Qui ?
Marc Blottière (@MarcBlottiere sur Twitter), DSI d'AXA France.
Quoi ?
Un point sur ce que la transformation digitale implique pour les DSI, à travers l'exemple d'AXA.
Comment ?
"L'une de mes missions est de faire en sorte que la transformation digitale de l'entreprise se passe à la bonne vitesse, et au bon coût. Et ce n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire !" explique Marc Blottière. Celui-ci est à la tête de la DSI d'AXA France depuis 2013, alors que l'assureur entamait son processus de digitalisation sous l'impulsion de la direction du groupe. "La première étape de la transformation n'est pas technologique : il faut d'abord s'assurer d'une vision cohérente au comité de direction, pour que tout le monde avance ensuite au même rythme." En 2013, la réunion des principaux cadres dirigeants du groupe à San Francisco a servi d'électrochoc : "On a visité une soixantaine de start-up. Avant, on notait un certain scepticisme, mais une fois sur place, tout le monde a compris qu'il se passait quelque chose et que tout pouvait aller très vite." La réunion de 2015, à Shanghai, "a encore plus décoiffé."
Une ré-internalisation des compétences
Une fois la vision et les ambitions alignées, l'entreprise a dû briser les silos, en créant une proximité entre les directions métiers et les informaticiens. "Désormais, nous avons des DSI par lignes de métiers, qui interviennent très en amont sur les sujets, avant même que l'aspect technologique ne soit abordé." La façon de développer a aussi évolué : le groupe a internalisé une partie des missions confiées à des cabinets externes et revu ses méthodes de travail. La DSI d’AXA France compte 900 salariés pour 800 externes. En 2016, le nombre de salariés internalisés devrait atteindre le millier. "Quand on doit être force de proposition avec le business, il est difficile de le faire si l'on est externe à l'entreprise".
Des équipes transverses installées sur un plateau commun
Progressivement, les équipes se convertissent aux méthodes agiles, qui reposent sur des cycles de développement plus courts et impliquent de réunir sur un même plateau informaticiens et responsables métiers. Une révolution : jusqu'alors ceux-ci ne se parlaient que par cahiers des charges interposés. Plusieurs millions d'euros ont été investis dans la formation à ces nouvelles méthodes de travail. "Même s'il est préférable d'avoir une proximité géographique, il est tout à fait possible de faire de l'agile à distance, précise Marc Blottière : nos développeurs basés à Lille communiquent avec les équipes métiers par visio-conférence."
Une ouverture des systèmes d'information
Outre l'aspect humain, ces nouvelles méthodes impliquent aussi une refonte des architectures techniques traditionnelles, qui n'ont pas été conçues pour l'agile. Un travail de fond est mené depuis trois ans pour "ouvrir" le système informatique du groupe aux API. "70% de nos systèmes d'information sont ouverts. Traditionnellement, les outils des assureurs sont centrés sur les contrats et les réseaux de distribution. Maintenant, nous passons à des systèmes orientés clients, voire même individus." C'est ainsi qu'AXA France vient d'abandonner son outil CRM développé pendant 6 ans, pour basculer sur Salesforce. A l'échelle du groupe, une structure technique commune est en phase de déploiement, pour favoriser le "re-use", sur le modèle de l'open-source. Chaque filiale peut récupérer le code source d'applications et services locaux, pour les adapter à ses spécificités. Une "Digital Agency" centrale s'assure que les filiales utilisent les mêmes outils et langages informatiques.
Des méthodes inspirées par Spotify
Prochaine étape : "passer d'un mode projet à un mode capacitaire". Comprendre : pérenniser les équipes constituées pour des projets ponctuels, afin de faire vivre les applications et services sur le long terme. AXA déploie ainsi des "features team" inspirées de celles mises en place chez Spotify : ces équipes pluridisciplinaires, avec un "product manager", côté marketing, et un "product owner", côté SI, sont responsables d'un produit. "150 personnes travaillent déjà sur ce modèle et nous allons démarrer la généralisation en 2016, pour y basculer une majorité de l'organisation. Ceux qui sont dans les pilotes ne veulent pas revenir en arrière."
Avantage de cette nouvelle organisation : des équipes plus impliquées et moins de bureaucratie, puisque le comptage des jours-hommes n'a plus court. Pour que les équipes techniques ne se sentent pas isolées, chaque développeur appartient à un "chapter", une communauté d'expertise. AXA France a aussi créé une nouvelle entité, totalement indépendante, AXA Wealth Services, disposant de 24 millions sur trois ans pour construire les outils de la gestion privée d'AXA. "On ne peut pas changer sans totalement basculer la culture : il faut que les gens pensent résultats et pas moyens, qu'ils n'hésitent pas à challenger leurs partenaires."
Tous les assureurs auront-ils les moyens de se transformer à la manière d'AXA ? Pas sûr... "Chaque jour qui passe est un jour perdu. Le problème, c'est qu'il faut investir de l'argent qui ne rapportera pas à court terme. Soit on est une start-up, soit on a l'échelle suffisante, mais entre les deux, il est compliqué de prendre le virage. Ce sera une opportunité pour nous de faire des partenariats ou des acquisitions."
Benoit Zante