Qui ?
Jean-François Deschênes, CDO de Bombardier, n°1 mondial de la fabrication de trains et n°3 des avions (75 000 employés, 41 pays).
Quoi ?
La nouvelle étape du CDO World Tour mené par Fast Up Partners, de Frédéric Colas et Charles Tonlorenzi.
Comment ?
Comment s’exerce la transformation digitale dans un groupe comme le votre ?
Difficile d’expliquer la valeur ajoutée du digital dans un business d’ingénieurs. Quand j’ai été embauché, en 2008, j’étais Chief Web Officer. Nous avions un site web institutionnel, très figé, un lieu de destination. Il fallait le rendre plus dynamique. J’ai ensuite eu la responsabilité du social média de Bombardier. Puis, il a fallu s’occuper du monitoring, de la manière dont la marque était perçue dans le monde entier. Enfin, nous avons parlé de relation consommateur. Et là dessus, s’est ajouté le « human ressurce information system », dans lequel nous avons utilisé beaucoup de social média, ce qui a provoqué de nombreuses tensions dans la société. Globalement, il faut apporter la modernité dans le process.
Le plus grand défi pour Bombardier ?
C’est ce réseau interne, justement, baptisé HRIS, qui est utilisé par tous les employés du groupe pour le « preference management ». Un travail de deux ans qui a abouti en octobre 2014. Le système est multilingue et doit être compris par tous. Il doit respecter les lois concernant la privacy et notamment les lois allemandes. C’était un outil complexe, qui avait beaucoup de contraintes techniques. J’en suis très fier, le groupe a fait un grand pas dans le management du changement.
Je suis usager du train. Que verrai-je l’an prochain qui a trait à la transformation digitale de Bombardier ?
En 2012, nous avons organisé un concours en crowdsourcing à Berlin qui demandait aux gens, ingénieurs, artistes, simples usagers, d'envoyer leurs idées pour transformer l’expérience du train ou du métro. La forme était libre : vidéo, dessin... Nous avons reçu 200 dessins différents qui montraient les gens voulaient s’asseoir, être debout, regarder au travers de la vitre. Les couleurs, la texture du train, plastic, métal. Nous avons donné ces dessins au département développement produit, en leur demandant de faire le train idéal. Et 6 idées sur ces 200 ont été intégrées.
Les recettes du succès pour un CDO ?
Un bon CDO doit être un délinquant. Il doit pousser le bouchon. Il doit avoir la confiance du Pdg. Chez Bombardier, nous avons la confiance de 4 Senior Vice Presidents et du Pdg. Je reporte au SVP en charge des affaires publiques et RH. Il faut comprendre la technologie, les problématiques business, le marketing, la communication. Il faut comprendre la mission, les besoins de tous ces gens-là, gagner leur confiance. Et il faut avoir une très bonne équipe, qui comprend votre vision.
Comment mesurez-vous votre efficacité ?
Nous faisons des études pour comprendre comment les gens réagissent au changement. Nous menons actuellement une simplification de l’organisation majeure chez Bombardier. Et le CDO a un rôle très important dans ce repositionnement. C'est une indication de la perception en interne de l’efficacité de cette fonction.
Dans un an, quel sera votre plus grand succès ?
Nous aurons mis en place la vidéo conférence pour le recrutement dans notre HRIS. 30 % des candidatures RH proviennent du mobile. Nous voulons nous déployer en vidéo pour permettre aux candidats de parler à quelqu'un dans la foulée de l'envoi de leur CV. Les recruteurs pourront faire leurs entretiens d’embauche sur mobile. C’est parfois très coûteux de faire voyager un candidat outre-atlantique pour un entretien d’embauche. Cet outil nous aidera à recruter de meilleurs talents.
Votre principal échec ?
Le management du changement. Il y a six ans, j’ai installé le prototype du HRIS. De mon point de vue, ce n’était pas très compliqué. Mais je n’avais pas mesuré la résistance au changement. Ce n’était pas dans la culture de la maison d’intégrer le changement d’un coup dans toute la structure. Mais nous avons effectué ce changement de culture, qui est encore plus important que l’outil lui même.
Comment obtenez-vous le soutien de votre hiérarchie ?
Il y a 25 ans, j’étais un directeur éditorial dans un média traditionnel. Je sais donc raconter une histoire. Mes N+1 ne sont pas habitués à cela. Une fois par mois, j’écris l’histoire de mon travail. Où j’en suis, où je veux aller, comment je manage. Ils adorent ça. Ce n’est pas comme un rapport, un PPT. Je leur donne les infos, mais avec de l’humour, parfois avec urgence, parfois avec des exigences, parfois en leur racontant une expérience qui a eu de bons résultats. Beaucoup de mes interlocuteurs passent leur temps à voyager. C’est difficile de les voir en face à face. Alors ces histoires les font rire et le message passe.
Quels sont vos principaux obstacles ?
Ce n’est pas la peur du risque. Ma direction sait parfaitement en prendre. C’est plutôt la culture. Il y beaucoup d’ingénieurs, ils savent utiliser la technologie, l’appliquer dans leur business. Mais ils n’ont pas la vision à 360 de ce qu’elle permet de faire. Il y a aussi les silos. On en a levé certains depuis cinq ans. Mais on en a toujours, les directions verticales, les pays, les langues. C’est un problème qui je pense va perdurer, parce que les silos sont dans la nature humaine . Il faut sans cesse travailler à casser les silos. Il faut aussi gagner en vitesse. Car il faut toujours avoir l’aval des pays avant de lancer une stratégie.
Et la vitesse dans la délivrance des projets ?
Nous sommes encore trop attachés à l’IT. Nous devons aller beaucoup plus vite. Nous faisons appel parfois à des commandos, parfois avec des consultants. Certaines semaines, nous travaillons avec 6 ou 7 consultants. Un manager qui a un projet installe une war room chez Bombardier ou à l'agence. Tout le monde reste jusqu’à ce que nous ayons la solution au problème que nous voulons résoudre. C'est une réussite dans 80 % des cas.
Penser comme un groupe et agir comme une start-up ?
La start-up est plus agile et prend des décisions plus vite. Les grandes sociétés qui ne peuvent pas agir à la vitesse de ce qui se passe dans le digital ne survivront pas. Auparavant, j’ai travaillé dans 4 ou 5 start-up. C’est comme ça que je manage mon équipe. Je tâche de ne pas avoir trop de personnes autour de la table. J'évite ce que j’appelle une « superdémocratie », où il faut consulter 60 personnes différentes. Si vous consultez trop de gens, le résultat sera à l’opposé de ce que vous vouliez faire. Il faut bien sûr consulter, mais pas trop. Le modèle des start-up ne peut pas se transposer à tout dans les grands groupes. Vous ne pouvez pas vous en servir pour construire un nouvel avion. Mais beaucoup de process peuvent devenir agiles. Et dans mon environnement digital, vous pouvez toujours vous servir de ces méthodes et être efficace . Bien sur vous ferez des erreurs, mais tout le monde en fait. Les décisions que nous prenons sont adoptées beaucoup plus vite.
Travaillez vous avec des start-up ?
Je travaille avec des petites boites, pour des projets de courte durée, pas avec des start-up. Avec une multinationale comme Bombardier, vous devez être sûr que la société avec laquelle vous travaillez sera toujours là dans plusieurs semaines. Je tâche de travailler avec des petites sociétés qui savent ce qu’elles font plutôt qu’avec des …Vous savez, ces entités qui ont 3 initiales dans le nom, et viennent vous voir, avec 16 personnes en costume bleu autour de la table, et vous facturent un maximum. Et à la fin de la journée, vous n’avez aucun résultat.
Trois voeux pour accélèrer la transformation de Bombardier ?
Du budget en plus. Approfondir le management du changement, et trouver mon remplaçant pour dans 2 ou 3 ans quand je prendrai ma retraite.