Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

Klout, au royaume du Kikoo Lol

Qui ?
Cyrille Chaudoit, Dg de Scanblog.

Quoi ?
Une tribune sur Klout, nouvel instrument de mesure de l'influence personnelle, au fonctionnement presque aussi opaque que celui de Google.

Comment ?
Klout déchaîne les passions depuis quelques semaines, et remet sur la table le sempiternel débat autour de l’influence.

La bonne nouvelle est la suivante : il y a de la place pour tout le monde.

Soyez donc rassuré, vos « Kikoo-LOL » vous déifieront davantage qu’une barbante démonstration de votre savoir. Sachez être, plutôt que faire… Klout vend du rêve. A celui qui voit  en ce système de notation la preuve de son incontestable supériorité. Aux marques, qui penseraient y trouver la pierre de Rosette indispensable à toute bonne récupération de l’effervescence sociale sur les réseaux.

Avant d’y laisser des plumes, posez-vous simplement quelques questions, que vous trouverez sans doute « idiotes » si vous avez un Klout supérieur à 70, mais qui s’imposent au simple mortel que je suis.

--> Qu’avez-vous compris de la méthodologie de Klout ?

On ne peut pas dire que celle de Klout soit un modèle de transparence.
Ses trois principes fondateurs sont simples, justifiés et compréhensibles :

- "true reach" : ou combien de vraies personnes (les comptes spams et robots sont exclus) sont véritablement actives dans votre communauté. Par « actives », comprenez qu’elles réagissent à votre contenu.
- "amplification" : ou combien d’entre elles répondent/partagent votre contenu, et à quelle fréquence.
- "network" : ou le propre score d’influence des individus composant votre « true reach ».

Autrement dit, votre score Klout est la combinaison du nombre de personnes (ré-)actives au sein de votre communauté au sens où elles interagissent avec vous ou contribue régulièrement à la propagation de votre contenu et de leur propre score.

Sur le papier, ça fonctionne. Mais pour se rapprocher d’une logique publicitaire, disons que le « true reach » est votre couverture, l’ « amplification » la répétition de votre message (par les autres) et le « network » serait l’audience du média choisi pour votre communication. En gros, Klout peut se comprendre comme une sorte de GRP des temps modernes et du social media.

Première limite. Un score Klout a peut-être plus de sens s’il est pris comme un indicateur d’exposition de votre message ou de votre petite personne. Mais Klout se présente comme un outil de mesure d’influence, pas d’audience… Dont acte.

La logique voudrait donc qu’un profil rassemblant une grande quantité de « fidèles », eux-mêmes influents et très enclins à reprendre ses propos, soit mieux noté qu’un autre. Faisons l’expérience.

Mark Zuckerberg (@finkd) n’a plus tweeté depuis le 13 mars 2009. Son score Klout est pourtant de 56 au 23 septembre 2011. Il a même pris +3 pts depuis le 21 septembre, au gré des nouveautés annoncées à l’occasion du F8. Pourquoi ? Parce que son True Reach (« seulement » 41.000 sur 104.000 followers) augmente linéairement et que sa notoriété et l’actualité de Facebook suffisent à inciter les gens à le mentionner dans leurs tweets. Rien d’étonnant à cela. Cela signifierait donc que le contenu diffusé sur les réseaux par la personne « Kloutée » n’est donc pas déterminant, autrement l’inactivité de Zuckerberg sur Twitter le condamnerait.

A l’inverse, une figure du social media français comme Emery Doligé (@MryEmery) peut s’enorgueillir d’un score de 76. Hyperactif en général, et sur Twitter en particulier, Emery ne présente pourtant un True Reach que de 5.000 personnes ! Huit fois moins que Zuckerberg… Et malgré tout son talent, notre blogueur national devrait susciter moins spontanément la conversation que la star mondiale de la Silicon Valley. La fréquence de publication serait-elle finalement plus importante que le True Reach ?

Autre exemple, Justin Bieber (98) et Lady Gaga (91) touchent respectivement 4 et 5 millions de personnes (True Reach).

Les fans du môme à frange seraient-ils plus influents que ceux de l’excentrique pop star ? Pas sûr. En revanche, ils sont beaucoup plus bavards avec plus de 5 millions de mentions de Justin Bieber sur Twitter contre 2,8 millions pour Lady Gaga au cours des 30 derniers jours.

Résumons un peu. Il ne semble pas indispensable d’être soi-même très prolifique sur les réseaux (ex.Zuckerberg) pour voir gonfler son score. Mais un profil A ayant un True Reach plus faible que B peut néanmoins être mieux noté à condition que ses fans/followers soient plus bavards (ex. Bieber vs. Gaga). Ce qui est finalement l’explication de la comparaison entre Emery et Mark Zuckerberg qui affichent respectivement 2800 et 800 tweets les mentionnant au cour du dernier mois.

Un dernier mystère subsiste toutefois. Un cas comme celui de @NicolasBordas peut encore surprendre et jeter le voile de la suspicion sur les règles de calcul de Klout. Le président de TBWAFrance est noté 67. Son score a chuté de -3% depuis fin août, alors que l’ensemble de ses indicateurs sont à la hausse : network (+1,5%), amplification (+6,8%), true reach (+4,3%) sur la même période. Comment peut-on progresser sur toutes les variables de l’équation « Kloutienne » et voir sa note globale baisser ?

--> Quels peuvent être les effets pervers d’une telle méthode de calcul ?

Beaucoup ont déjà écrit sur le risque de voir son score fondre comme neige au soleil si vous préférez l’oisiveté à la conversation interminable de vos réseaux préférés pendant vos vacances. Mais nous venons de voir qu’il n’est pas forcément utile d’être soi-même très prolixe pour donner envie aux autres de parler de vous. Une notoriété dépassant les frontières de la sphère digitale suffit à faire fi de cet écueil.

Dès lors, les plus hauts sommets ne sont-ils pas réservés aux personnalités publiques dont l’influence n’a d’ailleurs pas attendue Klout ?

A une moindre échelle, qu’en est-il de celui qui débarque seulement dans cette joyeuse foire d’empoigne ? Les profils plus anciens ne disposent-ils pas naturellement d’une longueur d’avance (notamment dans la constitution d’une communauté large et active) impossible à rattraper à moins d’un coup de buzz magistral ? Ce qui pose logiquement la question de la course au buzz déjà largement coupable de nombreux loupés marketing et plus globalement d’un relatif appauvrissement des méthodes employées pour se faire connaître coûte que coûte. On ne compte plus les initiatives les plus loufoques, quand elles ne sont pas tout simplement stupides ou dégradantes pour tenter d’attirer l’attention sur soi.

Mais un autre effet pervers plus immédiat réside dans le détournement du principe même proposé par Klout. Déjà observé à la grande époque des blogs tout puissants, une connivence bien organisée peut vite vous faire gagner des points. Ce qui fût vrai pour augmenter son pagerank Google en s’échangeant des liens entre blogueurs est déclinable pour son score Klout. Certains l’ont bien compris. Préméditée ou non, la proposition d’Emery (cet été) de mentionner à son tour, une heure durant et à plusieurs moment de la journée, quiconque l’ayant préalablement cité dans un tweet, est un exemple de ce que peut être un moyen d’utiliser la méthodologie Klout à son avantage...

L'être humain se défend de vouloir être catégorisé, étiqueté, mais prête bien volontiers le flanc de son personal branding à un "label" estimant sa valeur marchande. Klout vous note sur la base de la taille de votre... communauté, et de votre supposée capacité à l'exciter pour un oui, ou pour un non. Enfin, surtout pour un "oui". Car derrière l'alibi ludique du service, il s’agit évidemment d’attirer le business.

Le 20 septembre 2011, à l’Ad:Tech de Londres, Luca Benini, digital media executive chez Buddy Media, une autre société de mesure du web social, nous disait que "depuis l’avènement du social media votre meilleur client n’était plus celui qui dépensait le plus mais celui qui parlait le plus de vous".

Et si les entreprises préféraient désormais récompenser les meilleurs scores Klout à leurs clients les plus fidèles ? C’est peut-être ce qui se met doucement en place avec ces premiers exemples américains (Virgin America, Fox, Bal Harbour Shops… ) offrant des avantages très « V.I.P. » à une sélection d’internautes mieux notés que les autres.

Klout, un nouveau marqueur social. « Put your Klout Score on your resume to land a sweet job or use it to get better customer service ». Klout ne peut être plus clair sur sa vision de notre futur.

Imaginons enfin la toute puissance des agences de notation et les conséquences de leurs décisions dans l’ordre économique mondial. Je vais trop loin pensez-vous peut-être ? Nous n’en sommes pas là, et comparer Klout à Moody’s ou Standard & Poors est faire beaucoup d’honneur à cette entreprise.

Passé la compétition potache qu’entretiennent les classements, je trouve désolant, malsain et même dangereux d’attribuer quelque score que ce soit à un individu. Surtout lorsque la démarche est motivée par la mise en place d’un traitement différenciant pouvant aller jusqu’à une certaine forme de ségrégation.

Je suis un professionnel de la communication depuis plus de 10 ans, et j’ai co-fondé une société spécialisé dans l’étude et le conseil en e-réputation pour accompagner les marques dans leur compréhension et leur utilisation de ce web social. Je devrais donc sûrement aux yeux d’un grand nombre ne pas m’émouvoir d’une telle chose. Eh bien que ceux qui penseraient ceci s’interrogent sur leur propre conception du marketing. Vouloir aider les entreprises à mieux se positionner sur cette lame de fond que représente le web de la conversation n’est pas incompatible avec une approche moins radicale et surtout plus fine et plus éthique.

Mon score Klout est aujourd’hui de 59, supérieur donc de 4 points à celui de Nicolas Sarkozy (@Sarkozy_2012), et je vous salue.

Cyrille Chaudoit

@cchaudoit

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