Qui ?
Gerhard Louw, Directeur du Management International des Médias de Deutsche Telekom.
Quoi ?
La nouvelle étape du CDO World Tour mené par Fast Up Partners, de Frédéric Colas et Charles Tonlorenzi.
Comment ?
Quelle est votre fonction au sein de Deutsche Telekom ?
Dans le monde, il y autant de description de mon poste que de personnes qui l’occupent. De manière traditionnelle, je gère dans les pays les médias et les budgets. Le groupe dépense 1 milliard de dollars par an en achat médias dans le monde, nous sommes l’un des plus gros annonceurs européens. Mais la transformation digitale en cours a fait évoluer mon poste.
Quelle est votre définition de la transformation digitale ?
La transformation digitale d'une grande entreprise est un long voyage, compliqué, qui ne se passe pas en un jour. Le digital est au cœur des activités d'un groupe de télécommunication comme le nôtre. Ce n’est pas seulement une transformation du département média ou de celui de la marque et de la communication. C’est tout le métier des télécommunications qui change. Les réseaux, par exemple, sont tous basés sur le protocole IP.
Dans mon aire de compétence, celle du marketing, de la communication et des ventes, la transformation digitale concerne tous les aspects de ce que l'on fait. Nos clients passent de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux et poussent par leurs usages à la transformation de l’environnement des médias. Cela nous oblige à repenser la manière dont nous ciblons les gens, comment on communique, où et comment.
Quel est votre plus grand challenge ?
Le changement le plus difficile à opérer est dans l’esprit des gens. Les gens des grandes organisations sont habitués à travailler en silos, dans différents lieux et avec des KPIS différents. Ils sont vraiment séparés les uns des autres. C’est tout le contraire de ce dont nous avons besoin : de la collaboration à travers les silos et les départements, et le partage d’informations et de données pour rendre notre travail plus efficient et efficace.
Quels sont vos conseils pour faire travailler les gens ensemble ?
Il n’y a pas de formule magique. On s’est rendu compte qu’il ne faut pas attendre un changement organisationnel miracle. C’est très facile de dire qu’il faut rapprocher le marketing, les ventes et les équipes CRM. Il est même possible de mettre en place ce rapprochement assez rapidement, mais ce qu’il faut par-dessus tout, c’est faire en sorte que les gens parlent entre eux, échangent et créent des équipes cross-fonctionnelles. Pour arriver à un marketing et des ventes data-driven, le mieux est de mettre toutes les équipes d’un pays du groupe autour de la même table et de discuter ensemble de ce qu'il faut faire et comment on va le faire.
Cela fonctionne, même dans un gros marché comme l’Allemagne, qui a pourtant une organisation très large dans laquelle les gens ne sont souvent pas habitués à travailler ensemble. Cela prouve tous les jours qu’il est possible, derrière les structures organisationnelles, de faire collaborer les gens, s'ils sont ouverts et s'ils comprennent la vision.
Quel est la dernière réalisation dont vous êtes fier ?
Je suis vraiment fier d’être impliqué dans le développement de notre “digital blueprint”. Le nom peut vouloir dire beaucoup de choses, mais il s’agit en réalité de créer une infrastructure technique qui puisse servir de plateforme technique à tous nos projets digitaux pour le marketing. J’ai fait partie de l’équipe qui a conceptualisé cette plateforme et je suis très impliqué dans sa mise en oeuvre. En Allemagne mais aussi dans d’autres marchés.
Nous avons rassemblé les données que nous avons et celles qui sont générées par nos activités marketing et commerciales : des data de l’ad serving, des analytics des sites web, des plateformes mind-sight, du retargeting et des modèles d’attributions mix-media. Toutes ces données étaient dans des sortes de plateformes de management de la data (DMP). Il faut maintenant tout rassembler, premièrement pour que la donnée soit à un seul endroit et pour voir comment on peut l’utiliser pour devenir plus efficace.
Que pouvez-vous faire avec ce "digital blueprint" que vous ne pouviez pas faire avant ?
Nous avons toutes les possibilités de contact avec les consommateurs, actuels ou potentiels, à un seul endroit. Maintenant nous savons comment leur parler, où et quand. Et nous avons toute la data, passée ou courante, de toutes les interactions avec ces clients. La première étape est vraiment de rassembler les données et de les analyser. Nous n’y sommes pas encore, mais l’étape d’après est l’implémentation en termes de communication : rassembler sous un même toit les CRM de la communication, de la communication commerciale et la communication du marketing de marque.
Cela signifie que vous avez construit une DMP ?
Nous sommes en train de construire une DMP. Notre approche est hybride, donc nous avons quelques technologies maison mais nous travaillons aussi avec des partenaires extérieurs. La différence, c’est que cette fois nous les choisissons. Dans le passé, les partenaires étaient choisis par nos agences. Aujourd'hui, nous avons vraiment besoin de garder la main et le contrôle sur la data. Il nous faut préserver la confidentialité des données.
Quelle est la recette du succès pour être un bon CDO ?
Je ne suis pas le CDO, donc je ne saurais pas dit mais je dirais qu’un bon CDO a besoin de rassembler les gens. Et bien sûr comprendre la technologie, comprendre l’IT et la digitalisation est juste un début. Si vous ne pouvez pas rassembler les gens pour les faire asseoir autour de la même table, et les faire travailler d'arrache-pied sur des projets et des sujets complexes.
Quand on veut transformer l’organisation, doit-on suivre les règles ou pas ?
Sur un sujet comme la transformation digitale, il n’y a pas de règle. Je n’ai jamais vu de manuel. Si vous en avez un, merci de me l’envoyer. Rien n'a encore été fait, on ne peut pas prendre quelque chose tel quel et l'implémenter. Vous devez redéfinir les règles, être une sorte de cowboy, particulièrement si c’est un grand groupe qui a ses propres règles.
Pouvez-vous nous donner un exemple de ce qu’est un cowboy ?
Regardez le comportement du CEO de T-Mobile aux US : John Ledger. Je pense que c’est un excellent exemple de cowboy. Quelqu’un qui a une vraie vision et qui n’a pas peur de se lever pour la soutenir et de dire ce qu’il pense.
Comment mesurez-vous votre impact ?
Il est difficile de mesurer l’impact d’une transformation digitale. Je regarde surtout "l'adoption" dans les pays. J’ai un rôle international, central : au final, il n’y a presque rien que je peux faire moi-même. L’important ce sont les pays, les unités opérationelles et les business units locales. Le succès, c'est de les voir accepter et mettre en oeuvre opérationnellement mes propositions.
Pour travailler sur l’acceptation de nouveaux outils, nous travaillez avec des pays pilotes. Cela fonctionne ?
Une transformation digitale, ce n'est pas juste un big bang qui fait naître une autre organisation. C’est une approche pas-à-pas. Nous travaillons avec des pays pilotes à qui nous apportons nos idées. Nous constatons souvent que plus le pays est petit, plus il est avancé digitalement, par exemple comme les Pays-Bas. C’est un très bon pays pilote, plus petit que l’Allemagne. Les gens sont très ouverts et très enthousiastes. On peut faire beaucoup avec ce genre de marchés. Une fois que c’est prouvé, on peut déployer.
Dans ce cas, le budget vient-il du central ?
Non, les fonds de ces programmes sont locaux. Les unités locales sont responsabilisées sur les profits et des pertes. C'est une nécessité d’être intégré dans les business locaux. Bien sûr, nous apportons notre soutien avec certains processeurs et certains outils mais l’implémentation est locale.
Comment Deutsche Telekom travaille avec les start-up ?
Nous avons notre propre département qui développe des start-up, ainsi qu'un départemement qui les soutient et qui investit via des Ventures dans des start up technologiques. Nous utilisons la technologie de data management plate-forme d'Explosion, uns start up allemande. Ils sont petits et agiles, font partie de notre groupe, mais ils conservent leur indépendance.
Il est difficile de synchroniser le rythme d’une start-up et celui du groupe, mais la magie opère quand on rassemble les équipes. Je ne pense pas qu’il faille ralentir les start-up ou accélérer immodérément le rythme du groupe. Je pense qu’il s’agit de trouver un équilibre entre les deux.
Quels sont vos conseils pour travailler avec les start-up ?
La première chose est d’être très ouvert. Vous devez aussi vraiment les utiliser pour ce pourquoi les start-up sont bonnes. Ce que je constate souvent, c’est qu’une fois que une bonne relation s’est installée avec une start-up, il est facile ou tentant de les tirer vers un domaine hors de leur compétence. Il faut les laisser faire ce qu’elles sont capables de faire, leur permettre de garder leur focus et partir à la recherche d’une autre start-up pour répondre au nouveau besoin.
L’idée pour une grande entreprise de se comporter comme une start-up, je pense que c’est une bonne idée mais difficile à cause des structures. Avec des projets d’équipe, il est possible de trouver de l’agilité. Changer entièrement la culture du groupe est impossible, mais on peut faire du hors-bord à côté du paquebot, donner la possibilité aux équipes projet d’être des start-up au sein du groupe.