). La question de la rémunération des agences médias semble toujours insoluble.

Un virage vers créativité et le contenu

Outre la donnée, les agences médias s'orientent vers le renforcement de leurs capacités créatives et de production de contenus, empiétant cette-fois ci sur le territoire des agences publicitaires. En 2013, aux rencontres de l'UDECAM, Raphaël de Andreis avait tenté une démarcation entre les deux univers : le "narrative brand content" (réservé aux agences média) et le "brand content concept driven" (propre aux agences de pub)...

Depuis, le mouvement des agences médias vers le contenu s'est poursuivi. Publicis s'est offert RelaxNews, désormais hébergé aux côtés des agences de Publicis.Media à Bastille. Dentsu Aegis Network a racheté SameSame, pour l'intégrer à son réseau créatif mondial McGarryBowen.

Mais les agences médias ne sont plus les seules à se battre sur ce terrain de la création et du contenu : les médias se sont quasiment tous lancés dans la bataille, avec des labs et des "content factories". Les GAFA proposent tous une structure destinées à conseiller les annonceurs sur leurs créations, que ce soit le Zoo chez Google ou le Creative Lab chez Facebook.

Les acteurs du conseil lorgnent eux aussi sur le monde de la création. Pendant l'été, Deloitte a fait l'acquisition de The Explainers, un studio de communication digitale spécialisé dans le storytelling. Accenture recrute à tour de bras dans les agences (avec, récemment en France, Claude Chaffiotte, débauché de JWT ou Mathieu Morgensztern, de DigitasLBi), et ouvre un studio de création de contenus à New-York (il en prévoit 6 autres dans le monde). Une offre qui vient (notamment) compléter celle de Fjord, un autre studio acquis par Accenture (lire notre article). 

Les agences média de demain, des intégrateurs ?

Dans ce paysage très disputé, quelle place reste-t-il aux agences média ? "Dans un environnement fait de "jardins clos", l'agence média doit être capable d'apporter une vision unifiée des données à ses clients, à travers les différentes plateformes" expliquait Doug Ray, le PDG de Carat aux Etats-Unis lors des derniers Cannes Lions. L'agence média de demain serait donc amenée à jouer le rôle de chef d'orchestre pour le compte de ses clients, connectant différents prestataires en charge de la création, de la data, du CRM, de la mesure de la performance, etc. Ces prestataires pouvant être aussi bien des agences traditionnelles, de petits studios ou des start-up.

"Notre rôle est de mener une veille sur tous les outils du marché et de faire des tests, pour proposer les meilleures solutions à nos clients" explique ainsi Arnaud Lauga, ‎Directeur Data, Technologie et Innovation chez Publicis.Media.

Ce rôle de "connecteur" intègre aussi une fonction de "dénicheur" de nouveaux prestataires, notamment des start-up. "Notre mission ? mener une veille sur tous les outils du marché et de faire des tests, pour proposer les meilleures solutions à nos clients" explique ainsi Arnaud Lauga, ‎Directeur Data, Technologie et Innovation chez Publicis.Media.

Des ponts entre les start-up et les grands groupes ?

Mais les annonceurs musclent aussi des équipes centrales en charge de coordonner les différents prestataires ou de repérer des start-up avec lesquelles collaborer. Le principal exemple à l'échelle mondial est celui d'Unilever et de sa Foundry 50 : aux derniers Cannes Lions, une sélection de start-up identifiées à travers le monde par le groupe occupait une place de choix dans le palais des festivals. Avec son Bridge à Tel Aviv, Coca-Cola est dans la même dynamique. Toutefois, rares encore sont les annonceurs à partager cette stratégie.

Nos clients s'attendent évidemment à ce que tout soit livré en temps et en heure, mais les start-up, elles, ont souvent d'autres priorités. A nous d'éduquer nos clients et de modérer les attentes des deux côtés" explique Patrick Affleck, directeur de Spark@Vizeum

Le constructeur automobile BMW ou le brasseur AB-inBev, par exemple, préfèrent passer par l'intermédiaire d'une agence média pour initier des collaborations avec des start-up innovantes : en Grande-Bretagne, ceux-ci s'appuient sur Spark@Vizeum, une structure créée au sein du réseau Vizeum. "La gestion de projet demande le plus de temps et d'efforts et c'est notre rôle d'organiser tout ça. Nos clients s'attendent évidemment à ce que tout soit livré en temps et en heure, mais les start-up, elles, ont souvent d'autres priorités. A nous d'éduquer nos clients et de modérer les attentes des deux côtés" explique son directeur, Patrick Affleck.

Mais dans tiers de confiance, il y a le mot "confiance"... Outre les révélations sur les marges arrières versées par les régies aux agences médias américaines, le rapport de l'ANA a révélé des pratiques étonnantes aux Etats-Unis : en échange de la promesse d'accéder aux annonceurs, des start-up "ad-tech" ont dû céder des parts de leur capital à des agences médias. Pour l'heure, aucune pratique de ce genre n'a été relevée en France (ouf!).

2017 le combat s'engage. Contre les cabinets de conseil, issus du monde de la technologie, capables de recruter les meilleurs talents de la data et de la publicité, tout en touchant des interlocuteurs de haut niveau chez leurs clients,  il s'annonce serré.

Benoit Zante

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