Qui ?
Thierry Derungs, CDO de BNP Paribas Wealth Management.
Quoi ?
Une interview, sur la stratégie de transformation digitale de la banque privée de BNP Paribas, présente dans 27 pays.
Comment ?
- Quelle est votre mission en tant que Chief Digital Officer ?
Cela fait un an que j'ai officiellement ce titre, avec une lettre de mission et une description de poste. Mais dans la pratique, j'occupe ce rôle depuis déjà trois ans. J'ai deux fonctions : celle de CDO, chargé de définir la stratégie digitale, avec la responsabilité de la déployer globalement dans 27 pays, et celle de Responsable des solutions digitales, qui intègre aussi la transformation numérique de l'entreprise.
- Pourquoi ce poste, alors que la banque privée est encore peu impactée par le digital ?
Au contraire ! On a vécu pendant longtemps avec des idées préconçues, telles que : "nos clients sont plus âgés, donc le digital n'est pas pour eux" ou "notre modèle repose sur la relation et le conseil, le digital n'y a pas sa place". C'est totalement faux. Certes, nos clients sont en moyenne plus âgés mais ils sont modernes, souvent des entrepreneurs ou issus de entrepreneuriat, très bien équipés et sont pleinement dans l’ère du digital que ce soit à titre privé ou professionnel. Ils ont énormément d'attente vis-à-vis du digital. J'ai été engagé il y a trois ans pour gérer d'abord l'internet côté client. Assez vite, il est devenu évident qu'il fallait aller plus loin, jusqu'à la prise en main des solutions numériques par nos 6 300 employés.
- Quelles sont les grandes lignes de votre stratégie digitale ?
Dès le départ, nous avons adopté un modèle collaboratif, en réunissant des gens de huit pays venant du marketing, de la communication et du produit - uniquement orientés business, donc - pour réfléchir ensemble à la stratégie digitale. Il était hors de question que tout soit imposé par Paris. Ensemble, nous avons élaboré une stratégie destinée à améliorer la relation entre le client et son banquier, en élargissant grâce au numérique le spectre des possibilités qui leur sont offertes. L'une des craintes dans l'univers de la banque privée est que le digital casse l'intimité avec le client, alors qu'il permet aussi au contraire d'améliorer cette relation, de la renforcer et de la prolonger.
- Comment procédez-vous pour changer les habitudes de vos conseillers ?
Il n'est jamais facile de changer les habitudes, c'est toujours un travail de longue haleine. Les maturités sont très différentes selon les pays : certains sont très en avance, comme la France et la Belgique, d'autres, encore en dehors de cette transformation, mais ils y viennent, tout simplement parce que leurs clients sont connectés. Dans les pays, je suis accompagné dans le déploiement de la stratégie par des Digital Officers, dédiés à 100% à cette transformation, ou par des gens qui ont ça parmi leurs missions. En Asie, par exemple, nous avons deux personnes entièrement consacrées à cette tâche.
- Quels sont les parties prenantes de cette transformation ?
A l'origine, l'équipe principale a été constituée avec des gens issus du marketing, de la communication et du digital. Très rapidement, nous avons ajouté des collaborateurs provenant de la compliance et du juridique, tout en développant des relations très étroites avec les RH et évidemment avec l'IT, qui est le partenaire indispensable dans cette transformation.
- Et au sein du groupe BNP Paribas, travaillez-vous en concertation avec vos homologues des autres filiales ?
Nous avons beaucoup de relations notamment avec BNP Investment Partners, notre Corporate, BNP Paribas Personal Finance (Cetelem) et Cardif. Le groupe a aussi mis en place une communauté de leaders du digital, qui génère de nombreux échanges. Nous nous informons et échangeons beaucoup entre nous, sans avoir besoin d’une structure transverse dédiée au numérique.
- Regardez-vous aussi ce qu'il se passe du côté des start-up, notamment dans le domaine de la FinTech ?
C'est ce que j'aime dans ce métier : la curiosité n'est pas un défaut, mais une qualité ! Je m'intéresse énormément aux start-up. Il y en a de très innovantes dans le domaine financier, sur des points qui ne peuvent pas aujourd’hui être traités tels quels par les banques de par nos fortes régulations. Pour l'instant, les start-up FinTech s'attaquent surtout beaucoup à des niches, mais cela ne veut pas dire qu'elles ne peuvent pas gagner de l'ampleur demain. Dans tous les cas, observer ou travailler avec ces start-up, FinTech ou non, est important pour se remettre en question, s’ouvrir l’esprit et s'inspirer.
- Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent entamer leur digitalisation ?
Mon principal conseil, est de commencer, plutôt que de perdre du temps en discussions préalables souvent trop longues. Mieux vaut se lancer rapidement sur un sujet, même limité, et apprendre en marchant. Je suis un fervent partisan de la méthode agile, appliquée aux métiers, pas seulement à nos DSI. Il faut avancer par cycles courts, en accordant le droit à l'erreur. C'est le seul moyen de supprimer cette peur qui fait que tout ce que l'on entreprend doit réussir – tout prévoir au départ d’une idée est un exercice périlleux - et générer des revenus bien prévisibles. La méthode Agile est idéale car elle permet d’ajuster en continu, de livrer régulièrement de la valeur ajoutée et d’affiner par l’expérience les gains pressentis. Tous ces avantages sont encore amplifiés en complétant par d’autres méthodes, comme le "Design Thinking", en développant l’esprit d’Entrepreneuriat et le collaboratif, et en s’inspirant du fonctionnement des start-up.
- Comment s'impliquent les deux CEO de BNP Paribas Wealth Management dans ce processus ?
Il est en effet très important de convaincre d'abord le CEO de la valeur du digital et de faire en sorte que les membres du comité exécutif prennent position sur ces sujets. Ceux-ci ne doivent pas se contenter de donner des moyens, mais aussi s’impliquer personnellement, que ce soit en étant eux-mêmes sur les réseaux sociaux ou en participant aux ateliers de travail en interne. J'interviens par exemple dans de nombreuses réunions et comités avec les dirigeants des différents pays, ainsi que dans les séminaires du senior management, qui se tiennent deux fois par ans. L'une des dernières sessions était d'ailleurs entièrement dédiée au digital et était présidée directement par Sofia Merlo et Vincent Lecompte, nos deux CEO. Ceux-ci sont totalement acteurs de ce mouvement : ce sont des alliés très précieux.
- Comment voyez-vous évoluer votre rôle de CDO ?
L'objectif que je me suis fixé est de devenir inutile dans un horizon de 2 à 3 ans. Cela a été validé par mon CEO, car si la transformation est réussie, il n'y a plus besoin de "pousseur". Le marketing et les autres services n'auront plus besoin de quelqu'un pour porter le digital, ils l'auront intégré.
Propos recueillis par Benoit Zante