Qui ?
Marc Mézard, directeur de l'Ecole Normale Supérieure, chercheur en physique, médaillé du CNRS.
Quoi ?
Une interview, alors que l'établissement de la rue d'Ulm s'ouvre au monde des start-up et de l'entrepreneuriat, avec notamment l'organisation d'un prix de la start-up normalienne.
Comment ?
- Comment définissez-vous votre école aujourd'hui ?
L'ENS est à la fois une Grande Ecole et une université : une Grande Ecole par son recrutement et son prestige, et une université au sens mondial, par son centre de recherche. L'Ecole a formé 10 médaillés Fields, soit presque autant que les Etats-Unis, et trois prix Nobel. Avec nos 2400 étudiants, l'ENS est donc une grande université, mais petite par sa taille, comparée à Cambridge, Harvard ou Berkeley. Nous ne sommes pas encore dans le viseur des meilleurs étudiants américains et chinois. Mais sur certaines spécialités, cela commence à changer.
- Vous avez lancé plusieurs Moocs : quel bilan en tirez-vous ?
Effectivement, nous avons quatre cours en ligne, qui rencontrent un certain succès alors que ce sont des enseignements de très haut niveau. Celui sur la théorie de Gallois a ainsi été suivi par un millier d'étudiants jusqu'au bout : cela équivaut à plusieurs décennies d'élèves qui suivent le cours ici. Une dizaine de milliers de personnes ont aussi suivi notre cours en anglais sur les fondements de la physique statistique. Le professeur se fait maintenant arrêter dans la rue quand il se promène à New York !
- Vous les diffusez sur Coursera, une plateforme américaine : pourquoi ce choix ?
L'endroit où l'on publie nos cours a peu d'importance, du moment qu'il y a une audience. Ce qui est important, c'est que nous concevions nous-même ces cours. L'Ecole Normale Supérieure avait déjà une longue tradition de mise en ligne de conférences : passer aux Moocs est une étape supplémentaire, car il faut créer des contenus spécifiques et animer des forums. Pour chacun, nous avons un ou deux doctorants qui répondent aux questions. Nous avons aussi monté un studio au sein de l'école, qui nous permet de produire trois Moocs par mois.
- Avec les succès de start-up comme Blablacar ou TinyClues, on commence à voir des normaliens en Une de la presse économique. Ce mouvement vers le monde de l'entreprise est-il nouveau ?
Il y a toujours eu des normaliens en entreprise, aussi bien des scientifiques que des littéraires, car c'est la spécificité de notre école d'avoir ces deux dimensions. Mais ce mouvement s'est probablement accéléré dans les années récentes, avec l'essor des start-up : c'est une dynamique que l'on observe dans tout le pays, et l'ENS n'y échappe pas. Notre tradition de former par la recherche fait que les normaliens ont l'habitude de travailler en profondeur, de s'attaquer à des problèmes complexes : la bascule vers l'innovation se fait ensuite assez facilement.
- Quelle est la proportion d'élèves qui se tournent vers le monde de l'entreprise ?
Les deux tiers de nos élèves s'orientent vers l'enseignement supérieur et la recherche. L'entreprise en attire 10 à 15% : c'est en progression. Le numérique l'explique en partie, car nous avons un département informatique de tout premier rang, dont sont issus de nombreux fondateurs d'entreprises. De manière plus profonde, les scientifiques sont de plus en plus intéressés par la valorisation de leurs découvertes. Ils n'hésitent plus à franchir le pas, d'abord avec des brevets, puis via la création d'entreprises.
- Un "Prix de la start-up normalienne" a récemment été organisé : encouragez-vous ce mouvement vers l'entrepreneuriat ?
Au sein de Paris Sciences et Lettres - le consortium d'établissements auquel nous appartenons, aux côtés, notamment, des Mines ParisTech, de l'ESPCI ou de l'Université Paris-Dauphine - nous avons monté un module de formation pour sensibiliser les jeunes chercheurs à la création d'entreprise, avec un tutorat extrêmement poussé. Le but du jeu n'est pas qu'ils créent une start-up à la fin du programme, mais de faire en sorte que s'ils sont exposés à cette problématique à un moment de leur carrière, ils sachent comment s'y prendre. Pour les parcours non académiques, nous avons aussi mis en place un accompagnement personnalisé, qui permet aux étudiants de trouver des stages et des débouchés. Mais ils ne nous ont pas attendu : depuis toujours, les normaliens ont su trouver des débouchés incroyables.
Propos recueillis par Benoit Zante