Qui ?
Mikko Setälä, Chief Corporate Development Officer de Rovio et ancien chairman of the board de ce studio finlandais, à l'origine d'Angry Birds.
Quoi ?
Une leçon de résilience et de patience, à l'occasion d'une visite des locaux de Rovio organisée en marge de la conférence Slush, qui avait lieu à Helsinki.
Comment ?
On peut dire que Rovio s'y connait en échecs - l'un des thèmes phares de l'édition 2016 de Slush... Avant de connaître un succès mondial avec Angry Birds en 2008, le studio finlandais avait sorti pas moins de 52 autres jeux et frôlé plusieurs fois la faillite. Surtout, le succès de son titre phare n'a pas signifié la fin des galères : après une période d'hyper-croissance pendant laquelle l'entreprise se rêvait en nouveau Disney - à grand renfort de parcs d'attractions, de merchandising et de déclinaisons ad-nauseam de ses personnages - son chiffre d'affaires s'est effondré de 73 % en 2014. Résultat : l'année suivante, Rovio licencie près d'un tiers de ses employés.
Pour se relancer, la pépite finlandaise mise désormais sur une croissance plus maîtrisée, mais sans pour autant renoncer à prendre des risques. Son plus grand pari a été la production du film d'animation "The Angry Birds Movie", en coproduction avec Columbia Pictures et Sony Pictures Imageworks. "Nous avons fait le choix de co-produire le film, et non de simplement céder la licence à d'autres, même si cela signifiait prendre davantage de risques, car nous voulions maîtriser le produit", explique Mikko Setälä. L'histoire a donc été imaginée en Finlande et la réalisation des animations confiée à des studios californiens et canadiens. Si les critiques ont été mitigées, le succès commercial - notamment en Chine - a conduit Rovio à lancer la production d'un second film.
Le succès d'Angry Bird peut-il se reproduire sur d'autres jeux ? Mikko Setälä se souvient du point de bascule pour Rovio : "on a décidé d'écouter le grand public, pas les fans de jeux." Par exemple, avant Angry Birds, Rovio était le leader des jeux... d'horreur sur mobile. Autant dire un micro-marché. "L'idée à l'époque était de faire des jeux pour les gamers, alors qu'en fait, il faut penser 'consommateurs', pas 'fans'". Depuis Angry Birds, Rovio a lancé d'autres licences, mais sans rencontrer le même engouement. "Nous avons plusieurs autres jeux qui ont dépassé la dizaine de millions de téléchargements".
La clé pour réussir dans le gaming mobile : "en premier, avoir un bon jeu, facile à apprendre, mais difficile à maîtriser, qui repose sur des sessions courtes de 2 à 5 minutes." Pour faire de "bons" jeux, Rovio s'appuie principalement sur ses talents : des développeurs, des ingénieurs ou des data analysts, mais aussi des sociologues et des artistes, et s'enorgueillit d'avoir un compositeur de musique salarié à plein temps. Reste qu'avoir un "bon" jeu est une condition loin d'être suffisante : "vous devez faire du marketing. Etre mis en avant de temps en temps par Google et Apple, ce n'est pas suffisant !" La communication ne doit pas s'arrêter à la phase de lancement du jeu : "aujourd'hui, lancer un jeu est un marathon : il ne suffit plus d'acquérir un joueur, il faut le faire revenir régulièrement." Et le faire payer.
"Nous avons dû apprendre : nos jeux à l'origine reposaient sur le modèle du freemium, pas celui du 'free to play'". La différence : en "freemium", les joueurs commencent à jouer gratuitement et doivent payer pour débloquer des niveaux, alors qu'en "free-to-play", tout est gratuit, mais il est possible de payer pour progresser plus rapidement. Pour les studios, la logique est toute différente : avec le "free-to-play", l'immense majorité des joueurs ne payent pas. L'effort marketing doit donc se concentrer sur les "baleines", qui peuvent dépenser plusieurs centaines d'euros chaque mois et financent ainsi le jeu. Mikko Setälä reconnait que Rovio a mis un peu de temps à s'adapter à ce nouvel environnement, où un autre Finlandais, Supercell, règne en maître avec Clash of Klans (lire aussi notre article à ce sujet). Le studio continue à lancer régulièrement de nouveaux opus d'Angry Bird, autour de licences comme Star Wars ou Transformers, ou à l'occasion d'événements.
"Le gaming mobile est un secteur cyclique, avec des hauts et des bas. Même si vous avez tous les ingrédients, vous allez quand même échouer, il y a tout le temps de nouveaux concurrents." Parmi ceux-ci, Pokemon Go, contre lequel les dizaines de déclinaisons d'Angry Birds ont désormais du mal à se faire une place. De quoi donner envie à Rovio de se lancer dans la réalité virtuelle ou augmentée ? "Pour réussir, il faut comprendre et anticiper ce qui arrive. Si vous allez là ou les 'big guys' sont déjà, c'est impossible d'émerger" commente, laconique, Mikko Setälä. Le studio a déjà lancé un jeu en réalité virtuelle, avec Samsung Gear, en 2015. "Nous sommes prêts, mais le marché ne l'est pas encore. Pour qu'un jeu soit rentable chez nous, il nous faut au moins 10 millions de téléchargements." Rovio attend donc à nouveau son heure.
Benoit Zante