Qui ?
Michel Koch, CMO de Time Inc. UK (Woman's Weekly, Instyle, Wallpaper, What's on TV...). Un CMO embauché pour 18 mois, pour faire bouger les lignes.
Quoi ?
Une interview sur les ambitions e-commerce de l'un des premiers groupes de presse magazine mondiaux, réalisée lors d'E-Commerce One to One 2017.
Comment ?
- Un Chief Marketing Officer, chez Time Inc., ça sert à quoi ?
Time Inc. est un groupe américain. En Grande-Bretagne, marché pour lequel je suis directeur marketing, le groupe compte une cinquantaine de marques dont Women's Weekly, Marie-Claire, InStyle... Dans ce pays, Time Inc. est premier en parts de marché et en revenus publicitaires. Nous touchons 9 millions de personnes soit 18% de la population anglaise, avec des cibles privilégiées comme les femmes de plus de 40 ans aux revenus aisés : la moitié d'entre-elles sont des lectrices des titres de Time Inc.
- Qu'est ce qui pousse un groupe média comme le vôtre à participer à un événement dédié au e-commerce ?
Notre cœur de métier est le contenu et le storytelling, mais nous voulons apprendre à faire autre chose que du print. Je suis dans une optique de R&D, à l'affût des technologies qui s'inscrivent dans la convergence des contenus et du commerce. Je viens aussi me mettre à niveau sur le marché français, et construire ma propre grille de lecture sur ce qui marche ici. Nous voulons comprendre les évolutions du marché, car Time Inc. a entrepris depuis plusieurs années se diversifier dans des secteurs clés, autour d'univers en lien avec les magazines du portefeuille.
- Quels sont les objectifs de ces diversifications ?
Il nous faut anticiper la décroissance de la consommation sur papier. Au niveau mondial, 29% de nos revenus proviennent du digital. En Grande-Bretagne, notre modèle économique est encore majoritairement basé sur la vente au détail, avec des titres comme TV Time et What's On TV, puis sur la publicité et enfin sur les abonnements.
- Des exemples de cette transformation ?
Nos contenus deviennent de plus en plus digitaux. Depuis octobre 2016, InStyle est uniquement disponible en ligne, par exemple. Depuis un an, une équipe de tournage maison suit aussi systématiquement les journalistes magazines dans leurs reportages pour raconter nos contenus en format vidéo, sur nos chaînes Youtube et sur nos sites. 2 000 vidéos ont déjà été produites. Ces initiatives portent la croissance - à deux chiffres en 2016 - de nos revenus publicitaires sur le digital.
- Quelles nouvelles pistes de diversifications imaginez-vous ?
Mon rôle est d'emmener nos marques dans l'e-commerce. Le marché commence à être mature, mais avec une croissance toujours forte, de 17% cette année en Grande-Bretagne. En tant que média, nous sommes positionnés sur les premières étapes d'un parcours client : s'informer, se renseigner, s'inspirer, chercher des conseils... Depuis un an, nous explorons la possibilité d'intervenir à d'autres moments du parcours en évaluant notre crédibilité au moment de l'achat, pour concevoir des services autour du produit et de la fidélisation.
- Concrètement, comment menez-vous ces diversifications ? Par des acquisitions ?
La première étape est d'identifier dans notre écosystème de marques tous les domaines adjacents et les possibilités d'investir. Je me pose deux questions : est-ce que c'est ce que nos clients attendent ? Est-ce qu'on est fort et crédible ?
Nos premiers pas dans l'e-commerce concernent des événements et des expériences. Nos audiences sont très engagées, ce sont des gens qui lisent des magazines sur leur passion et la vivent au quotidien. Nous avons investi 20 millions de livres dans des acquisitions, notamment celles de UK Cycling Events and International Craft & Hobby Fair en 2015, deux sites référents en organisation d'événements dans les domaines du cyclisme et du DIY (lifestyle, pâtisserie, mode et travaux). Ces événements sont renommés du nom de nos magazines, pour créer de la valeur. Nous utilisons notre puissance média pour communiquer sur les ventes de billets. 150 événements ont été organisés par nos marques en 2016, engageant plus de 300 000 consommateurs.
- Quelle est l'acquisition qui incarne le mieux cette stratégie ?
Pour s'adresser aux passionnés d'équitation, nous avons investi dans Equo, une marketplace d'événements hippiques. Dans ce domaine, les événements sont très fragmentés, ce modèle de la marketplace nous semblait le plus pertinent pour mettre en relation les cavaliers et les organisateurs. Nous l'avons adossé à notre magazine Horse & Hound.
- Comment ces nouvelles activités s'articulent-elles avec l'activité média ?
Derrière les relais de croissance, l’autre enjeu est celui de la captation de données. Les métiers de contenus sont des métiers de data, mais l’interface qui détient l’information est celle où a lieu la transaction avec le client. Time Inc. a déjà opéré sa transformation sur les données, avec la constitution d'une base centralisée de 11 millions de clients. Toutes nos nouvelles activités l'enrichissent dans l'optique de créer de nouveaux segments de ciblage en programmatique.
- Quels sont les nouveaux segments d'audience que vous commercialisez ?
Par exemple, Powder, le site de recommandation de produits de beauté lancé début 2016 est entièrement "data-driven". Le login est obligatoire pour personnaliser l'expérience et les internautes construisent leur profil beauté en partageant leur type de peau, la couleur de leur yeux, etc. Les utilisatrices peuvent ensuite être reciblées, sur le site de Marie-Claire par exemple. Powder propose aussi des box thématiques premium à 35 livres, the Beauty Drawer, sans abonnement, avec une douzaine de produits de beauté, dont la moitié, personnalisés. La moitié des produits est envoyé en taille normale, et non sous forme d'échantillon. La valeur faciale de la box est de 120 livres.
- Outre cette "beauty box", quelles sont vos autres incursions dans l'univers des produits physiques ?
Fabled, by Marie-Claire vend des produits de beauté de marque haut de gamme comme Estée Lauder, Urban Decay ou Nars, sélectionnés par les éditeurs de Marie-Claire. Une boutique physique a ouvert à Tottenham Court Rd. Les rayons sont enrichis avec du storytelling, des visuels et surtout des tables digitales pour tester et recevoir des conseils. On travaille maintenant à la remontée des données de la boutique dans notre base.
Parfois, nos médias ont déjà des actifs commercialisables. The Knitting network édite toutes les semaines des patrons pour créer des vêtements et objets en tricots et crochets. Ces patrons sont maintenant vendus en ligne, et nous envisageons de proposer aussi la laine et les accessoires, en partenariat avec un site e-commerce. Il est possible d'ailleurs que cela débouche sur une acquisition.
- Ces deux projets ont été menés en interne. Comment ?
La clé du succès c’est d’incuber les idées de manière isolée, loin du "core business". Pour Fabled, on a rassemblé des éditeurs et des gens du commerce, et ils se sont installés dans leur coin pour incuber. Il est important de mélanger les profils différents et complémentaires.
A la tête de The Knitting Network, il y a une personne très business, qui faisait avant du trading et une autre qui pense "contenu", dans une optique d'acquisition et de fidélisation de l'audience. Ensuite, l'idée c'est de prouver le modèle, avec un POC, qui revient par la suite dans le "core business".
- Quels sont les axes de diversification que vous avez au contraire écartés ?
Le e-learning. Nous avons organisé des masterclass de couture. Mais c'est difficilement "scalable". On est assez clairvoyant sur ce qu'on ne veut pas faire : réinventer la poudre. Pour Fabled par exemple, nous avons opté pour une joint venture avec Ocado (lire notre article à ce sujet), c'est eux qui opèrent la plateforme e-commerce.
- Y a-t-il d'autres pistes de monétisation que vous explorez ?
Je pense qu'il existe un énorme potentiel e-commerce dans les domaines du cyclisme, du lifestyle et de la décoration. Nous allons continuer d'explorer et de réfléchir aussi à des modèles de récurrence, dans la même logique qu'Amazon Prime. Je regarde aussi les blogueurs et influenceurs.
Time Inc est une plateforme d'une cinquantaine de marques, c'est un réseau d'influence qui pourrait s'enrichir avec ces personnes. On travaille aussi beaucoup sur le "native advertising", au sein de notre filiale The Foundry, créée en 2015. C'est un studio interne qui produit du contenu pour les marques avec le savoir faire des éditeurs des magazines. Notre ambition est de faire des articles aussi intéressants que ceux de nos magazines. La marque les sponsorise, fait partie de l'histoire mais n'a pas son mot à dire.
Propos recueillis par Monelle Barthélemy