Qui ?
Imran Khan, Chief Strategy Officer de Snap Inc.
Quoi ?
La présentation de la stratégie de Snapchat pour séduire les annonceurs, lors de la conférence The Next Web 2017, à Amsterdam.
Comment ?
Les interventions des dirigeants de Snapchat sont rares en Europe. A Amsterdam, l'intervention d'Imran Khan, l'artisan de l'entrée en bourse et de la stratégie de monétisation de l'application, était donc un mini-événement. Même s'il n'a pas vraiment répondu aux attentes du public - qui espérait mieux qu'un vademecum de 20 minutes sur les formats publicitaires proposés par l'application - son discours permet de mieux cerner les forces et les faiblesses de Snapchat dans le combat sans merci contre Facebook.
1/ Snapchat n'est pas un réseau social, mais une "camera company"
L'ambition de Snapchat est de transformer chacun en producteur de contenus, en "incitant les gens à créer" et en "encourageant la créativité" : c'est pour cela que la première fonctionnalité qui apparaît au lancement de l'application est l'appareil photo. Ce discours permet de justifier les incursions de Snap dans les drones ou les lunettes connectées. Il rappelle surtout le mouvement de Twitter, qui se définit désormais comme une application de "news" plutôt que comme un réseau social, pour mieux marquer sa différence avec Facebook.
"Si on arrive à réinventer la caméra du smartphone, on peut changer significativement la façon dont les gens communiquent et vivent leur vie" explique Imran Khan. Cette stratégie semble fonctionner : Snapchat annonce 3 milliards de "snaps" produits quotidiennement et 60% des utilisateurs produisent des "snaps" tous les jours... Dans le monde, l'application affiche 166 millions d'utilisateur actifs quotidiennement, dont 55 millions en Europe, avec un temps passé moyen de 30 minutes par jour. Le tout en à peine 5 ans.
A noter : alors que Snapchat s'affirme comme une "camera company", Instagram s'éloigne justement de son positionnement historique autour de l'appareil photo, pour devenir "une plateforme de partage d'expériences"... et mieux se rapprocher de Snapchat.
2/ Snapchat est entré dans la bataille du contenu
Comme Youtube et Facebook avant lui, Snapchat construit son audience avec le contenu créé par ses utilisateurs ("UGC"). Mais il a besoin de contenu de qualité professionnelle pour attirer les annonceurs... Une équation complexe à résoudre, alors qu'à l'origine, les utilisateurs viennent sur l'application pour y échanger avec leurs amis. Les fonctionnalités de messagerie se retrouvent ainsi au cœur des usages : "les conversations en one-to-one boostent la fréquence d'usage" résume Imran Khan. En moyenne, les utilisateurs actifs consultent l'application 18 fois par jour. Pour valoriser encore plus les contenus UGC et augmenter leur diffusion au-delà du cercle restreint des contacts des utilisateurs, Snapchat a créé "Our Story", qui agrège du contenu géolocalisé, autour d'événements (festivals, concerts, matchs...).
Le combat de Snapchat est maintenant d'aller chercher du contenu exclusif, de qualité professionnelle, pour attirer encore plus d'utilisateurs... mais surtout des annonceurs. L'application travaille avec ESPN, Discovery, la NFL, A+E Networks ou Vice Media au développement de programmes vidéos exclusifs, de 3 à 5 minutes. Le Saturday Night Live de Jimmy Fallon est ainsi présent sur Snapchat avec des pastilles exclusives.
La stratégie rappelle celle de Facebook, qui s'apprête à investir massivement dans les contenus originaux, mais surtout celle de Youtube au début des années 2010, qui a connu un succès pour le moins mitigé avec ses chaines premiums, désormais tombées dans les oubliettes du web.
3/ Snapchat fait tout pour devenir un acteur majeur dans le paysage publicitaire
C'est dans le domaine de la publicité que Snapchat est le plus offensif, cotation en bourse oblige. En vrac, Imran Khan dresse l'inventaire des qualités de l'application pour les annonceurs, et notamment la présence de la publicité sur 100% de l'écran de l'utilisateur, avec le son activé dans la majorité des cas. "Le son fait toute la différence : pour moi, une publicité sans le son, ce n'est pas de la vidéo, juste des images qui bougent" explique le Chief Strategy Officer de Snap Inc. Ces derniers mois, les équipes commerciales et techniques de Snapchat ont rivalisé d'inventivité pour proposer, en toute modestie "les meilleurs formats publicitaires sur mobile", comme l'annonce le site dédié aux annonceurs.
Après un outil permettant de créer des filtres géolocalisés (à partir de 5$), Snapchat vient de lancer sa plateforme d'achat d'espace en libre service. Les formats, conçus par les mêmes équipes de développeurs que celles qui travaillent sur les fonctionnalités grand public, permettent de "délivrer des messages" à travers un article, de générer des téléchargements d'applications, de générer des vues sur des vidéos ou de diriger du trafic vers un site externe. Bref, du très classique, dont l'efficacité peut être facilement comparée par les agences et les annonceurs avec les équivalents chez Google ou Facebook. De quoi ranger définitivement les filtres sponsorisés par les marques dans la catégories des gadgets ?
Imran Khan a insisté sur sa volonté de transparence sur les performances de sa plateforme, en listant les différents partenariats conclus depuis 2014 pour auditer les chiffres d'audience, dont Nielsen, Sizmek ou Moat, notamment. "Depuis deux ans, nous avons passé des accords avec 13 outils de mesure tiers. C'est crucial à une époque où les annonceurs demandent plus de transparence et davantage de preuve du retour sur investissement". Une allusion à peine masquée à Google et Facebook, sous le coup de suspicions répétées autour de la fiabilité de leurs chiffres... Depuis septembre 2016, Facebook a notamment reconnu une dizaine d'erreurs de mesure. Quant à Youtube, il a subi le boycott de centaines d'annonceurs, face à son incapacité à garantir la qualité du contexte de diffusion des publicité (lire notre article).
En filigrane, la vision de Snapchat apparaît, très claire : devenir la télévision du XXIe siècle, sur mobile, avec des playlists individualisées mixant contenus personnels et professionnels, entrecoupés de spots de six secondes... Dans cet écosystème naissant, les médias travaillant avec la plateforme courent donc le risque de se retrouver cantonnés à un statut de producteurs de contenus, perdant la maîtrise de leur audience et de sa monétisation...
Benoit Zante