Qui ?
Michael Aidan, ancien CDO de Danone, passé du côté de la force obscure, au sein de la start-up DXO, une start-up dont on a pas fini d'entendre parler.
Quoi ?
Sa première interview, à propos du passage d'un monde à un autre...
Comment ?
- DXO en quelques mots ?
Les initiales signifient Digital Experiential Optics et c’est une entreprise française, créée par un ingénieur de talent - et ami - Jérôme Ménière. Depuis plus de 10 ans, il est à l’avant-garde des technologies de traitement d’image : les filtres de correction d’image qui se trouvent dans plus de 300 millions de téléphones portables, des softwares de corrections d’image comme Optics Pro, le laboratoire de référence de l’évaluation de la qualité des appareils photos et smartphones (DXO Mark) - et depuis peu, un produit révolutionnaire grand public, la DXO One, qui est le plus petit appareil photo de qualité professionnel connecté. Il se clippe sur les iPhones qu’il transforme en viseur d’un appareil photo aux performances équivalentes aux gros boîtiers numériques. L'appareil a été lancé en fin d’année dernière et a suscité l’engouement des professionnels de la photo et des grandes enseignes aux Etats-Unis et depuis peu en France, Allemagne et au Royaume-Uni.
Vous avez passé plus 25 ans dans des grands groupes dont dix chez Danone. Pourquoi ce passage à une structure de 250 personnes ?
J’ai passé des années formidables chez Danone, que ce soit sur des problématiques de catégorie (l'eau et sa crise) à la direction d’Evian de 2009 à 2013, puis à la transformation digitale du groupe. Je me trouvais simplement à un point et un poste où je ne pensais pas pouvoir apporter davantage. La transformation digitale de Danone sur laquelle j’ai travaillé près de 4 ans est amorcée, ses grandes lignes tracées, les principaux KPIs et outils mis en place, l’envie suscitée. La balle est passée dans les mains des opérationnels. Quant à moi, j’avais besoin de me sentir de nouveau les mains sur le volant plutôt qu’à piloter une gouvernance et des organisations. Une sensation que j’ai eue parfois dans des grands groupes - sur Evian monde chez Danone ou sur Tropicana Europe chez Pepsico - mais qui ne peut pas être la règle générale.
- Que conserverez-vous de votre expérience de CDO ?
Quelqu'un que j’admire beaucoup et qui était à la tête de Danone durant de nombreuses années m’a expliqué lors d’un déjeuner que Chief Digital Officer était le job de deux personnes : une qui montre une voie nouvelle, qui casse l’existant, embête, frotte, et embarque les équipes et une autre qui s’assure que tout est couvert par le digital du sol au plafond et que tout a été optimisé. Il m'a ajouté que très peu de personnes avaient les deux compétences. Je ne pouvais jouer que l’un de ces rôles.
- Quel est le principal changement qui vous frappe maintenant que vous êtes du côté des start-up ?
Ici chez DXO, je suis en mesure d'appliquer tout ce que j'ai pu apprendre et essayé d’insuffler. Dans les grands groupes, c'est "think / do / think". On passe beaucoup de temps à élaborer un projet avant de le sortir et de le repenser (ou de l’oublier parfois). Là, c'est "do / think / do". On prototype, on lance, on apprend et on retravaille. On prend dix décisions par jour. Et le bateau va à la vitesse qu'on lui impulse. Si on se débrouille bien, il ira peut-être même plus vite que nous.
- Quels ont été vos plus grands succès chez Danone ?
Avoir posé un cap et embarqué une très grande partie de l’organisation avec une petite bande d’illuminés talentueux et résilients fait partie des plus gros succès de ce poste. Je suis fier aussi de la création d’un training sur le marketing à l’ère digitale – Connectland – que nous avons déroulé à 11 reprises en 3 ans auprès de 1.000 personnes sous forme de sessions présentielles, d’une app ou d’un MOOC. Il répond aux principales questions que se posent tous les marketeurs qui ont été élevés – comme moi – à l’ère "proctérienne". Enfin l’adoption d’une très grosse plateforme collaborative nouvelle qui va toucher 100.000 personnes et changer la façon de travailler de tous, sera un vrai succès tant dans son impact que dans le travail collectif entre le digital, l’IS et les RH qu’elle a nécessité.
Mon passage à ce poste n’a pas été un long fleuve tranquille : que signifie "digitaliser" un groupe de 100.000 personnes présent dans près de 100 géographies avec 5 divisions et 8 métiers ? Avant que mon équipe soit constituée, plus d'un millier de projets digitaux existaient déjà en interne. J'ai commencé par les fonctions familières – à savoir le marketing et le commercial – puis nous avons ouvert le champ à l’ensemble des fonctions (RH, Opérations, Supply Chain,..) et des collaborateurs (les plateformes de travail et de collaboration internes) pour atterrir sur l’idée d’un "Danone Digitally Fluent".
- Et les échecs ?
Je crois qu’il n’y a eu que des leçons qui nous ont permis de rebondir différemment. La principale est sur la capacité "à pousser une organisation" alors qu’en fait, il ne peut rien se passer si l’organisation "ne tire pas de son côté". Le passage du push, "prenez mon digital", au pull, "nous, opérationnels, aimerions bien avoir votre aide en digital" fait toute la différence. J'ai appris aussi que l’accord sur une vision – même avec le Comité Exécutif - ne sert à rien tant qu’il n’est pas assorti de quelques chiffres plus ou moins atteignables qui amèneront les équipes à repenser leurs plans. Dernière leçon : les structures et organisations sont indispensables mais sans les talents et les idées, il n’en sort rien.
L'entreprise devrait être capable d’évoluer de façon aussi fluide dans un monde "online" que "offline". De là ont découlé des objectifs quantitatifs, des gouvernances, des organisations transverses et des projets clés. Le reste, c’est la vie d’une grosse organisation, le besoin de convaincre beaucoup de monde, les changements d'organigramme, de personnes et la nécessité de savoir garder un cap contre vents et marées.
- Cette plateforme de collaboration mondiale, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Non, parce qu’elle n’a pas encore, à ma connaissance été présentée à l’ensemble de l’organisation. En revanche, je peux vous dire sa genèse ce qui vous mettra sûrement sur la piste. En tant qu’individus... d’un certain âge, nous avons reçu nos premiers ordinateurs, téléphones portables, accès au haut débit par l’entreprise qui était en avance sur nous. Aujourd’hui, vous possédez plusieurs outils digitaux personnels et apps qui sont beaucoup plus performants que ceux de votre environnement professionnel. Pour être aussi à l’aise dans l’entreprise que dans la vie personnelle, il faut donc que l’entreprise rattrape l’individu. Ce qui est difficile pour des raisons de coût, de sécurité et de vitesse. Pour l’IS / IT, cela signifie de passer de la création de plateformes internes – qui ressemblaient à celles du monde extérieur - à l’adoption des plateformes que les individus utilisent dans leur vie quotidienne, en les faisant entrer dans un écosystème protégé. Je ne sais pas si je vous ai aidé ou perdu avec cette explication…
- Pourquoi avoir rejoint DXO plutôt qu'une autre start-up ?
Je suis fan de photo depuis mon premier Canon il y a 30 ans et cette nouveauté m’a déjà permis de résoudre un problème personnel : quand je ne partais que pour quelques jours, je ne pouvais pas prendre mon gros appareil et sa sacoche et je ne pouvais pas non plus me résoudre à prendre des photos de qualité « smartphone » pour des souvenirs de Moscou ou New York qui se mélangeraient à ceux pris avec un vrai appareil photo sur mon écran d’ordinateur.
Je suis bluffé par le fait qu’une petite entreprise puisse garder de l’avance sur un secteur comme la photographie qui est le champ de bataille de géants innovants comme Canon, Nikon, Leica, Apple. Avec 250 employés à Boulogne et à San Francisco, DxO n’est plus vraiment une start-up "à deux dans un garage" mais ce n’est pas non plus "une licorne". A nous de trouver la façon de réaliser l’éclosion. Finalement, c’est une nouvelle forme de "transformation" qui m’attend !