Qui ?
Edouard Rencker, PDG de Makheia Group.
Quoi ?
Une interview à la découverte de celui qui se présente comme le premier groupe français indépendant de communication.
Combien ?
- 220 collaborateurs
- 21,9 millions d'euros de CA en 2014
- 17,5 millions d'euros de Marge Brute en 2014.
Comment ?
- Selon votre rapport annuel, vous avez achevé votre mutation. Pourquoi ?
En 2008, nous réalisions à peine 8% de notre chiffre d'affaires dans le web, et le reste en print. Aujourd'hui, c'est plus de 55%. Sequoia, qui est l'agence noyau de Makheia Group a été fondée il y a vingt ans, autour du métier alors naissant en France du "consumer magazine", qui n'intéressait pas les agences traditionnelles. Makheia Group est né en 2008, avec la fusion de Sequoia et de Mediagérance, en se positionnant d'emblée comme un groupe post-publicitaire. En quatre ans nous avons mené trois acquisitions dans le digital, avec La Forme, Big Youth et Mégalo. Le groupe se structure maintenant autour de trois grands métiers : le digital, devenu principal, avec Big Youth ; l'activité historique de Sequoia, étendue à la production de contenus sous toutes ses formes ; et le consumer marketing moderne avec Affinity.
- Comment avez-vous opéré votre transformation ?
Très vite, j'ai eu l'intuition que les canaux traditionnels allaient s'effondrer et que la culture web allait entraîner partout une culture de la data et de la performance. Pendant des années, on a envoyé des consumer magazines sans jamais faire d'étude pour mesurer leur impact ! Aujourd'hui, nous avons notre propre méthodologie pour faire le lien entre les audiences, les canaux et les contenus, avec de nouveaux outils et de nouveaux partenaires, comme Synthesio et Linkfluence. Un exemple : nous avons permis à Infogreffe de décupler le trafic de son site, rien qu'en étudiant la sémantique et en revoyant l'organisation des contenus et les balises des pages du site.
- Comment avez-vous intégré vos acquisitions digitales, alors que beaucoup d'agences s'y sont cassées les dents ?
Le moteur essentiel, c'est la curiosité. Il faut faire en sorte que les gens soient curieux des métiers des autres. Nous l'avons fait via des séminaires et la mise en place d'une université interne. Cela fonctionne dans les deux sens : nous avons ainsi sensibilisé les équipes de Big Youth au monde du contenu. Sur certains points, il faut partir d'une feuille blanche , comme pour notre méthodologie. Une fois qu'on a une méthode commune, il faut être clair : tout le monde ne fait pas tout, chacun reste dans son métier.
- Comment s'organisent vos activités digitales ?
Big Youth est plutôt spécialisée dans le luxe, avec 60% de CA dans ce domaine. C'est notamment l'agence monde de Ferrari. Elle développe des écosystèmes digitaux complets ou des dispositifs marketing online. L'expertise de La Forme, qui était très orientée "culture", nous a permis d'obtenir deux prix dont un Webby pour le site du Ministère de la Culture, autour de l'archéologie de la Grande Guerre. Enfin, Mégalo est devenu une filiale de Big Youth, spécialisée dans le CRM, avec 25 personnes à Annecy et des clients comme Heineken ou la Banque Palatine. Nous conservons la marque, car elle est connue, mais il n'est pas impossible qu'un jour on n'en garde qu'une.
- Quelle a été l'étape la plus compliquée à mettre en oeuvre dans votre transformation ?
Faire tout en même temps, en quatre ans, sans casser la dynamique commerciale : modifier la culture interne, recruter des profils, intégrer des acquisitions, abandonner des métiers, développer une méthodologie... On ne peut pas se contenter de mettre dans un coin une équipe qui traite du digital.
- La rentabilité du digital est plus faible que celle du print. Comment gérez-vous cette transition ?
C'est certain : les nouveaux métiers du digital sont passionnants, mais moins générateurs de marge nette que nos anciens métiers. Tout le monde s'est lancé en disant "si c'est du web, c'est moins cher". L'évolution de l'économie et la crise ont aussi fait baisser le taux de marge, mais c'est valable pour tout le monde. Est-ce anormal ? Je ne sais pas... Je suis le premier à dire qu'il faut revoir nos critères : pourquoi la rentabilité du capital doit-elle être de 15% ? C'était valable dans les Trentes Glorieuses. Aujourd'hui, quand on regarde Google, c'est 45%. Dans d'autres métiers c'est 5%. Pour notre part, nous nous sommes fixés l'objectif de 7% de Résultat Brut d'Exploitation.
- D'autres acquisitions en vue ?
Jusqu'à la fin de l'année, nous allons plutôt finir l'intégration de nos dernières acquisitions, mais dès 2016 nous reprendrons les développements. Je suis déjà en train d'analyser deux ou trois dossiers. Il nous manque des métiers, notamment du côté de la data. Je commence à chercher des spécialistes des algorithmes. Je regarde aussi les logiciels d'automatisation de production de contenus, car nous devrons assurer à nos clients des prestations 24/24, en temps réel, avec des contenus personnalisés. Un exemple : nous avons comme client Salomon, qui a pour objectif de doubler ses ventes d'ici à 2020, uniquement en ligne. Comment mieux qualifier l'audience de ses sites, pour fournir des contenus plus ciblés et entièrement personnalisés ? Ce sera notre métier demain, mais aujourd'hui c'est ingérable. Aux Etats-Unis, c'est déjà parti, avec des start-up utilisant le langage 4GL, qui facilite la production automatisée de contenus.
- Et l'international ?
Nous réfléchissons à un bureau en Italie pour accompagner Ferrari et Luxottica et nous faisons partie du réseau AMIN Worldwide, qui regroupe plus de 50 agences de communication indépendantes : à ce titre nous intervenons sur des missions au Kenya. Mais nous n'avons pas besoin d'avoir un réseau international, c'est trop tard : je ne vais pas m'amuser à rebâtir un Publicis.
- Est-ce difficile d'être une agence indépendante en France ?
C'est très dur si vous faites de la pub. Publicis est devenu tellement gros et important qu'il est capable d'avoir deux de ses enseignes dans un même appel d'offre. D'ailleurs, il n'y a plus vraiment de grosse agence publicitaire indépendante, à part Australie. Mais c'est aussi une opportunité : tous nos gros clients n'ont pas envie de confier l'intégralité de leurs budgets à ces grands réseaux. Avec notre taille, nous sommes une alternative sérieuse, mais il est vrai que des marchés nous sont inaccessibles car verrouillés par les grands réseaux.
- Makheia Group est coté en bourse, qu'est-ce que ça change ?
Cela nous force d'abord à être irréprochable d'un point de vue financier et juridique, tout en rassurant les directions achats des grands groupes. Surtout, la Bourse nous a permis de lever facilement des fonds. Sans elle, nous n'aurions pas été aussi vite.
Propos recueillis par Benoit Zante